Film de Bette Gordon
Année de sortie : 1983
Pays : États-Unis
Scénario : Kathy Acker
Photographie : Tom DiCillo et John Foster
Montage : Ila von Hasperg
Musique : John Lurie
Avec : Sandy McLeod, Will Patton, Richard M. Davidson, Luis Guzmán, Nan Goldin
Dans Variety, Bette Gordon semble s’interroger sur un regard féminin alors sous-représenté, au cinéma comme dans d’autres domaines.
Synopsis du film
Au début des années 1980, Christine (Sandy McLeod), une jeune new-yorkaise, tente en vain de trouver un emploi. Elle finit par travailler comme ouvreuse dans un cinéma qui diffuse uniquement des films pornographiques.
Un jour, Louie (Richard M. Davidson), un client du cinéma qui semble fortuné, l’invite à un match de baseball. La soirée se déroule bien jusqu’à ce que Louie délaisse Christine, prétextant une affaire importante. Christine se met alors à le suivre…
Critique de Variety
Depuis le mercredi 8 juin 2022, les spectateurs français peuvent découvrir enfin, sur grand écran, un film américain méconnu sorti en 1983, qui n’avait pas été distribué dans les salles hexagonales à l’époque. Il s’agit de Variety, le second long métrage de la réalisatrice américaine Bette Gordon.
Le film, qui se déroule dans le New York du début des années 80, suit une trame tâtonnante, qui s’intéresse davantage aux doutes et questionnements intérieurs de sa protagoniste, ainsi qu’à l’environnement urbain et social dans lequel elle évolue, qu’à des enjeux dramatiques bien précis. Cette approche n’est pas très étonnante, quand on sait que Gordon cite volontiers, parmi ses influences, Jean-Luc Godard et John Cassavetes.
Le scénario, signé par la romancière, autrice de théâtre et essayiste Kathy Acker, décrit la situation suivante : une jeune new-yorkaise en recherche d’emploi finit par travailler comme ouvreuse dans un cinéma pornographique. À partir de là, le film explore la façon dont Christine (la jeune femme en question) va réagir à cet univers bien particulier, essentiellement masculin : les spectateurs sont en effet tous des hommes, tandis que les films projetés reflètent avant tout une vision masculine, plutôt aliénante a priori, des femmes et de la sexualité.
Christine se met à suivre un spectateur richissime (Louie), qui parait mêlé à d’obscurs magouilles. Le reste du temps, elle décrit à Marc (Will Paton), son petit ami dubitatif (voire franchement mal à l’aise, ce qui est d’ailleurs le signe d’une difficulté, pour un homme, à appréhender le désir féminin), des scènes de sexe qui semblent davantage sorties de l’imagination de la jeune femme que de celle, plus prévisible, des réalisateurs de films pornos dont elle ne regarde d’ailleurs pas les « œuvres ».
En d’autres termes, Variety raconte comment une femme tente, à sa façon, d’explorer ses propres peurs, son propre désir et son propre voyeurisme dans un contexte où les autres femmes sont largement montrées comme des objets. C’est une idée plutôt intéressante et d’ailleurs, le film est considéré comme ayant contribué au développement d’un certain cinéma féminin et féministe, même si Bette Gordon semble préférer l’ambiguïté et le questionnement au message explicite.
Autour du parcours sinueux de Christine, le film effleure différents sujets comme le chômage ou encore la corruption au sein des syndicats, bien qu’on aie un peu de mal à comprendre en quoi ce dernier thème résonne avec l’histoire centrale (même si l’héroïne soupçonne, sans raisons précises d’ailleurs, Louie d’appartenir à ce milieu). Ce côté flou, qui est tout à fait volontaire, peut parfois mettre au défi l’attention du spectateur ; mais Variety possède suffisamment de cachet pour maintenir celle-ci jusqu’à une conclusion évidemment opaque et incertaine.
L’attrait du film réside également dans le fait qu’il réunit plusieurs personnalités de la scène artistique new-yorkaise, dont la carrière débutait alors plus ou moins. On citera le chef opérateur Tom DiCillo, connu pour ses collaborations avec Jim Jarmush (dont il avait déjà, à l’époque, photographié le premier long, Permanent Vacation), ainsi que le musicien et acteur John Lurie, qui a composé la (très bonne) musique jazzy du film, et qui lui aussi avait déjà croisé (et croisera à nouveau) la route du réalisateur de Down by Law. Enfin, un rôle secondaire est tenu par la célèbre photographe Nan Goldin.
Pour toutes ces raisons, on saluera l’initiative d’avoir enfin sorti ce film curieux, pas toujours facile à suivre mais qui possède un vrai sujet, ainsi que des qualités formelles évidentes – les choix de mise en scène et de cadrage (on notera les nombreux et significatifs jeux de reflets) étant en parfaite cohérence avec les thématiques ici explorées.
Variety s'interroge assez finement sur un regard féminin qui se cherche dans un univers dominé par des hommes. Outre les qualités intrinsèques à son récit et à sa réalisation, le film est également intéressant dans la mesure où plusieurs talents alors émergents y ont participé, dont John Lurie, Nan Goldin et Tom DiCillo.
Aucun commentaire