Film de Stephen Susco
Année de sortie : 2018
Pays : États-Unis
Scénario : Stephen Susco
Photographie : Kevin Stewart
Montage : Andrew Wesman
Avec : Colin Woodell, Betty Gabriel, Rebecca Rittenhouse, Andrew Lees, Connor Del Rio, Stephanie Nogueras
Unfriended: Dark Web repose entièrement sur un parti pris de mise en scène à la fois efficace et limité, voire discutable sur le plan cinématographique. Le tout avec un savoir-faire évident, mais sans parvenir à raconter grand chose.
Synopsis du film
Matias O’Brien (Colin Woodell) rentre chez lui après avoir récupéré un mac portable qui traînait depuis plusieurs jours dans le cybercafé où le jeune homme a ses habitudes. L’ordinateur appartient visiblement à un certain « Norah C. IV ».
Matias parvient rapidement à trouver le mot de passe permettant l’accès au bureau, et compte bien profiter de la puissance de l’appareil pour travailler sur Papaya, un programme censé l’aider à communiquer avec sa petite amie muette, Amaya (Stephanie Nogueras).
Mais alors qu’il échange avec ses amis par webcam interposée, Matias découvre un fichier caché sur le disque dur de l’ordinateur. Peu à peu, il réalise que son propriétaire pourrait bien être quelqu’un de peu recommandable, voire de très dangereux…
Critique de Unfriended: Dark Web
Environ 4 ans après Unfriended (2014), le producteur russo-kazakh Timur Bekmambetov exploite le même principe de mise en scène avec Unfriended: Dark Web, en confiant cette fois la réalisation et l’écriture du projet à Stephen Susco, scénariste et producteur de films de genre depuis le début des années 2000 (il avait signé notamment le scénario du remake américain de The Grudge en 2004). C’est toujours Blumhouse Productions, spécialisée dans les films d’horreur à petit budget, qui est aux commandes.
Mais de quel principe de mise en scène s’agit-il exactement ? Et bien c’est assez simple : Unfriended: Dark Web est composé en quelques sortes d’un seul et unique plan sur un écran d’ordinateur, lequel se décompose ponctuellement en plusieurs fenêtres (conversations sur skype, messenger, installations de logiciels, ouverture d’un programme, etc.), en fonction de l’activité sociale et informatique du personnage principal. Le visage des comédiens n’apparaît donc que via les fenêtres de conversation online, par le biais de la webcam dont sont équipés les différents personnages du film.

L’ensemble du film est composé de ce type d’image, montrant l’écran d’ordinateur de Matias O’Brien (Colin Woodell). Dans la fenêtre principale on peut voir Betty Gabriel et Serena Lange ; en bas, de gauche à droite : Colin Woodell, Andrew Lees, Connor Del Rio et Savira Windyani.
Ce parti pris formel est la force et la faiblesse de Unfriended: Dark Web. La force, parce qu’il faut admettre que le procédé est immersif : face à une image et à un environnement familiers (du moins pour tout utilisateur régulier d’un ordinateur), le spectateur est rapidement plongé dans l’action et se met aisément à la place du protagoniste, dont le point de vue est représenté par l’angle de caméra principal (on peut dire que le film reprend le principe du POV shot, la nouveauté étant que le cadre affiché se limite à un écran d’ordinateur, portable en l’occurrence). Le jeu plutôt convaincant des comédiens facilite cette immersion : chacun parvient, en dépit d’une caractérisation volontairement simple, à exprimer les principaux traits de caractère de son personnage et les émotions qu’il traverse au fil du récit.
On rentre donc très vite dans Unfriended: Dark Web, d’autant que Stephen Susco témoigne d’un certain sens du rythme et de la progression. Mais deux aspects problématiques se révèlent peu à peu.
L’un concerne le fond : au-delà de son format visuel atypique, et profondément ancré dans la vie quotidienne moderne (ce qui contribue à son intérêt d’ailleurs), le film se révèle totalement vide. On assiste à un banal jeu du chat et de la souris, dont les aspects technologiques (les bad guys sont des pros de l’informatique et du hackage) ne masquent pas la vacuité, d’autant que le scénario n’échappe guère au piège de la surenchère et s’avère au final lourdement tiré par les cheveux. Pas de sujet, de propos (à part nous rappeler que nous sommes tous traçables une fois connectés, mais bon, c’est léger…) ni d’enjeux dramatiques particuliers en dehors de la seule survie des personnages principaux.
La forme utilisée finit elle-même par poser question, sans doute parce qu’elle est mise à nu par l’absence de fond évoquée à l’instant : voir un écran de PC pendant une heure et demie relève davantage de l’expérience vidéoludique – ou d’une attraction en ligne – que de cinéma à proprement parler, qui exige tout de même un minimum de point de vue (même dans un huis clos traditionnel, les possibilités sont grandes en termes d’angles de caméra par exemple). On peut d’ailleurs se demander si le procédé d’Unfriended n’exclut pas, par définition, l’existence de tout point de vue ; en tout cas, et en dépit d’un savoir-faire évident, Stephen Susco ne nous aura pas démontré le contraire ici.
Bande-annonce
Unfriended: Dark Web capitalise sur un principe de réalisation qui possède des qualités immersives et que Stephen Susco maîtrise assez bien, mais qui le rapproche pour l’instant davantage du 10ème que du 7ème art. On pourra rétorquer que cette distinction est sans importance ou encore, à raison, qu’il est vain de hiérarchiser les disciplines artistiques. Mais dans tous les cas, l’intérêt d’entrer dans une salle de cinéma pour assister à un spectacle aussi dénué de fond et de point de vue reste discutable. Pour nuancer ce constat, il faudrait sans doute que le producteur Timur Bekmambetov prenne en compte qu’un procédé formel (si ingénieux soit-il) ne donne jamais grand-chose de mémorable s'il n'est pas associé à une histoire un tant soit peu consistante.
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