Film de Veronika Franz et Severin Fiala
Année de sortie : 2019
Pays : Royaume Uni, États-Unis
Scénario : Sergio Casci, Veronika Franz, Severin Fiala
Photographie : Thimios Bakatakis
Montage : Michael Palm
Musique : Danny Bensi, Saunder Jurriaans
Avec : Riley Keough, Jaeden Martell, Lia McHugh, Alicia Silverstone, Richard Armitage
The Lodge est un film d’horreur atmosphérique particulièrement immersif, qui évoque certains classiques du genre (mais aussi le cinéma d’Ari Aster) tout en proposant un récit singulier, troublant et déroutant.
Synopsis du film
Laura et Richard Hall (Alicia Silverstone et Richard Armitage), parents de Aidan (Jaeden Martell) et Mia (Lia McHugh), se sont séparés mais sont toujours mariés. Quand Richard annonce son intention d’épouser sa nouvelle compagne Grace (Riley Keough), Laura met aussitôt fin à ses jours.
Dans les jours qui suivent l’enterrement, Richard tente de briser la glace entre ses enfants et sa future femme. Mais Aidan et Mia sont non seulement traumatisés par la perte de leur mère, mais méfiants à l’égard de Grace, en raison de son passé trouble au sein d’une secte.
Un peu avant Noël, ils partent tous les quatre passer quelques jours dans une maison isolée, située dans le Massachusetts. L’atmosphère est un peu tendue…
Critique de The Lodge
Les films de genre suivent plus ou moins, la plupart du temps, des codes. Ils reprennent des motifs récurrents, déclinés de différentes manières. C’est d’ailleurs autour de cette particularité que Wes Craven a conçu son film Scream. Pour cette raison, un film de genre, et notamment un film d’horreur, comporte des références implicites, ou plus évidentes, à des films antérieurs.

En l’occurrence, The Lodge évoque plusieurs autres films, notamment des films appartenant au genre gothique. Le motif de l’ancienne épouse décédée renvoie à Rebecca, le roman de Daphne du Maurier adapté par Alfred Hitchcock, et cette influence (celle du film, plus particulièrement) est d’ailleurs revendiquée par les deux réalisateurs autrichiens, Veronika Franz et Severin Fiala (qui dans leur précédent long métrage, Goodnight Mommy, semblaient s’être inspirés de L’Autre, de Robert Mulligan).

D’autre part, la situation de huis clos entre une femme adulte et deux enfants fait songer à une autre œuvre gothique, le remarquable Tour d’écrou d’Henry James, dont Jack Clayton tira un excellent film (Les Innocents), scénarisé, entre autres, par Truman Capote. Le rapprochement est d’autant plus évident que les deux histoires jouent sur une ambiguïté entre ce qui est perçu et ce qui est vrai. (Nous verrons que The Lodge se rapproche également de films de genre plus récents.) Enfin, et la référence est cette fois directe, le film cite The Thing, de John Carpenter, que Grace, Mia et Aidan regardent ensemble à la télévision au cours d’une séquence.

Ces échos cinématographiques sont ici doublement intéressants car ils contribuent à influencer le spectateur, voire à le tromper, en lui faisant supposer un déroulement semblable, dans une certaine mesure, aux films en question. C’est très habile, car The Lodge nous procure ainsi une double impression : celle de retrouver des atmosphères déjà ressenties – du moins si on est amateur de films de genre – et celle d’assister à quelque chose d’unique et d’imprévisible. Car ne nous y trompons pas, si le film convoque des souvenirs de cinéma, il affirme, dans le même temps, une identité forte. Le spectateur est donc pris à contrepied par un univers faussement familier, ce jeu sur le « paraître » faisant écho au récit lui-même.

Scène après scène, on formule intérieurement des suppositions sans jamais être tout à fait sûr de quoi que ce soit et la réalisation, comme le jeu des acteurs (Riley Keough livre une composition saisissante, au même titre que ses jeunes partenaires), contribuent à une perplexité savamment entretenue. Je dis perplexité mais je pourrais dire angoisse, car The Lodge est un film très angoissant, sans qu’aucun effet facile ne soit employé pour produire ce sentiment. C’est une angoisse insidieuse, nourrie par nos propres incertitudes, des hypothèses fragiles, sans cesse remises en question.

Très immersif, envoutant même, le film témoigne d’une maitrise formelle qui le place au-dessus de nombreuses productions horrifiques récentes (sur ce point, l’apport du chef opérateur grec Thimios Bakatakis, fidèle collaborateur de Yorgos Lanthimos, doit être souligné). Les gros plans en contreplongée au plus près des visages (technique utilisée pour suggérer une forme de présence invisible autour des personnages) et les plans larges atmosphériques sont d’une égale efficacité. Au début du film, la manière dont Grace est filmée (de loin, toujours derrière une vitre : elle est une ombre, davantage qu’une personne) traduit intelligemment le point de vue des enfants, qui la perçoivent comme une étrangère.

The Lodge vient même frôler des sommets atteints, au cours de ces dernières années, par Ari Aster, auteur brillant de Hérédité et de Midsommar, et la comparaison n’est pas hasardeuse puisqu’on retrouve ici les thématiques du deuil, du traumatisme, des croyances et de l’emprise, toutes omniprésentes dans les films précités (on retrouve même le motif de la maison miniature, déjà vu dans Hérédité ; voir ci-dessous).

L’emprise vaut d’ailleurs aussi pour le spectateur : impossible de décrocher face à une expérience cinématographique aussi intense, viscérale et intrigante. On n’est pas très à l’aise quand le générique de fin défile, mais on a quand même envie de remercier le duo de cinéastes pour la rigueur et l’originalité de leur travail. Il y a tellement de copiés-collés mal inspirés dans le cinéma d’horreur qu’il est toujours appréciable de sentir la patte de véritables auteurs ; un statut qu’on ne saurait refuser à Veronika Franz et Severin Fiala après la vision de The Lodge.
Dans The Lodge, Veronika Franz et Severin Fiala témoignent à la fois d'une riche culture du genre (les références étant nombreuses et habilement utilisées) et d'une approche qui leur est propre. Le résultat bouscule sans cesse les attentes du spectateur tout en explorant intelligemment, comme l'a fait entre autres Ari Aster, les thématiques du deuil, de la famille, de la foi et du traumatisme (tous les personnages sont hantés, et conditionnés, par leur passé). Une belle réussite, à découvrir en soirée, dans l'obscurité de préférence...
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