Film de William Friedkin
Titre original : To Live and Die in L.A.
Année de sortie : 1985
Pays : États-Unis
Scénario : William Friedkin et Gerald Petievich, d’après le roman de Gerald Petievich To live and die in LA
Photographie : Robby Müller
Montage : M. Scott Smith
Musique : Wang Chung
Avec : William L. Petersen, Willem Dafoe, John Pankow, John Turturro, Darlanne Fluegel.
Ruth: I was reading about the stars. It talks about how the stars are the eyes of God. I think it’s true ; don’t you?
Chance: No, I don’t.
14 ans après The French Connection et 5 ans après Cruising, William Friedkin signe avec Police Fédérale Los Angeles un nouveau film policier, particulièrement nihiliste. Une œuvre atypique qui utilise les codes du polar des années 80 pour mieux les incendier.
Synopsis de Police Fédérale Los Angeles
L’agent fédéral Richard Chance (William L. Petersen) enquête sur Rick Masters (Willem Dafoe), un faux monnayeur particulièrement dangereux. Le jour où ce dernier assassine son coéquipier Jim Hart (Michael Greene), Chance décide de l’arrêter par tous les moyens.
Critique du film
Ruth: What would you do if I stopped giving you information?
Chance: Why?
Ruth: I’d just like to know.
Chance: I’d have your parole revoked.
Le début et la fin du film : une relation significative
Pour comprendre la démarche de William Friedkin et donc le sens de Police Fédérale Los Angeles, il suffit de considérer deux séquences situées au début et à la toute fin du film. Dans la scène qui suit le générique du début, le faux monnayeur Rick Masters brûle une toile qu’il vient d’achever, contemplant le visage d’une femme déformée par le feu ; tandis que la confrontation finale se déroule au beau milieu d’un incendie.
Ce n’est pas un hasard si Police Fédérale Los Angeles débute et se termine dans les flammes : du premier au dernier plan, cette œuvre crépusculaire utilise les codes du polar – et plus particulièrement celui des années 80 – pour les consumer un à un. Mais le feu a une autre signification, plus vaste et vertigineuse : tout est vain, rien n’est vrai ni précieux, et ce qui peut l’être est éphémère, dérisoire. Tout peut donc brûler dans les flammes : l’art, les hommes, et les faux billets.
Les codes du « buddy-cop movies » sérieusement malmenés
Au premier abord, Police Fédérale Los Angeles recycle plusieurs clichés du genre policier : entre le vieux flic blasé qui se fait descendre juste avant sa retraite et le tandem de policiers que tout oppose (Chance est une tête brulée, son coéquipier est beaucoup plus prudent et scrupuleux), Police Fédérale Los Angeles peut évoquer à un spectateur (très) distrait une sorte de Deux flics à Miami en plus trash.

Scène où Chance se rend en voiture chez Ruth, au crépuscule. Le film comprend plusieurs beaux plans sur Los Angeles au coucher du soleil.
Pourtant, de nombreux éléments en font une œuvre totalement atypique, déroutante et largement empreinte de nihilisme.
En effet, si dans de nombreux films policiers mettant en scène un duo de flics (on citera par exemple L’Arme fatale ou Seven), les différences initiales entre les deux héros sont surpassées au nom d’une cause suprême, les antihéros de Police Fédérale Los Angeles n’éprouvent et n’éprouveront jamais la moindre amitié ; seules les circonstances les poussent à avancer ensemble et une indifférence quasi totale caractérise leur relation.
De plus, Friedkin ne cherche à aucun moment à les rendre attachants. Chance est bien davantage motivé par la vengeance que par la justice, et sa rage décuple son égoïsme et son manque absolu de considération envers ceux qui l’entourent ; dont son coéquipier John Vukovich (John Pankow) ou sa petite amie Ruth (la belle Darlanne Fluegel), qu’il utilise froidement.
Son indifférence et son côté cynique et désabusé transparaissent dans ses échanges avec elle. Ainsi quand Ruth lui demande s’il croit que les étoiles sont les yeux de dieu, Chance lui répond simplement No, I don’t
. Évidemment : nul dieu dans Police Fédérale Los Angeles.

Chance (William L Petersen) et Ruth (Darlanne Fluegel) dans « Police Fédérale Los Angeles » : « I was reading about the stars… »
Les regards en disent long également lors des scènes d’intimité entre Chance et Ruth ; ainsi lorsqu’elle l’observe, en arrière-plan, en train de se préparer pour sortir, on a l’impression qu’elle cherche à le saisir – en vain. Il faut dire qu’il n’y a pas grand chose à saisir : Chance est une boule d’énergie qui se consume elle-même dans sa propre rage, et qui n’échange rien avec personne.
De son côté, le coéquipier de Chance (Vukovich) est totalement dépourvu de charisme ; pas meilleur – humainement parlant – que Chance, il n’a ni sa prestance ni son aura.
Le saut dans le vide
La manière dont les deux agents conduisent leur enquête évoque la même ambiguïté que dans The French Connection, du même William Friedkin (dont le dernier plan montre le policier interprété par Gene Hackman disparaître dans l’obscurité après avoir abattu un collègue). Dans Police Fédérale Los Angeles, Chance et Vukovich prennent l’autoroute à contresens au cours d’une poursuite ahurissante, et le symbole est évident…

Chance (William L. Petersen) est un personnage happé par le vide. La scène du saut à l’élastique l’illustre bien.
On retrouve ici le goût de Friedkin pour les personnages borderline, rongés de l’intérieur. Chance fait d’ailleurs du saut à l’élastique, passe-temps très symbolique en l’occurrence : le vide dans lequel il plonge renvoie en effet à l’absence de repères, de but, d’issue qui caractérise l’univers du film et le parcours chaotique de ses différents personnages. Évidemment, le saut dans le vide représente aussi très bien l’inspecteur Chance, un personnage avant tout physique qui semble ne croire en rien ni à personne, et qui n’a aucune attache particulière ; on a le sentiment que seules la peur, la colère, l’adrénaline le connectent véritablement à une existence qui ne tient… qu’à un fil.
Le « bad guy » Rick Masters est un esthète étrange, insondable. Le physique distinctif et le jeu subtil de Willem Dafoe servent d’ailleurs parfaitement les caractéristiques de ce personnage cynique et finalement assez lucide. Il inonde Los Angeles de faux billets, activité qui symbolise le monde sans valeurs dans lequel évoluent des personnages individualistes, et dont les relations sont fausses et intéressées. En brûlant ses toiles, il signe un acte dont la dimension nihiliste et résignée est intimement liée au film et à l’univers qu’il dépeint.
Une boucle qui se répète…
La réalisation est en totale cohérence avec le propos du film. Épaulé par le directeur photo Robby Müller (qui travailla notamment avec Lars von Trier et Jim Jarmusch), Friedkin tourne vite, bouclant des scènes dont les interprètes pensent qu’il s’agit de répétitions, filmant nerveusement et sèchement des actions brutes, soudaines, dont certaines sont d’ailleurs très surprenantes.
Tout va vite, on ne s’attarde sur rien, comme si rien n’en valait la peine. Et rien n’évolue : la fin du film est l’esquisse d’une nouvelle boucle, identique à celles qui l’ont précédé.
Police fédérale Los Angeles est, contrairement à ce que laisse supposer de prime abord son maladroit titre français, l'un des summums du polar des années 80. La mort y est omniprésente et peut surgir à tout moment, comme ce corbeau s'échappant juste devant la voiture conduite par Chance lors de la course poursuite en voiture - mais elle n'a pas de dimension tragique. Finalement, tout est dans le titre original : Vivre et mourir à Los Angeles. L'un n'étant ni mieux, ni pire que l'autre.
4 commentaires
C’était le temps où Friedkin – Monsieur Jourdain du cult movie ? -, n’ayant plus rien à prouver (L’Exorciste, French Connection (auquel on pense ici sacrément !) ou, dans une mesure nettement plus modérée !, Cruising étaient loin derrière…), tricotait encore du gros chanmé, jusqu’auboutiste et vénéneux.
Le temps, éphémère, où l’on crût, l’affaire de deux putain de films (celui-ci et Manhunter de Michael Mann (le même Mann qui poursuivra en pure perte Friedkin pour plagiat de Miami Vice !)), avoir trouvé un nouveau Mel Gibson, plus intense, plus ambigu, plus barge, plus homo-arty (les jambes arquées et le petit blouson de cuir…), en la personne de William L. Petersen (et son négatif bad guy en le trouble Willem Dafoe (qui confirmera bien davantage !)).
Le temps où ce mariage entre une forte documentation, une insensée imprégnation (le film fut tourné en territoire de gangs LA, utilisant de vrais taulards pour les séquences zonzonnisantes,… la corde raide en toutes occasions), une stylisation extrême (et une BO effroyablement dégueulasse !) au paradoxal service d’un réalisme brutal, un sens du récit et un filmage immersifs et spectaculaires (les fameuses poursuites, pédestres ou automobiles) donnait naissance à un objet aussi solide que branchouille (culte, quoi) sachant dérouter, par tant de violence nihiliste, le bigleux amateur de Bronson ou de Norris et faire applaudir l’abonné à Starfix. Ayant un pied dans les deux camps alors (pour Chouque, pas Charles !), il me fallu plusieurs visionnages pour ne plus bouder ni mon plaisir ni mon admiration.
Ce temps-là, c’était le mitan des 80’s, my friends de mauvais goût !
Bonjour,
une grande partie de l’atmosphère de « To Live & Die in L.A. » est due à la partition musicale de Wang Chung, duo anglais des années 80 a qui ont doit quelques « tubes » (Dance Hall Days par exemple)
J’ai eu la chance de discuter avec son leader, auteur et compositeur Jack Hues (jeu de mot avec le « J’accuse » de Zola !!!), il avait été contacté directement par Friedklin qui s’est ensuite battu pour l’imposer comme seul maitre d’œuvre de la bande son.
A l’écoute, le CD de la bande originale de « Police Federal Los Angeles », est de loin le meilleur album de Wang Chung et il propose un trip cohérent avec des mélodies accrocheuses et des chansons pop électriques cyniques et mélancoliques. On revit vraiment le film à chaque écoute et on y navigue entre poussées d’adrénaline et sensation de chute vertigineuse.
Je l’écoute quelque fois (en voiture) et je trouve que l’album vieillit plutôt bien. (Certaines signatures synthétiques sont redevenues à la mode via MGMT ou Muse…). Le travail rythmique, mélodique et sur les arrangements est vraiment propre au style développé dans les précédents tubes de Wang Chung (bouffées d’énergie réglée sur papier à musique) et ne cèdent jamais à la simplicité ou à la copie. Pour avoir rejoué et étudié au piano certains des thèmes de « To Live &Die in LA », disons qu’il y a beaucoup d’astuces structurelles qui justement évitent de fatiguer l’oreille au bout de multiples écoutes… Un des thèmes développé propose un riff de basse musclé qui se répète en boucle (et reproduit la quatre premières notes de la gamme en la mineur) sera archi copié pour d’autres succès (dont celui de « Clubbed To Death » de Rob Dougan, l’hymne de Matrix…mais aussi par la photocopieuse d’Hanz Zimmer ! )
Hues est anglais, ce sera sa première et dernière B.O. …
Friedklin et lui sont depuis devenus de très bons amis et se voient en famille à l’occasion. Souvent les batailles épiques forgent les belles amitiés…
Tout à fait d’accord avec toi Mariaque, je le souligne pas dans la critique mais Petersen a une vraie présence… Il tournera juste après « Sixième sens » de Michael Mann (réalisateur que je trouve hyper surestimé), mais « to live and die in LA » est vraiment LE film de sa carrière.
et oui effectivement on retrouve le réalisme, la crédibilité propres aux films de Friedkin, « cruising » est aussi génial de ce point de vue, d’ailleurs ce sont mes deux films préférés de Friedkin. Tu as vu « Le convoi de la peur »? C’est tiré du même roman que celui adapté par Clouzot avec « Le salaire de la peur ». La version de Friedkin devait réunir Lino Ventura et Steve McQueen! Finalement McQueen s’est désisté, Ventura ne voulait tourner qu’avec lui du coup le film est avec Roy Sheider et Bruno Cremer. C’est un très bon Friedkin, un cran en dessous de celui là mais c’est à voir!
Merci pour ce commentaire très instructif sur la BO!
pour être honnête je l’ai jamais écoutée attentivement, disons que je trouvais juste qu’elle collait bien à l’ambiance ultra eighties du film, mais je vais l’écouter mieux puisque apparemment elle est plus élaborée que je l’avais imaginé.
C’est marrant, à quelle occasion tu as pu rencontrer Jack Hues?