Film de Richard Stanley
Pays : États-Unis
Année de sortie : 2019
Scénario : Richard Stanley, d’après La Couleur tombée du ciel (Color Out of Space) de H.P. Lovecraft
Photographie : Steve Annis
Montage : Brett W. Bachman
Musique : Colin Stetson
Avec : Nicolas Cage, Joely Richardson, Madeleine Arthur, Elliot Knight, Brendan Meyer
Le PIFFF 2019 s’est ouvert avec une nouvelle adaptation de H.P. Lovecraft, Color Out of Space (La Couleur tombée du ciel), qui depuis quelques mois alimente la curiosité des fans de l’écrivain.
Synopsis du film
De nos jours, dans le Massachusetts. La famille Gardner vit dans une ferme familiale située non loin de la ville (fictive) d’Arkham. Une nuit, ce qui ressemble à une météorite s’écroule dans leur jardin, en diffusant une lumière singulière.
Le quotidien des Gardner va rapidement être bouleversé par cet événement…
Critique de Color Out of Space (La Couleur tombée du ciel)
Drôle de parcours que celui du réalisateur sud-américain Richard Stanley, auteur de deux films d’horreur indépendants au tout début des années 90, d’un film musical autour du concept album Brave du groupe de rock progressif britannique Marillion, avant d’embarquer sur le canot branlant de L’Ile du Dr. Moreau (la version de 96), dont il co-signa le scénario avant d’être remplacé, derrière la caméra, par le célèbre John Frankenheimer (ce qui n’empêcha pas le film d’être conspué par la critique). Depuis, si Stanley s’est illustré dans le documentaire et a participé à l’écriture de deux films de genre (The Abandoned et Image Mortis), son parcours artistique est resté largement confidentiel et plutôt irrégulier, à en juger par les années qui séparent la plupart de ses projets.
Le voilà de retour avec un film qui fait parler de lui pour deux raisons principales : d’abord, il est adapté d’une nouvelle (et pas n’importe laquelle, nous y reviendrons) de H.P. Lovecraft, l’un des papes de la littérature horrifique du 20ème siècle ; ensuite, le casting comprend Nicolas Cage. Pour le coup, l’acteur américain est très actif mais on ne peut pas dire pour autant que ses choix soient toujours judicieux, sa filmographie exécutant des grands écarts vertigineux entre des chefs d’œuvre (Sailor et Lula, Rusty James), d’excellents films (Leaving Las Vegas, A Tombeau ouvert), des divertissements bien troussés (Kick Ass), des singularités bancales mais pas inintéressantes (Embrasse-moi, vampire) et des navets divers et variés, largement majoritaires au cours de ces dernières années.
C’est donc un drôle de tandem que forment Stanley et Cage ; un tandem imprévisible, un peu branlant, un peu fou aussi. Des caractéristiques qui d’un certain point de vue, ne semblent pas inappropriées quand il s’agit d’aborder l’univers si particulier de Lovecraft, hanté par des cauchemars cosmiques et des visions démentielles.
La Couleur tombée du ciel (Color Out of Space) fait partie des grands textes de l’auteur originaire de Providence (Rhode Island). Son statut est d’autant plus prestigieux que Lovecraft lui-même l’a évoqué comme étant son favori. Cette nouvelle avait déjà été portée à l’écran à deux reprises, en 1965 (Die, Monster, Die!) et en 1987 (The Curse), aucune de ces tentatives n’ayant marqué les mémoires. Certains ont noté, sans doute à juste titre, des similarités entre la trame de La Couleur tombée du ciel et Annihilation (2018), une récente (et dispensable) production Netflix avec Natalie Portman. Rappelons ici que Lovecraft a inspiré, plus ou moins directement, de très nombreux films et réalisateurs : on trouve par exemple son influence chez Guillermo del Toro (qui a longtemps nourri le projet d’adapter Les Montagnes hallucinées) tandis que Stuart Gordon, avec 5 adaptations au compteur (dont les cultes Re-Animator et From Beyond), a intimement relié sa carrière aux écrits de l’auteur de The Whisperer in Darkness.
Il n’est pas aisé de porter une nouvelle de Lovecraft à l’écran ; déjà parce qu’il s’agit de nouvelles, souvent trop courtes pour constituer un scénario de long métrage ; ensuite parce que les personnages y sont en général peu développés (l’atmosphère étant le point fort de l’écrivain) ; enfin parce que l’horreur y est davantage suggérée que précisément décrite, ce qui pose donc des difficultés quand il s’agit de la représenter visuellement à l’écran.
Autant le dire d’emblée, Richard Stanley se sort honorablement de cet exercice périlleux. Il s’approprie plutôt intelligemment le matériau initial, ajoutant (et étoffant) plusieurs personnages et péripéties, et développant des enjeux dramatiques absents de la nouvelle. Il intègre même à son scénario un aspect initiatique autour du thème de la famille et de l’appartenance, qui transparait à travers l’évolution du personnage de l’adolescente incarnée, avec talent, par Madeleine Arthur. D’un point de vue visuel, son travail est audacieux, et le plus souvent réussi : certains plans marquent la rétine du spectateur, et l’esthétique psychédélique, qui flirte parfois avec un certain kitch, maintient un équilibre entre la liberté créative du metteur en scène et les visions cauchemardesques et abstraites qu’inspire la lecture de Lovecraft. En d’autres termes, Stanley tord le texte d’origine, l’utilise à sa façon tout en parvenant, par à-coups, à restituer une horreur typiquement lovecraftienne.
À l’instar de Stuart Gordon, Stanley ajoute de nombreuses touches d’humour et parfois une dimension sexuelle absente (ou alors très implicite) chez Lovecraft, tout en optant pour une horreur volontiers plus explicite, plus cradingue, qui reste largement hors-champ chez l’écrivain (en ce sens, sa démarche est ici une nouvelle fois comparable à celle de Gordon). Toutefois, on sent que le cinéaste cherche également à livrer une « copie » sérieuse, et c’est peut-être là que le bât blesse : le film ne semble pas assumer toute sa folie, s’arrêtant à mi-chemin et paraissant hésiter entre une certaine sobriété et un lâcher-prise. Même Cage, s’il lâche par moments les chevaux (comme il l’a fait bien des fois), semble presque bridé par un script finalement plus timoré qu’on ne l’aurait supposé de prime abord.
Il en résulte que le long métrage vacille entre deux approches (une horreur gore, déjantée et décomplexée ; et une tonalité plus inquiétante, plus solennelle, plus proche de celle de l’écrivain), alternant les moments inspirés avec d’autres plus fades, plus tièdes. Mais Lovecraft a déjà été moins bien traité au cinéma ; pour cette raison, vous pouvez aller voir Color Out of Space si vous aimez l’univers de ce grand écrivain américain (et si vous ne le connaissez pas, il y a pire façon de l’approcher).
Color Out of Space est à l'image du parcours cahoteux de son réalisateur : bancal mais généreux, personnel et parfois inspiré. On saluera les éléments plutôt pertinents ajoutés à la trame initiale, tout en regrettant un vacillement entre deux approches distinctes, qui fait que l'ensemble ne convainc jamais totalement.
5 commentaires
Très agréablement surpris par ce « Color out of space » visionné lors du festival du film de genre de Lyon. Ce n’est certes pas la plus facile à adapter des nouvelles de Lovecraft (comment donner un potentiel horrifique à une simple couleur ?), et j’ai trouvé cette transposition contemporaine plutôt maline. Les transformations corporelles de certains protagonistes sont carrément gonflées, et les visions extra-terrestres finales absolument fidèles à l’esprit de l’auteur. Le son est très réussi…Bref, le film n’est pas exempt de reproches (quelques scarejumps inutiles), mais tout à fait honorable, et même bien meilleur à mon avis que les adaptations de S. Gordon.
Merci pour votre commentaire ! Il y a de bonnes idées oui, et quelques bonnes scènes. Je préfère quand même Stuart Gordon où il y a un côté farce assez assumé, alors que là on est à mi-chemin, ce qui peut être intéressant mais en l’occurrence j’ai trouvé ça trop bancal, c’est-à-dire ni vraiment drôle ni vraiment effrayant ni suffisamment intéressant… quant aux transformations des corps c’est gonflé en effet, mais un peu hors-sujet je trouve. Ceci dit j’ai globalement passé un bon moment, ça reste au-dessus de pas mal de films inspirés de Lovecraft, directement ou non.
Oui, je pense que c’est au-dessus du lot, ne serait-ce que c’est d’après moi un « bon » Cage. La meilleure adaptation d’HPL reste malgré tout pour moi The Mist, d’après…Stephen King.
Votre remarque est très juste ! Je n’y avais pas songé mais en effet, « The Mist » est sans doute l’un des récits de King les plus lovecraftiens, et oui l’adaptation ciné est réussie. Si vous ne l’avez pas vu, je vous conseille
, qui est peut-être un peu scolaire mais très honorable et très fidèle à la nouvelle éponyme (on est très loin des libertés prises par Stuart Gordon ! même si elles me réjouissent). Par ailleurs, le très bon comporte dans son intrigue un élément lovecraftien, même si les auteurs ont un univers bien à eux.Merci pour les conseils de visionnage, je marque ça sur mes tablettes.
Bravo pour votre blog, c’est un plaisir de lire vos avis étayés. Je vous ai découvert après un visionnage un peu frustrant de « L’homme de l’ouest » (DVD rayé 5mn avant la fin…) : ce n’est pas si courant de voir un film d’Anthony Mann traité dans un blog ciné français.