Film de Jean-Marie Poiré
Année de sortie : 1978
Pays : France
Scénario : Jean-Marie Poiré
Photographie : Edmond Séchan
Montage : Marie-Josèphe Yoyotte
Musique : Martin Dune, Golden Earing, Bryan Ferry, Roxy Music
Avec : Dominique Laffin, Caroline Cartier, Josiane Balasko, Roger Miremont, Jean Bouise, Françoise Bertin
Les Petits câlins est une comédie de mœurs étonnamment juste et sensible, dont la modestie même a quelque chose d’attachant.
Synopsis du film
Sophie (Dominique Laffin), Sylvie (Caroline Cartier) et Corinne (Josiane Balasko) sont trois copines partageant un appartement en proche banlieue parisienne. Elles vivent de petits boulots et les fins de mois sont parfois difficiles.
Si Sylvie est en couple avec un brocanteur, Sophie et Corinne sont célibataires. Sophie, en particulier, cherche à rencontrer des hommes, pas forcément pour du long terme mais pour partager des moments de tendresse. Mais les hommes se montrent déroutés par sa liberté, tandis qu’elle a des difficultés à trouver du travail…
Critique de Les Petits câlins
Je ne prends pas un risque énorme en supposant que le nom de Jean-Marie Poiré ne doit pas figurer en haut de la liste de beaucoup de cinéphiles. Et je n’y vois personnellement pas une grande injustice. Après tout, il est l’auteur des Visiteurs (1993), film qui incarne à lui seule la comédie française dans tout ce qu’elle a de grossier, de trivial et surtout de pas drôle. Par ailleurs, Poiré a tourné avec la tandem Chevallier et Laspalès (dans Ma Femme s’appelle Maurice), ce qui n’est pas une marque de bon goût (comme le titre du film, d’ailleurs). Quant au Père noël est une ordure, s’il a mal vieilli et est sans doute surestimé, ses quelques qualités sont essentiellement à mettre au crédit de la sympathique troupe du Splendid.

Cependant, si Poiré avait cessé de réaliser à la fin des années 1980, c’est-à-dire avant sa collaboration avec Christian Clavier – dont on connaît les conséquences fâcheuses –, il n’aurait pas à rougir d’une filmographie qui avait débuté d’une façon tout à fait honorable, et même prometteuse.
Son premier long métrage, Les Petits câlins, sorti en 1978, possède en effet de réelles qualités. Celles-ci ne se situe pas particulièrement au niveau de la réalisation (honnête mais qui souffre parfois de lourdeurs : maladresses de montages ; effets de style superflus…), mais d’abord au niveau du scénario (signé Poiré lui-même) et bien sûr du casting, sur lequel nous reviendrons.

Les Petits câlins est une chronique sociale et sentimentale qui reflète plusieurs aspects de la société française de l’époque. Le thème le plus évident est l’émancipation féminine : l’histoire se passe dix ans après les événements de 68, et cela se ressent. À l’image du personnage de Sophie, les femmes sont plus entreprenantes sexuellement, plus libres aussi, et ne cherchent pas forcément que le grand amour, mais aussi le plaisir et la légèreté. Elles peuvent faire le tour du périph en moto et rester féminines. En face, les hommes sont parfois déroutés par cette nouvelle donne, et le film montre assez bien ce phénomène, sans verser dans la caricature.

En effet, les trois jeunes co-locatrices incarnées par Dominique Laffin, Josiane Balasko et Caroline Cartier ne sont pas réduites à des symboles, à des reflets stéréotypés de certains changements sociétaux. Au contraire : chacune des comédiennes compose un personnage féminin crédible, consistant, avec ses nuances, ses envies, ses désirs et aussi, parfois, ses paradoxes et contradictions (comme dans la scène où Sophie fustige la jalousie de son partenaire, associée à une possessivité masculine ringarde et dépassée, avant de se montrer elle-même jalouse).

La libération sexuelle et le féminisme ne sont pas les seuls sujets des Petits câlins. À trois dans leur appartement de banlieue, les héroïnes du film ont des fins de mois difficiles, vivent de petits boulots et traversent des périodes de chômage. On n’est pas vraiment dans le registre de la comédie bourgeoise française. Le film chronique habilement des difficultés sociales et économiques qui allaient exploser avec le second choc pétrolier (1979) et l’augmentation progressive du chômage dans les années 1980.

En somme, Poiré parvient ici à capter quelque chose de l’époque ; il le fait sans grossir le trait et en témoignant, à l’égard de ses personnages, d’une empathie et d’une affection des plus louables. Sans lui retirer de mérite, il est bien aidé par trois comédiennes de talent : Caroline Cartier, qui avait déjà tourné avec Jean Rollin (un des papes du bis à la française), Jacques Rozier (dans Du Côté d’Orouët) et André Téchiné ; Josiane Balasko (drôle mais aussi très charmante), avec laquelle Poiré allait entamer une collaboration fructueuse et qui n’avait pas encore joué dans Les Bronzés (sorti l’année suivante) ; et bien sûr Dominique Laffin. Toutes y sont pour beaucoup dans la réussite du film, auquel elles apportent un mélange de justesse, de sensibilité, d’énergie et de fraîcheur.

Si Josiane Balasko eut ensuite la longue carrière qu’on lui connaît, entamant d’ailleurs avec Poiré une collaboration fructueuse (ils écriront ensemble le sympathique Les Hommes préfèrent les grosses puis, avec le Splendid, Le Père noël est une ordure), Caroline Cartier ne tournera hélas que dans quatre films supplémentaires avant son décès prématuré en 1991, à seulement 42 ans.
Dominique Laffin prolongea après Les Petits câlins une filmographie passionnante (elle tourna avec Sautet, Ferreri et Enrico), qu’interrompit brutalement une crise cardiaque en juillet 1985 (elle avait 33 ans). Son dernier film est le premier long métrage de Laurent Perrin, Passage secret, co-écrit par Olivier Assayas.

C’est un peu triste de songer que deux membres du trio attachant des Petits câlins sont partis si jeunes. Leur talent et leur aura demeurent intacts dans les films qu’elles ont tourné. C’est aussi ça qui fait la beauté du cinéma : la captation des êtres disparus.
Malgré des maladresses formelles qui confirment que Poiré n'est pas un réalisateur de premier plan, Les Petits câlins est une chronique représentative d'une partie de la société française de l'époque, dont le féminisme et la justesse de ton sont très appréciables encore aujourd'hui, au même titre que son précieux et lumineux casting. S'il avait continué dans cette voix, Poiré aurait pu s'inscrire dans le sillage d'une certaine idée de la comédie française, alliant humour, finesse et sens de l'observation, dont Clara et les chics types, de Jacques Monnet (avec Balasko, d'ailleurs), est un bon exemple. Le public bouda malheureusement ce premier long et le cinéaste sombra peu à peu dans un registre à mon sens plus vulgaire, même s'il signa quelques autres films sympathiques dans les années 80.
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