Film de Woody Allen
Année de sortie : 2018
Pays : États-Unis
Scénario : Woody Allen
Photographie : Vittorio Storaro
Montage : Alisa Lepselter
Avec : Kate Winslet, Justin Timberlake, Juno Temple, Jim Belushi, Jack Gore
Dans Wonder Wheel, Woody Allen fait à nouveau tourner la roue du destin et de ses perpétuelles contrariétés, dans un contexte particulièrement rétro. La machine est un peu rouillée, mais la performance de Kate Winslet et la présence d’un petit garçon (joué par Jack Gore) qui renvoie à sa manière au cinéaste lui-même, font que le film possède malgré tout une certaine aura.
Synopsis du film
Dans les années 50, à Coney Island. Ginny Rannell (Kate Winslet) est une ancienne actrice de théâtre qui, après un premier mariage soldé par une rupture douloureuse, vit désormais avec Humpty (Jim Belushi). Les fins de mois sont difficiles : Ginny travaille comme serveuse ; Humpty est agent d’entretien dans un parc d’attraction local. Richie (Jack Gore), le fils que Ginny a eu à l’occasion de son précédent mariage, leur donne du fil à retordre, puisqu’il est pyromane et allume des feux à la moindre occasion.
Cette vie pas facile mais routinière va être bouleversée par deux événements : l’arrivée de Carolina (Juno Temple), la fille d’Humpty, que son ex-mari (un dangereux gangster) a juré de faire abattre ; et la relation extra-conjugale entre Ginny et Mickey Rubin (Justin Timberlake), un sauveteur en mer qui se rêve auteur de théâtre. Les choses vont se compliquer peu à peu à Coney Island…
Critique de Wonder Wheel
Note préalable : il devient difficile de parler de Woody Allen sans évoquer les accusations que sa fille Dylan et son ex-femme Mia Farrow formulent à son encontre car dans le climat actuel, ce silence pourrait suffire à être taxé de complaisance. Pour ma part, ne disposant évidemment pas, comme la quasi totalité des gens, des informations qui me permettraient d’avoir un avis un tant soi peu éclairé sur la question (la lecture d’un article ou d’un tweet ne permet en aucun cas de juger une affaire, quelle qu’elle soit), je ne peux que rester dans le doute ; un doute qui ne me donne pas la possibilité de juger et de condamner, d’autant que j’estime que ce n’est en l’occurrence pas mon rôle. La seule chose qui est certaine, c’est que le contenu des films de Woody Allen n’a jamais eu le moindre rapport, même éloigné, avec ce dont certains l’accusent et de fait, doit pouvoir être apprécié et analysé indépendamment de cela.
Cette vie n’a aucun sens, ça ne va nulle part. C’est comme une grand roue qui tourne
, confiait récemment Woody Allen à la journaliste Laure Adler à l’occasion d’une interview sur France Inter. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le titre mais aussi le contenu de son nouveau film, Wonder Wheel, renvoient directement à cette formule amère.
Woody Allen n’a jamais caché l’angoisse et le pessimisme que lui inspire l’existence humaine, mais c’est quelque chose qui devient sans doute de plus en plus flagrant à la fois dans ses interviews et dans son cinéma. Cela se manifeste notamment par un certain rejet du temps présent ; ainsi si l’action de la majeure partie des films qu’il tournait dans les années 70, 80, 90 et même 2000 se déroulait à l’époque de leur tournage (à quelques exceptions près), c’est moins souvent le cas depuis Minuit à Paris (2011), dont le héros candide (Owen Wilson) faisait régulièrement des bons temporels involontaires et surréalistes dans le Paris des années 20. Magic in the Moonlight se déroule sensiblement à la même époque, tandis que Wonder Wheel nous plonge dans le Coney Island (un lieu mythique situé à Brooklyn, le quartier où grandit Allen) des années 50. La formule est d’ailleurs impropre : le Coney Island filmé par Woody Allen est avant tout le fantasme nostalgique d’un cinéaste qui plus que jamais, enrobe la « réalité » de mille fards (tel le magicien qu’il était dans son jeune âge) tout en exprimant, dans le fond, le point de vue profondément désabusé qu’il adopte à son égard.
En somme, Wonder Wheel illustre plus ou moins les propos de l’auteur quand il dit que le cinéma, la magie sont des moyens de divertir, de faire rêver mais que derrière, il n’y a rien de particulièrement beau. Ici les couleurs sont superbes (la photographie de l’immense chef opérateur Vittorio Storaro, qui a travaillé entre autres avec Coppola et Bertolucci, éclaire magnifiquement les visages des comédiens) ; les décors sont charmants et la musique (du jazz, évidemment) est douce et aérienne ; mais pour autant, il n’y a rien à espérer derrière ces artifices, et Wonder Wheel illustre à nouveau l’idée d’un hasard plus ou moins cruel, d’une impasse à la fois intime et existentielle qui évoque celle dans laquelle se retrouvait Cate Blanchett à la fin de Blue Jasmine (2013). Le rôle tenu ici par Kate Winslet (remarquable) fait d’ailleurs songer à celui joué par Blanchett dans le film précité : ce sont deux femmes désespérées, qui frisent une forme de folie tant leur vie personnelle conjugue désordre, regrets et frustrations.
La particularité de Wonder Wheel est que même son écriture et sa mise en scène renvoient au passé : le texte et le jeu des acteurs n’auraient guère dérouté le public d’une pièce de théâtre jouée dans les années 40 ou 50. Le film cite d’ailleurs Eugene O’Neill et Tennessee Williams, des dramaturges envers lesquels Allen n’a jamais caché son admiration (on notera, pour l’anecdote, qu’Eugene O’Neill a été incarné au cinéma par Jack Nicholson dans Reds, de Warren Beatty, dont le chef opérateur n’était autre que Vittorio Storaro). Si d’une manière générale, les derniers Allen ne frappent pas en particulier par leur modernité (ce n’est guère un reproche), Wonder Wheel va donc plus loin au point de prendre une allure qu’on pourra juger désuète – il appartiendra alors à chacun, selon sa sensibilité, d’y trouver du charme ou inversement un aspect artificiel ; d’autant que plusieurs scènes, censées représenter des moments de joie, semblent manquer de saveur, comme si elles étaient les versions trop rabâchées (passées à la machine
, pour citer Alain Souchon) des fort belles séquences d’intimité qui ponctuent la filmographie d’Allen.
Au niveau de la tonalité, si des longs métrages comme Scoop ou Minuit à Paris étaient de purs moments de divertissement (où l’amertume du cinéaste était perceptible mais pas prédominante), Wondel Wheel est quant à lui un pur mélodrame (teinté de film noir) qui enferme littéralement ses personnages dans un univers rétro certes joli esthétiquement mais sans aucune perspective d’avenir. C’est comme toujours parfaitement exécuté et joué (l’ensemble du casting est parfait), mais le classicisme de l’ensemble et la quasi absence d’humour (certes les remarquables Match Point, Crimes et délits et Le Rêve de Cassandre sont, par exemple, des films graves, mais avec davantage de matière et de densité) font que l’on conserve une certaine distance vis-à-vis d’un récit pas toujours très imaginatif ou subtil – du moins pas autant que ceux que l’auteur d’Hannah et ses sœurs a maintes fois livrés par le passé.
Cette distance est néanmoins ébranlée parfois, car en deux plans – les derniers -, Allen (et ses comédiens) parviennent à saisir quelque chose qui transcende ce matériau un peu trop lisse et conventionnel (nous y reviendrons dans la conclusion ci-dessous). On quittera ainsi la salle partagé entre deux sentiments : celui que, comme la roue auquel le titre du métrage fait référence, Woody Allen tourne un peu en rond, et celui qu’il reste malgré tout un cinéaste d’exception.
Wonder Wheel est l'oeuvre maîtrisée formellement mais profondément désuète d'un auteur qui ne goûte guère le temps présent et dont le pessimisme se fait de plus en plus flagrant au fil du temps. Mais la vision du film, qui n'a pas la saveur des meilleurs Woody, laisse néanmoins en mémoire deux choses précieuses : le visage teinté de regrets de Kate Winslet, l'une des plus grandes comédiennes de sa génération, et l'image d'un petit garçon désorienté par la vie qui allume des feux à tout bout de champ. Un petit garçon dans lequel il est difficile de ne pas voir une projection du réalisateur d'Annie Hall, qui a eu 82 ans récemment ; et ça, pour le coup, c'est assez émouvant.
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