Film de Stuart Gordon
Année de sortie : 1986
Pays : États-Unis
Titre original : From Beyond
Scénario : Brian Yuzna, Stuart Gordon et Dennis Paoli, d’après la nouvelle From Beyond de H.P. Lovecraft
Photographie : Mac Ahlberg
Montage : Lee Percy
Avec : Jeffrey Combs, Barbara Crampton, Ken Foree, Ted Sorel, Carolyn Purdy-Gordon.
Dr Katherine McMichaels: If there’s a statistic correlation between schizophrenia and an enlarged pineal, they may be seeing or feeling what we saw. Their minds may be influenced by those creatures.
Buford ‘Bubba’ Brownlee: Well how about the hard-on I got? Is there a statistic correlation for that too?
Réjouissante série B typique de l’univers de Stuart Gordon – qui mêle horreur Lovecraftienne, grand guignol et sexe -, Aux Portes de l’au-delà (From Beyond), sans être aussi culte que Re-Animator (du même réalisateur), se regarde avec plaisir.
Synopsis d‘Aux Portes de l’au-delà (From Beyond)
À partir des travaux du Dr. Edward Pretorius, dont il est l’assistant, le jeune Dr. Crawford Tillinghast élabore une machine, le résonateur, qui stimule la glande pinéale. Or selon Pretorius, celle-ci peut potentiellement révéler à l’individu une réalité que les cinq sens ne peuvent percevoir…
Critique du film
Les nouvelles d’Howard Phillips Lovecraft sont réputées comme plutôt difficiles à adapter au cinéma : leur atmosphère bien particulière et la manière dont elles mettent en scène une horreur souvent indescriptible, obscure et assez abstraite, font qu’il n’est en effet pas évident, pour un réalisateur, de les mettre en images.
Dès le cultissime Re-Animator, son second long-métrage et son film le plus célèbre, Stuart Gordon est parvenu à relever le défi en abordant l’univers tourmenté de l’écrivain américain avec respect, certes, mais aussi beaucoup de liberté et de fantaisie. Chez Stuart Gordon, les monstruosités et les angoissants mondes parallèles qui hantaient l’imagination fiévreuse de Lovecraft côtoient le plus souvent un humour décomplexé et un érotisme explicite, et il faut reconnaître que la recette est savoureuse.
Aux Portes de l’au-delà (From Beyond), tourné juste après Re-Animator, en reprend tous les ingrédients. Plus tard, avec le glauque et pervers Castle Freak (1995), le très bon Dagon (2001) et aussi Le Cauchemar de la sorcière (2005), l’un des deux segments qu’il réalisa pour le projet Masters of Horror, Stuart Gordon adaptera à nouveau des récits de Lovecraft, avec la complicité systématique du scénariste Dennis Paoli. On retrouve également parmi ses collaborateurs réguliers Brian Yuzna (réalisateur de quelques bonnes séries B dont le méconnu Society, avec sa vision monstrueuse, au sens propre, de la haute société américaine), qui participa à l’écriture de Aux Portes de l’au-delà et travailla sur plusieurs films de Stuart Gordon (Re-Animator, Aux Portes de l’au-delà, Les Poupées, Dagon) comme producteur.
Depuis quelques années, Stuart Gordon développe un cinéma plus réaliste et plus grave, où la violence véhicule un discours social évident ; c’est le cas dans Edmond, écrit par David Mamet (d’après sa pièce), mais aussi dans Stuck, son avant dernier film, avec la jolie Mena Suvari (que l’on peut voir notamment dans American Beauty et également dans la brillante série TV Six Feet Under, deux projets nés de l’imagination du talentueux Alan Ball).
Mais revenons au troisième film de Stuart Gordon, Aux Portes de l’au-delà (From Beyond). Au milieu des années 80, fort du succès de l’excellent Re-Animator, le metteur en scène s’attaque de nouveau à un récit de H.P. Lovecraft, intitulé From Beyond, dont il signe l’adaptation avec Dennis Paoli et Brian Yuzna. Le film raconte l’histoire d’un physicien pervers (le Dr. Edward Pretorius, incarné par Ted Sorel) qui, assisté du jeune Dr. Crawford Tillinghast (Jeffrey Combs, déjà présent dans Re-Animator), élabore une machine (le résonateur) supposée stimuler la glande pinéale et permettre ainsi d’accéder à un nouveau degré de perception – la glande devenant une sorte de « troisième œil » révélant l’existence d’entités maléfiques d’ordinaire invisibles.
On retrouve là une obsession récurrente chez Lovecraft, à savoir l’existence de créatures indescriptibles, plus anciennes et puissantes que l’homme et dont l’émergence viendrait ébranler la civilisation et confronter l’être humain à une horreur viscérale, absolue, sans âge. Ce qui est amusant, c’est la manière dont le film traite de ce sujet vertigineux : si on a du mal à visualiser les monstres évoqués par l’écrivain, tout simplement parce qu’il n’en donne pas toujours une description précise (les termes innommables
et indicibles
sont récurrents dans ses nouvelles), Stuart Gordon n’y va pas par quatre chemins et nous montre clairement des créatures improbables et une sorte de Dr. Pretorius hybride et dégueulasse, à grands coups d’effets spéciaux modestes (budget oblige), pour un résultat plus comique qu’effrayant – ce qui ne dessert en rien le film, entendons-nous bien.
Ensuite, comme on pouvait s’y attendre de la part de Stuart Gordon (je suis un des rares réalisateurs à avoir mélangé l’horreur et le sexe dans mes films
, déclare t-il dans une récente interview accordée à Mad Movies), la stimulation de la glande pinéale provoque une forte excitation sexuelle (aspect que l’on ne trouve absolument pas dans la nouvelle d’origine), parti pris qui permet d’exploiter à nouveau l’avantageuse plastique de Barbara Crampton, déjà mise à l’honneur dans Re-Animator, et qui interprète ici le rôle du Dr Katherine McMichaels. Celle-ci n’éprouve en effet pas qu’un intérêt scientifique pour une expérience qui éveille en elle des pulsions sexuelles refoulées, comme le montre très bien la séquence où, en tenue évocatrice, elle masturbe le Dr. Crawford Tillinghast pendant son sommeil…
Plus tard dans le film, la glande pinéale, en surgissant du front de la victime, évoque clairement un pénis en érection ; et quand elle se rétracte, l’orifice ressemble… à un anus. Si elle n’est volontairement pas subtile pour deux sous, la dimension sexuelle évidente du film n’est pas gratuite pour autant : en jouant sur le rapport entre plaisir et souffrance, horreur et érotisme, attraction et répulsion, Stuart Gordon s’inscrit dans une certaine tradition du cinéma d’horreur, qu’il aborde de façon franche, comique et décomplexée.
On pense un peu à l’univers de l’écrivain et cinéaste Clive Barker, plus glauque et moins drôle, mais où l’on retrouve cette ambiguïté (voir, par exemple, la série de films Hellraiser, dans lesquels des créatures aux mœurs douteuses, les Cénobites, mêlent jouissance sexuelle et tortures sadiques). L’au-delà filmé par Stuart Gordon stimule donc chez l’individu un appétit sexuel destructeur qui est le véritable « monstre » du film ; et c’est en cela que le metteur en scène interprète très librement l’œuvre de Lovecraft, où les allusions sexuelles sont absentes ou du moins beaucoup moins évidentes…
Stuart Gordon concocte donc, avec Aux Portes de l’au-delà (From Beyond), une joyeuse tambouille où les démons de Lovecraft mijotent au milieu d’une imagerie érotique et grand-guignolesque et de personnages franchement comiques, qu’il s’agisse du Dr Bloch (Carolyn Purdy-Gordon), stéréotype de la femme sexuellement frustrée et jalouse de sa rivale (le Dr McMichaels) ; de Tillinghast (Jeffrey Combs), jeune assistant à la fois brillant, terrassé, maladroit et amoureux transi ; de Pretorius (Ted Sorel), cliché du savant lubrique et manipulateur ; du Dr McMichaels (Barbara Crampton), la jolie blonde américaine typique qui plonge à corps perdu dans les pièges érotiques tendus par l’au-delà (et dans ses fantasmes inavoués) ; et surtout de l’officier de police Buford ‘Bubba’ Brownlee (Ken Foree), condensé de virilité et de sang-froid, dont les expressions, les attitudes et les tenues (il se bat tantôt en slip, tantôt vêtu d’un haut de footballer américain) prêtent à rire, tant elles jouent avec les codes du héros américain hyper masculin, sans peur et sans reproches. Rappelons que Ken Foree incarne le personnage de Peter, membre du SWAT, dans l’excellent Zombie (1978) de George Romero. On le retrouvera plus tard dans la série B Le Dentiste (de Brian Yuzna, co-scénariste de Aux Portes de l’au-delà ; Stuart Gordon a d’ailleurs participé au scénario du Dentiste) et surtout dans The Devil’s Rejects, de Rob Zombie, où il interprète le rôle du frère du Capitaine Spaulding, Charlie Altamont.
Si Aux Portes de l’au-delà (From Beyond) est un peu moins maîtrisé que Re-Animator, le film perdant un peu de sa saveur et de son rythme sur la fin, c’est là l’œuvre réjouissante d’un cinéaste intelligent et drôle, qui s’est approprié l’univers de H.P. Lovecraft à travers des séries B sans prétention mais divertissantes et pleines de bonnes idées. Parce qu’elles portent l’empreinte de leur auteur et mélangent habilement horreur, humour et sexe, elles font partie des fleurons d’un genre qu’une certaine intelligentsia du cinéma a bien tort de mépriser.
Anecdotes
- Le nom du Dr Bloch, interprétée par Carolyn Purdy-Gordon dans le film, fait référence à l’écrivain américain Robert Bloch, ami de Lovecraft et auteur notamment du roman qui inspira le Psychose d’Alfred Hitchcock.
- Carolyn Purdy-Gordon est, comme son nom l’indique, l’épouse de Stuart Gordon. Elle joue dans Re-Animator, Aux Portes de l’au-delà, Les Poupées et Stuck, l’avant dernier film du réalisateur.
- Même quand ses nouvelles ne sont pas directement adaptées, les thématiques de Lovecraft et l’imagerie terrifiante associée à son univers inspirent régulièrement les scénaristes et réalisateurs. Clover, la créature du film Cloverfield, fait songer par certains aspects aux monstres qui hantent l’œuvre de l’écrivain. Dans Hellboy II, on peut voir des
Elder Things
, une espèce créée par Lovecraft qui apparait dans la nouvelle At the Mountains of Madness. Le scénario de Derrière les murs, un film fantastique français en 3D avec Lætitia Casta qui sortira prochainement sur les écrans, puise une partie de son inspiration dans les nouvelles fantastiques de Guy de Maupassant, Edgar Allan Poe et H.P. Lovecraft (de l’aveu même des réalisateurs Pascal Sid et Julien Lacombe).
Aux Portes de l'au-delà (From Beyond) est une mixture rosâtre mélangeant les thèmes de Lovecraft avec une imagerie érotique et une violence graphique plus comique qu'effrayante. L'ensemble est suffisamment drôle, attachant et assumé pour que l'on passe un bon moment.
9 commentaires
Salut Poulpe
Serie Z plutot que B.Dans le meme genre Rage ou Scanners de Cronenberg c’est autre chose.
Je ne trouve pas ça très comparable… Stuart Gordon c’est vraiment du cinéma « fun », divertissant (même s’il y a des idées pas inintéressantes), ce ne sont pas les mêmes prétentions que chez Cronenberg, notamment du côté de l’esthétique. Mais je trouve ça bien que ce cinéma existe ! J’ai pris beaucoup de plaisir à regarder des films comme « Dagon » et « Re Animator », par exemple.
Après on peut effectivement parler de série Z ,mais pour ma part sans connotation négative !
Je ne trouve pas le cinéma de Cronenberg pretentieux. La serie Z n’est pas négative c’est juste un constat. Dommage que tu ne vois pas les similitudes.
Alors c’est vrai que le truc qui sort du front du héros dans « From Beyond » et tout le délire sur la mutation physique et les connotations sexuelles, je n’avais pas fait le rapprochement mais ça peut effectivement faire songer à du Cronenberg… C’est à cela que tu faisais référence ? En ce cas je suis plutôt d’accord.
De Cronenberg j’avais bien aimé « La Mouche » (je devais avoir 12 ans, faudrait que je le revois), « Vidéodrome » avec James Woods, et effectivement « Scanner » est plutôt bon. « Spider » est vraiment trop glauque, et « Les promesses de l’ombre » j’ai encore moins aimé que « History of violence », qui est un bon film mais qui ne m’a pas emballé. Enfin ado j’avais plutôt accroché à « Crash » mais pareil faudrait que je le revois…
Ben tu vois quand tu veux!
La mouche et la métaphore sur le sida plutot baleze. Mais dans le genre furieux, Cromosome 3. Dead Ringers restant a mon avis son chef d’oeuvre. A propos de Chromosome 3, Cronenberg avait dit » Pour en finir une fois pour toute avec mon divorce ». Si tu vois le film, le mec a un sacré humour…
Ah oui Chromosome 3 je l’avais acheté un peu par hasard il y a bien longtemps, bien barré en effet… Il m’avait plu. « Faux semblants » j’étais trop jeune, ça m’a totalement échappé ! Sinon « Les moissons du ciel » c’est également le Malick que je préfère, avec un Sam Shepard excellent, quelle présence ! Et visuellement le film est extraordinaire… La séquence où les champs prennent feu, c’est vraiment l’apocalypse !
[…] a French review of the film featuring a video of Dr. Katherine McMichaels in S and M mode here if you need it. Ah, go ahead, who could blame you?) Dr. Katherine McMichaels (Barbara Crampton) in […]
De Gordon, on préfèrera Castle Freak (qui reprend l’argument de « Phenomena ») et le triptyque réaliste « Edmond »/« King of the Ants »/« Stuck ». Excellent extrait de l’excellente Barbara Crampton !