Film de Richard Fleischer
Titre original : The Boston Strangler
Année de sortie : 1968
Scénario : Stanley Geenberg, d’après le roman de Harry Harrison
Photographie : Richard H. Kline
Montage : Marion Rothman
Avec : Henry Fonda, Tony Curtis, George Kennedy, Murray Hamilton.
A reporter: There’s talk of finding these demented people and treating them before they get to the point of killing. Now do you have an opinion on that?
John S. Bottomly: A lot of talk is exactly what it is. What more can you expect from a society that itself spends 44% of its tax dollars on killing?
Basé sur des faits authentiques, L’Étrangleur de Boston, de par un scénario extrêmement précis et rigoureux, une réalisation inventive et la composition inspirée de Tony Curtis, s’impose comme l’un des classiques du cinéma policier.
Synopsis de L’étrangleur de Boston
Boston, début des années 60. Des similarités entre plusieurs cas de femmes étranglées amènent la police à penser qu’un seul et même tueur est l’auteur de ces crimes. Les inspecteurs chargés de l’affaire ne parvenant à l’identifier, le procureur confie à John S. Bottomly (Henry Fonda) la responsabilité de centraliser et de coordonner l’enquête.
Critique
La réalisation de L’Étrangleur de Boston
Le premier aspect frappant de L’Étrangleur de Boston est l’exceptionnelle maîtrise que reflète la réalisation de Richard Fleischer ; sa précision, son inventivité et la manière dont elle sert l’histoire et les différentes composantes du scénario en disent long sur le savoir-faire du célèbre metteur en scène américain.
Le split screen
L’Étrangleur de Boston est probablement le film où le procédé du split screen (écran partagé) est le plus utilisé. Au delà d’un rendu visuel d’autant plus intéressant que peu de réalisateurs, à l’époque, avaient recours à ce procédé (que l’on retrouvera plus tard dans de nombreux films de Brian de Palma, par exemple, ou encore dans Les Lois de l’attraction, film sous-estimé de Roger Avary), ce dernier remplit dans L’Étrangleur de Boston une fonction précise qui l’éloigne définitivement du gadget esthétique, tape-à-l’œil, auquel il est parfois réduit.
Dans les scènes qui précèdent les meurtres, le montage montre parallèlement la progression du tueur (observation des boîtes aux lettres ; conversation dans l’interphone ; montée dans l’escalier, etc.) et la future victime dans son appartement. Ici, le procédé permet d’illustrer de façon saisissante, terrifiante, l’approche d’une menace mortelle dans le quotidien d’une femme.

La montée de l’assassin dans l’escalier est filmée en caméra subjective. Un plan superposé montre la future victime dans son appartement.
L’écran n’est pas toujours partagé en seulement deux plans dans L’Étrangleur de Boston ; ainsi les investigations des policiers (interpellation des suspects ; interrogatoires ; recueil de témoignages), la couverture médiatique de l’affaire et la peur qui s’empare des femmes de Boston, donnent lieu à des plans multiples qui illustrent tantôt la complexité du travail de la police, tantôt la multiplicité des (fausses) pistes et tantôt la réaction de l’ensemble de la population (féminine en particulier). Ainsi, pendant la scène de l’enterrement de l’une des victimes, le split screen montre à la fois le cercueil et le regard des femmes présentes sur ce dernier. Une manière de multiplier les perspectives et donc de présenter, en peu de temps, les différents aspects d’une situation donnée.

Le split screen montre ici la complexité de l’enquête et le travail laborieux de la police.
Les comportements et les nouvelles habitudes des femmes sont également illustrés par de nombreux plans parallèles les montrant en train de fermer des portes, tirer des verrous, baisser des stores, se dresser dans leur lit avec une expression de peur et d’inquiétude. Le split screen permet ici de rendre compte avec une efficacité redoutable de la paranoïa et de la panique collective.

Les femmes se méfient dans « L’étrangleur de Boston »…
Le procédé permet donc de montrer la richesse d’une réalité et d’un contexte donné ; ce n’est de fait pas un effet de style, mais un véritable outil narratif, dont Fleisher use peut-être un peu trop mais avec toujours, et c’est essentiel, la volonté de raconter quelque chose.
L’évolution de la réalisation par rapport au scénario
L’Étrangleur de Boston est structuré en deux parties principales : le déroulement de l’enquête (ponctuée de meurtres), puis les séances d’interrogatoire du suspect. La mise en scène s’adapte parfaitement au contexte et aux enjeux distincts de ces deux principales composantes du scénario (et, plus précisément encore, à chaque scène qui les constitue).
Ainsi, à mesure que l’on approche de la vérité, de la conclusion de l’enquête, le recours au split screen est de plus en plus rare, comme pour souligner le cheminement progressif vers une seule et unique réalité. Les scènes d’interrogatoire entre Bottomly (Henry Fonda) et le suspect Albert DeSalvo (Tony Curtis) donnent lieu à une réalisation plus épurée, où la caméra fixe longuement le visage de DeSalvo, son vis-à-vis demeurant hors cadre – manière de mieux se concentrer sur ses dilemmes moraux et ses troubles psychiques.

Albert DeSalvo (Tony Curtis)
Quand DeSalvo plonge dans ses souvenirs, des plans alternatifs permettent de figurer l’opposition entre la réalité des faits et ce que l’homme imagine s’être déroulé. D’autres séquences tout aussi remarquables montrent Henry Fonda en arrière plan dans la « mémoire » du suspect, symbole de sa conscience et de son intrusion dans son esprit. Image que réutilisa, de façon plus grossière, Stephen Hopkins dans Suspicion, le remake (raté) de Garde à vue.

John S. Bottomly (Henry Fonda) apparaît dans les souvenirs de Albert DeSalvo.
La précision du scénario de L’Étrangleur de Boston
Comme mentionné plus haut, L’Étrangleur de Boston est le récit d’événements véridiques, et le scénario d’Edward Anhalt, adapté d’un roman de Gerold Franck (Anhalt avait déjà fait un très bon travail d’adaptation avec Le Bal des maudits, d’Edward Dmytryk), est d’une richesse et d’une précision remarquables, aussi bien dans la retranscription minutieuse des faits que dans la peinture de l’ensemble des personnages impliqués dans ceux-ci.
Si la réalisation sert totalement l’histoire mais en privilégiant une approche très esthétique, sophistiquée, purement cinématographique, le scénario adopte lui une démarche documentaire.
L’Étrangleur de Boston est constitué d’une partie que l’on pourrait dire « policière » (l’enquête, les crimes) et une partie résolument psychologique. Ces deux chapitres sont développés avec une crédibilité et un souci du détail littéralement fascinants et captivants. La dimension psychologique, si délicate à traiter sans tomber dans des clichés, est convaincante et maîtrisée : les scènes entre John S. Bottomly et Albert DeSalvo sont haletantes, passionnantes, rendant parfaitement compte du cheminement intérieur douloureux initié par le suspect, guidé par le juriste. La progression lente et laborieuse de cette démarche est subtilement restituée, par le biais du jeu des acteurs – nous y reviendrons – et de trouvailles visuelles et scénaristiques qui nous plongent littéralement dans l’esprit du personnage et dans le processus d’analyse.
L’approche psychologique et humaine du film
Le personnage de l’étrangleur de Boston, remarquablement écrit sur le papier, exigeait une interprétation de premier ordre. Tony Curtis est proprement hallucinant dans le rôle. Ses expressions, ses regards, expriment à merveille la maladie mentale dont il souffre et le déchirement intérieur qu’il subit.

Tony Curtis
Si tous les acteurs sont remarquables (Fonda, Kennedy, Hamilton que l’on retrouvera, plus tard, en shérif véreux dans Les Dents de la mer), c’est évidemment la composition de Curtis qui marque le plus. La justesse de son jeu sert admirablement le point de vue, l’objectif du film : présenter l’étrangleur certes comme un dangereux meurtrier, dont les actes sont évidemment hautement condamnables, mais aussi comme un être humain qu’il faut soigner, traiter.
L’Étrangleur de Boston prend donc le contrepied de nombreux polars de l’époque en approfondissant la dimension psychologique et en humanisant le meurtrier. En cela, le propos du film est particulièrement éclairé. En France, l’on croisera également un personnage de tueur à la fois effrayant et troublant au cinéma : celui du fameux boucher joué par Jean Yanne dans le film éponyme de Claude Chabrol, sorti deux ans après L’Étrangleur de Boston.
À la fois rigoureux et inventif dans sa manière de reconstituer minutieusement l'affaire criminelle dont il s'inspire, L'Étrangleur de Boston se distingue également par une approche humaniste dont la portée résonne encore aujourd'hui. Ces qualités lui donnent une aura particulière et en font l'un des grands classiques du cinéma policier.
3 commentaires
A voir du même réalisateur « 10, place rillington Place ».
L’Etrangleur de la place Rillington (10 Rillington Place), basé sur le livre de Ludovic Kennedy, avec Richard Attenborough dans le rôle de Christie et John Hurt dans celui d’Evans. Plusieurs séquences ont été tournées au sein même de la place Rillington (renommée Ruston Close après l’exécution de Christie), utilisant un éclairage au gaz similaire à celui de l’époque, peu de temps avant le réaménagement du quartier.
sam
J’aimerai beaucoup voir « 10 Rillington Place », moins connu que « L’étrangleur de Boston » mais parait-il très bon également. Je pense qu’il n’existe qu’en zone 1, et il n’est pas facile à trouver.
Fleischer reste sous-estimé. Avec le même Curtis, on se souvient avec plaisir de ses « Vikings ». Sur un usage extrême du « split screen », connaissez-vous le « Timecode » de Figgis ?