Film d’Emmanuel Mouret
Année de sortie : 2022
Pays : France
Scénario : Emmanuel Mouret et Pierre Giraud
Photographie : Laurent Desmet
Montage : Martial Salomon
Avec : Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne, Georgia Scalliet, Maxence Tual
Avec Chronique d’une liaison passagère, Emmanuel Mouret continue d’observer la façon dont nos sentiments et désirs ébranlent nos postures morales ; et il le fait avec sa délicatesse habituelle, aidé par un casting remarquable.
Synopsis du film
De nos jours, à Paris. Charlotte (Sandrine Kiberlain) et Simon (Vincent Macaigne) entament une liaison sentimentale. Elle est mère célibataire, il est marié, et n’avait jusque-là jamais commis d’adultère.
Tous deux décident rapidement de ne rien se promettre, de ne pas vivre ensemble, de profiter des moments passés ensemble tout en admettant à l’avance, sans amertume aucune, qu’ils cesseront un jour de se produire.
Au début, cela fonctionne plutôt bien…
Critique de Chronique d’une liaison passagère
Emmanuel Mouret a écrit le scénario de Chronique d’une liaison passagère (sur la base d’un premier jet signé Pierre Giraud) il y a déjà quelques années, plus précisément avant de tourner Mademoiselle de Joncquières (sorti en 2018 ; on peut donc en déduire que le film a été écrit entre les sorties de Caprice et de Mademoiselle…).
D’après le producteur Frédéric Niedermayer, qui a produit de nombreux films de Mouret, la raison expliquant le laps de temps assez important entre la finalisation du script et le tournage du film tient au choix des comédiens. S’il est crucial dans tous les films, et notamment dans les films de Mouret qui sont très dialogués et centrés sur les personnages, il était peut-être encore plus délicat dans le cas de Chronique d’une liaison passagère, tant la construction du film exige beaucoup de ses acteurs.
Cette construction, comme le titre l’indique d’emblée (Mouret confirme ici son goût pour les titres limpides et programmatiques), est celle d’une chronique, c’est-à-dire qu’on nous fait le récit de quelque chose (d’une liaison amoureuse, en l’occurrence) au travers d’une suite chronologique d’événements (les moments que partagent les personnes vivant cette liaison).
Cela pourrait sembler banal sur le papier, sauf que le film est particulièrement rigoureux dans cette approche ; en quelques sortes, il documente une relation, et ne s’intéresse de ce fait qu’à ce qui à trait à celle-ci. On ne voit ainsi à l’écran, pendant une bonne partie du film, pratiquement que les deux protagonistes, un peu comme dans le célèbre film d’Ingmar Bergman Scènes de la vie conjugale, auquel Chronique d’une liaison passagère fait explicitement référence (l’approche d’Emmanuel Mouret n’est ceci dit pas du tout semblable à celle, plus grave et torturée, de Bergman). D’où la notion d’exigence évoquée plus haut : les comédiens qui incarnent les deux personnages principaux sont en effet présents dans toutes les séquences et sont filmés via des plans « longs », peu découpés. Autant de conditions laissant peu de place à l’approximation dans le jeu.
Vincent Macaigne (qu’Emmanuel Mouret avait déjà dirigé dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait ; c’est d’ailleurs sans doute à cette occasion qu’il a perçu en lui un choix possible pour Chronique…) et Sandrine Kiberlain sont d’une justesse égale à celle du texte (écrit, comme toujours chez Mouret, à la virgule près) auquel ils donnent vie. Le premier, s’il retrouve le registre d’homme timide et peu sûr de lui auquel il est habitué, montre dans Chronique d’une liaison passagère des choses qu’il n’avait jamais livrées auparavant face à une caméra, et le résultat est à la fois émouvant et pudique ; la seconde, dans un registre plein de malice qu’elle avait déjà exploré, épate par toutes les nuances dont elle colore son jeu. L’alchimie entre eux est évidente, et c’est toujours un plaisir de voir deux comédiens s’écouter aussi bien, et se donner la réplique avec une telle fluidité.
Cette fluidité vaut également pour la mise en scène d’Emmanuel Mouret. Comme dans ses précédents films, celui-ci a souvent recours au plan séquence pour donner aux échanges entre les acteurs plus de musicalité, de respiration et d’authenticité. Sa caméra est discrète, mais précise ; un peu à l’image du cinéaste, d’ailleurs. Ses choix de plan ne sont jamais hasardeux ; ils sont tout entier au service du récit, et suggèrent parfois un sentiment ou une idée qui ne sont pas formulés explicitement. Les grands auteurs de cinéma ont souvent de commun que ce qu’on voit à l’écran parait simple, ou du moins ne reflète aucune complexité flagrante, quand, en réalité, c’est le produit d’une réflexion et d’une intuition remarquables.

Sur le fond, Chronique d’une liaison passagère illustre les paradoxes et contradictions de personnages livrés à des désirs et sentiments ambigus, et partagés entre ceux-ci et leur volonté propre, leurs « règles » morales. On pourrait dire la même chose de tous les long métrages d’Emmanuel Mouret ; ici, plus spécifiquement, le cinéaste observe deux amoureux faisant le pari de la légèreté, de la liberté et de l’insouciance, pour nous montrer à quel point il est difficile de se tenir à un discours, à une affirmation, à une idée, auxquels nos émotions ne se confortent pas toujours et même, rarement. C’est le fameux décalage entre ce « qu’on dit » et ce « qu’on fait », que le titre du précédent film de Mouret, sous-récompensé aux Césars 2020 (malgré de nombreuses nominations), évoquait de manière simple et directe.
Bien entendu, pas de morale ici, ni de message ou de conclusion claire. Le cinéma de Mouret s’interroge et ne formule jamais de réponse définitive. C’est entre autres pour cela qu’il est aussi agréable à voir et à entendre : l’esprit du spectateur n’est jamais martelé par les vérités toutes faites que beaucoup de cinéastes actuels pensent visiblement détenir. Il s’épanouit ainsi dans un univers doux amer, accueillant mais jamais facile ou paresseux.
Aussi charmant, profond et fin que les précédents films de son auteur, Chronique d’une liaison passagère nous donne par ailleurs le plaisir de voir une comédienne rare au cinéma (mais très active au théâtre, et sociétaire de la Comédie française), à savoir Georgia Scalliet, dont la partition sonne aussi juste que celle de ses brillants partenaires de jeu.
Notez que la Cinémathèque française propose du 5 au 15 septembre 2022 une rétrospective Emmanuel Mouret, avec certaines séances présentées par le réalisateur ou encore par Frédérique Bel, laquelle a livré dans Changement d’adresse et Fais-moi plaisir des prestations pleines de charme et de légèreté.
Chronique d'une liaison passagère est une nouvelle variation sur les paradoxes et tâtonnements amoureux qui agitent les personnages de tous les films d'Emmanuel Mouret depuis Laissons Lucie Faire. Et c'est une variation exquise, raffinée, à la fois légère et mélancolique, comme la très belle valse écrite par Serge Gainsbourg pour Juliette Greco, la célèbre Javanaise qui rythme le générique de début. Le cinéma de Mouret partage d'ailleurs une autre chose avec cette chanson : il est à la fois de son époque, original et intemporel ; or La Javanaise s'inscrivait dans une certaine tradition de la chanson française "rive gauche" tout en se démarquant par sa profonde singularité. De l'art de choisir une forme en apparence classique, pour y glisser une empreinte tout à fait unique.
Aucun commentaire