Film de Sean Branney
Pays : Etats-Unis
Année de sortie : 2011
Scénario : Sean Branney et Andrew Leman, d’après The Whisperer in Darkness de H.P. Lovecraft
Photographie et montage : David Robertson
Musique : Troy Sterling Nies
Avec : Matt Foyer, Matt Lagan, Lance J. Holt, Andrew Leman, Stephen Blackehart, Paul Ita
Adapté de la nouvelle éponyme de H.P. Lovecraft et distribué par la H. P. Lovecraft Historical Society, The Whisperer in Darkness (Celui qui murmurait dans les ténèbres) est une curiosité qui devrait séduire les lecteurs du célèbre écrivain américain, ainsi que les amateurs du cinéma américain d’horreur et de science-fiction des années 30, dont le film adopte les codes esthétiques.
Synopsis de The Whisperer in Darkness
Le professeur Albert Wilmarth est un scientifique spécialisé dans l’étude du folklore. Lors d’un débat public, il s’oppose à l’écrivain Charles Fort à propos de supposées créatures mystérieuses hantant les collines du Vermont : selon Fort, elles existeraient bel et bien tandis que Wilmarth affirme qu’il s’agit de légendes inspirées entre autres par la littérature fantastique.
Après le débat, que finit par dominer l’écrivain fantasque et beau parleur, Wilmarth est approché par George Akeley. Ce dernier est le fils de Henry Akeley, un fermier du Vermont qui, par le biais de lettres envoyées au professeur, prétend que des êtres menaçants rôdent autour de sa ferme. Wilmarth avait toujours trouvé cette correspondance intéressante sans pour autant croire un instant à son contenu, mais devant le témoignage de George, agrémenté de photographies troublantes, il commence à douter.
Quelques temps plus tard, une nouvelle lettre d’Henry le pousse à partir pour le Vermont afin d’y voir plus clair…
Critique du film
Près de 80 ans après sa disparition, H.P. Lovecraft demeure une influence importante dans différents domaines artistiques. Ses nouvelles, au-delà de leur qualité littéraire, ont créé une mythologie (peuplée de noms évocateurs : Cthulhu ; Dagon ; Mi-go ; les « Anciens »…) et un style horrifique (communément désigné sous le nom d’horreur cosmique
) dont on trouve des références plus ou moins évidentes dans de nombreux films, romans, bande dessinées, albums musicaux et jeux vidéo. Du côté du 7ème art, on citera par exemple Stuart Gordon, dont les Re-Animator, From Beyond et Dagon sont des adaptations de nouvelles d’H.P Lovecraft – des adaptations d’ailleurs très libres, ponctuées d’un humour et d’un érotisme absents des récits austères de l’écrivain américain. John Carpenter injecte dans L’Antre de la folie des éléments qui renvoient à l’auteur de L’Appel de Cthulhu et du Cauchemar d’Innsmouth. Guillermo del Toro, qui pour l’instant n’a toujours pas pu adapter Les Montagnes hallucinées (l’une des plus célèbres nouvelles de Lovecraft), a approché indirectement son univers en tournant Hellboy, lequel comporte plusieurs ingrédients propres à l’horreur Lovecraftienne
– au même titre que le récent Absentia, de Mike Flanagan, dans un tout autre style.
The Whisperer in Darkness est l’un des derniers exemples en date. Ce film indépendant est basé sur la nouvelle intitulée Celui qui murmurait dans les ténèbres. Il a été produit, réalisé et distribué par des membres du HPLHS (H. P. Lovecraft Historical Society), une organisation fondée au Colorado en 1984, et qui compte à son actif des albums parodiques, des comédies musicales, des fictions radiophoniques et des longs-métrages, tous basés sur les travaux de l’écrivain tourmenté.
Le film présente la particularité d’avoir été tourné et mis en scène selon les codes du cinéma d’épouvante et de science fiction américain des années 30, décennie qui correspond aux dernières années de la vie de Lovecraft, mort en 1937. Notons au passage que The Call of Cthulhu (2005), adapté de la nouvelle éponyme et également réalisé par le HPLHS, a quant à lui l’apparence d’un film muet des années 20 ; il y a donc une volonté commune aux deux films : celle de situer le récit, y compris au niveau formel et esthétique, à l’époque même où l’écrivain officiait.
Ce parti pris, dans le cas de The Whisperer in Darkness, donne lieu à plusieurs moments kitsch, voire parodiques, ou qui du moins prêtent à sourire. Au-delà de la ribambelle d’effets sonores et visuels old school (comme les solennels coups de tonnerre qui ponctuent plusieurs séquences), c’est aussi au niveau de l’interprétation et de la diction que l’on ressent un décalage amusant avec le cinéma moderne : la composition de plusieurs acteurs évoque en effet, à travers des mimiques et des répliques ouvertement surjouées, le style de jeu plus théâtral relatif au cinéma des années 30. S’il présente donc une dimension comique, le film n’en demeure pas moins respectueux du matériau original : l’intrigue principale est assez fidèlement reprise (dans la première partie du film), et le ton n’est pas léger d’un bout à l’autre – même si l’esthétique globale créé une distance qui fait que The Whisperer in Darkness, s’il peut être inquiétant par moment, n’est jamais vraiment effrayant.
Le scénario propose un développement absent, bien que partiellement suggéré, dans la nouvelle – il est vrai que Lovecraft rechignait souvent à conclure trop explicitement ses récits : il préférait l’atmosphère et la suggestion à l’action pure, et les scénaristes ont donc imaginé des péripéties sans lesquelles il eût été difficile d’aller au-delà du court ou moyen métrage. Ces événements additionnels s’insèrent naturellement dans le récit et l’ensemble s’avère rythmé et cohérent de bout en bout.
Visuellement, The Whisperer in Darkness est un peu déroutant car en dépit du noir et blanc et surtout des codes associés au cinéma de genre des années 30, la définition de l’image est celle d’un film contemporain – on peut dès lors se demander s’il n’aurait pas été intéressant d’aller au bout de la démarche en proposant un grain plus typique du cinéma de l’époque. D’un autre point de vue, ce décalage donne au film un certain cachet, renforcé par la photographie soignée de David Robertson – auteur d’un travail rigoureux sur les éclairages.
Au final, Sean Branney livre ici un divertissement original, plutôt bien construit et qui respire l’enthousiasme de ses créateurs. Le plaisir devient dès lors communicatif, si on n’attend pas davantage qu’une agréable curiosité – curiosité qui séduira plus facilement les lecteurs de Lovecraft mais qu’on ne déconseillera pas pour autant aux autres, surtout si elle peut être une porte d’entrée vers l’univers de cet auteur culte et fascinant.
The Whisperer in Darkness : une nouvelle inspirée par les récits d’Arthur Machen
Même les artistes les plus influents ont eux-mêmes puisé une partie de leurs idées chez d’autres, et H.P. Lovecraft ne fait pas exception sur ce point, d’autant plus qu’il était un lecteur passionné et un fin connaisseur de la littérature fantastique et horrifique. Il suffit de lire son essai Épouvante et surnaturel en littérature pour s’en convaincre : Lovecraft a beaucoup lu, aussi bien des auteurs renommés (Nathaniel Hawthorne, Guy de Maupassant – dont il admirait le fameux Horla -, Edgar Poe, Bram Stoker…) que d’autres plus confidentiels. Et certains de ces écrivains ont été pour lui une source d’inspiration importante – en particulier le britannique Arthur Machen.
Lovecraft considérait en effet ce dernier comme l’un des maîtres modernes de la littérature horrifique surnaturelle. Et en lisant des nouvelles comme La Pyramide de feu, Le Grand Dieu Pan et L’Histoire du cachet noir, on trouve en effet des thématiques et des atmosphères que tout amateur de Lovecraft jugera familières. C’est une influence totalement revendiquée par l’auteur de La Couleur tombée du ciel : la nouvelle qui nous intéresse ici, à savoir The Whisperer in Darkness, fait explicitement référence au mystérieux petit peuple
qui hante plusieurs écrits d’Arthur Machen – et en particulier L’Histoire du cachet noir. Robert M. Price, professeur de théologie et grand spécialiste de Lovecraft, ira d’ailleurs jusqu’à dire que Celui qui murmurait dans les ténèbres est une ré-écriture
de la nouvelle précitée de Machen. Excellente nouvelle d’ailleurs, qui relate l’histoire d’un professeur enquêtant, dans des coins reculés de la campagne anglaise, sur l’existence d’un peuple mystérieux…
The Whisperer in Darkness est un film sympathique qui fera passer un bon moment aux amateurs de Lovecraft, et dont l'esthétique années 30 est à la fois attachante et dépaysante. On conseillera au passage la lecture des nouvelles d'Arthur Machen (et notamment L'Histoire du cachet noir), auteur qui inspira beaucoup H.P. Lovecraft mais dont la notoriété est nettement plus confidentielle.
Un commentaire
Je vais m’empresser de le voir! Et merci pour la référence à absentia, idem, je n’en avais pas entendu parler.