Film d’André Téchiné
Année de sortie : 2023
Pays : France
Scénario : André Téchiné, Cédric Anger
Photographie : George Lechaptois
Montage : Albertine Lastera
Musique : Mathieu Lamboley, Astrid Gomez-Montoya et Rebecca Delannet
Avec : Noémie Merlant, Benjamin Voisin, Audrey Dana, André Marcon, Sya Rachedi
Et par le pouvoir d’un mot
Liberté, poème de Paul Eluard cité dans Les Âmes sœurs
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté
Avec Les Âmes sœurs, André Téchiné retrouve un schéma qu’il affectionne : une sœur, un frère et, en arrière-plan, un passé que le cinéaste effleure davantage qu’il ne l’explore, ou ne l’explique. Bien lui en prend.
Synopsis du film
Jeanne (Noémie Merlant) travaille comme maître-chien dans une région plutôt isolée de l’Ariège. Un jour, elle apprend que son frère cadet David (Benjamin Voisin), militaire mobilisé au Mali, a été blessé suite à l’explosion d’une mine. David a survécu, et ses blessures physiques ne sont pas d’une gravité excessive ; en revanche, il n’a aucun souvenir de son passé.
Jeanne l’accueille dans la maison familiale et prend soin de lui, dans l’espoir qu’il recouvre la mémoire. Dans ce cadre paisible et solitaire, David prend un nouveau départ, reniant totalement son engagement dans l’armée. Il ne soupçonne pas qu’un passé problématique va ressurgir…
Critique de Les Âmes sœurs
Trente années se sont écoulées depuis la sortie de Ma Saison préférée (1993), probablement (à mon humble avis, du moins) l’un des plus beaux films d’André Téchiné avec Le Lieu du crime, Les Roseaux sauvages et Les Temps qui changent. Cette remarque n’est pas fortuite ; on pense en effet à Ma Saison préférée en regardant Les Âmes sœurs, pour la simple et bonne raison que ces deux longs métrages ont un point commun important, celui de se concentrer sur une relation entre une sœur et son frère cadet (incarnés par Noémie Merlant et Benjamin Voisin dans Les Âmes sœurs ; par Catherine Deneuve et Daniel Auteuil dans Ma Saison préférée). Ceci étant dit, les personnages, comme le scénario de ces films sont bien distincts, et on ne peut que saluer l’imagination intacte d’André Téchiné qui, à 80 ans, continue d’écrire et de tourner sans se répéter même si, bien entendu, sa filmographie est traversée par des thèmes récurrents.
Il me semble que Michael Cimino a dit un jour qu’une bonne histoire devait partir, avant tout, d’un personnage, et c’est visiblement une méthode d’écriture commune au réalisateur de La Porte du paradis et à celui de J’embrasse pas. Le point de départ des Âmes sœurs, c’est en effet ce personnage de femme solitaire qui travaille comme maître-chien dans un coin reculé de l’Ariège, personnage que Téchiné a imaginé en s’inspirant d’une personne qu’il connaît personnellement (en prenant, chez celle-ci, uniquement des détails concrets, rien de sa vie privée). Le personnage du frère militaire, frappé d’amnésie suite à l’explosion d’une mine au Mali, est venu ensuite, et nous voilà donc avec une sœur et un frère qui, comme Téchiné l’explique très bien lui-même, sont réunis dans le même espace, mais qui ne vivent pas dans le même temps
.
En effet, lui a tout oublié du passé et expérimente les choses comme pour la première fois, tandis qu’elle, bien entendu, a une mémoire, des souvenirs qu’elle s’efforce d’ailleurs de partager avec son frère dans l’espoir de mettre un terme à ce vertigineux black-out, causé certes par le choc mais sans doute favorisé par un passé problématique, passé que le film dévoile, en partie seulement, par petites touches.

Ce côté page blanche
permet à Téchiné de se concentrer principalement sur le ressenti, les sensations, les émotions pour mieux se détourner d’une analyse psychologique que, de son propre aveu, il trouve souvent pesante (à raison) au cinéma. Les scènes montrant David évoluer dans la forêt sont belles et très simples, filmées sans le moindre lyrisme dégoulinant, et souvent dénuées de musique (on n’est pas dans le mielleux The Quiet Girl, avec ses plans éculés sur la nature sur fond de violons sirupeux). C’est un plaisir de constater que Téchiné sait toujours aussi bien stimuler nos sens de spectateurs en quelques plans fugaces, sans rien surligner (et quand il choisit d’utiliser de la musique, celle composée par Mathieu Lamboley pour le film est du meilleur effet).
Pas de psychologie, donc, et si on en apprend un peu plus sur le passé familial au fil du récit, celui-ci demeure émaillé d’ellipses, Téchiné ne cherchant nullement à expliquer cette relation sœur-frère ambiguë mais préférant montrer ses manifestations troublantes et mystérieuses, ses conséquences sur chacun des personnages et la façon dont elle entre en conflit avec les normes sociales.

Les deux comédiens principaux composent à merveille ce duo aussi émouvant que problématique. Noémie Merlant est saisissante dans un rôle de femme protectrice, forte et vulnérable, tandis que Benjamin Voisin trouve la note juste dans la peau de ce jeune homme sans mémoire, condition qui lui confère une troublante forme de candeur.
Dans une très jolie scène, Téchiné filme ces deux corps nager dans la mer, sans jamais les réunir dans un même plan. Ce qui passe à travers ces quelques images habilement découpées compte parmi ce que le cinéma français a offert de plus beau au cours de ces derniers mois. On songe alors à une scène s’étant déroulée plus tôt dans le film, dans laquelle des petites filles, dirigées par un professeur de chant, chante le fameux poème de Paul Eluard cité en exergue, poème consacrée à l’un des sujets phares des Âmes sœurs : la liberté.
Bande-annonce
Évitant toute psychologie facile et tout didactisme, en dépit d'un sujet délicat que beaucoup auraient choisi d'aborder différemment, Téchiné se concentre sur les sensations et les réactions d'une sœur et d'un frère entraînés dans une dynamique vertigineuse. Il le fait avec un alliage de sobriété, de vigueur et d'empathie qui témoigne de la justesse intacte de son regard, justesse que l'on retrouve par ailleurs dans le jeu des deux comédiens principaux et de l'ensemble du casting. Un beau film sur le thème du désir et de la libération de ce même désir, dont la réussite tient aussi à la photographie de George Lechaptois.
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