Film de Jean-Baptiste Durand
Année de sortie : 2023
Pays : France
Scénario : Jean-Baptiste Durand, Emma Benestan et Nicolas Fleureau
Photographie : Benoît Jaoul
Musique : Delphine Malaussena et Hugo Rossi
Avec : Anthony Bajon, Galatéa Bellugi, Raphaël Quenard, Dominique Reymond, Bernard Blancan, Nathan Le Graciet
Chien de la casse réussit à rendre compte d’un environnement social et géographique sans jamais réduire ses personnages à des symboles étriqués de cet environnement.
Synopsis du film
De nos jours, dans un petit village de l’Hérault. Mirales (Raphaël Quenard) et Dog (Anthony Bajon), la petite vingtaine, se côtoient depuis le collège. Ils passent leurs soirées dans le village avec d’autres jeunes du coin, jouent à la Playstation, promènent Malabar, le chien de Mirales, dans les plaines environnantes… Mirales est bavard, épris de littérature, de bons mots et de rêves d’ailleurs, tandis que Dog est plus taiseux, et plus fort au football qu’en culture.
Dog entame une relation avec Elsa (Galatéa Bellugi), une jeune femme qu’il a prise en stop quelques jours auparavant et qui est de passage dans le village. Mirales, qui vit avec une mère artiste et dépressive, se retrouve alors plus souvent seul, et sa manie de vouloir changer Dog en lui inculquant la culture et les bonnes manières se trouve exacerbée par cette nouvelle situation. Entre les deux amis, la tension monte peu à peu, tandis que des habitants d’une cité voisine recherchent Dog – celui-ci a en effet mal parlé à une jeune fille de la cité en sortant d’une visite chez Bernard (Bernard Blancan), un ami du tandem qui achète parfois du cannabis à Mirales…
Critique de Chien de la casse
La vie dans les villages français situés non loin de communes plus importantes (Montpellier en l’occurrence) n’est pas si souvent montrée que cela au cinéma ; c’est du moins le ressenti du jeune réalisateur Jean-Baptiste Durand, qui vient précisément de ce type d’endroits, et à la réflexion il n’a sans doute pas tort. Dans ces petites villes (Le Pouget, où se déroule l’action de Chien de la casse, compte à peine plus de 2000 habitants), on ne choisit pas vraiment avec qui on doit traîner, ni où d’ailleurs (en général, il y a un unique endroit qui se prête à un squat du soir entre amis : celui où il y a un banc et un peu d’espace). Il rend très bien compte de cette relative absence de choix et de possibilités dans ce premier film qui pour autant, ne porte pas un regard négatif sur ces lieux et leurs habitants – loin s’en faut. On est plutôt sur un alliage nuancé d’amertume, de tendresse, de douceur, de dureté, de mélancolie et de lucidité.
La difficulté, quand on tourne un drame social, c’est de créer de vrais personnages. Je le rappelais en chroniquant le dernier Téchiné (très réussi), les personnages sont souvent le point de départ d’une bonne histoire ; je doute qu’il existe beaucoup de films de qualité négligeant cet élément. Or, beaucoup de réalisateurs ayant à cœur de rendre compte d’une réalité sociale ont tendance à utiliser les personnages comme les véhicules d’un message, ce qui est sans doute la pire des choses à faire. Ils ne sont pas des êtres de chair et de sang, mais des silhouettes sur lesquelles on greffe des caractéristiques censées être représentatives de tel environnement, de telle culture, etc.
Rien de tout cela dans Chien de la casse. Si les personnages du film sont tous crédibles et si, bien sûr, une partie de leurs attitudes sont intimement connectés au milieu au sein duquel ils évoluent (et illustrent parfois une réaction à ce milieu), ils possèdent tous une épaisseur, un caractère unique qui confèrent au film un aspect à la fois très réaliste et discrètement romanesque (le personnage de Mirales, par exemple, a quelque chose de romanesque, mais on pourrait parfaitement le croiser dans la vie – on notera son goût de la culture et surtout son éloquence, qui reflètent un désir d’échapper à son milieu). La véritable originalité créative au cinéma, ce n’est pas de mettre des idées forcément décalées à tout bout de champ, mais plutôt d’écrire avec suffisamment de précision et de sensibilité pour qu’un récit qui aurait pu être banal, générique, devienne singulier et captivant ; et cela passe souvent davantage par des petits détails que par des innovations visuelles ou narratives flagrantes.
Le tandem amical central est admirablement bien écrit. Le scénario n’utilise aucun ressort facile pour dessiner les enjeux et réalités sociologiques qu’à son unique façon cette relation reflète, sans être, encore une fois, réduite à cette fonction ; et même quand une jeune femme fait irruption dans le cadre, ce qui survient ensuite est beaucoup plus complexe et nuancé que les conventions fréquemment associées à la figure du triangle amoureux au cinéma (il ne s’agit d’ailleurs pas, ici, d’un triangle amoureux à proprement parler).
Les acteurs, relativement méconnus pour la plupart (ça fait du bien de voir des nouveaux visages dans un cinéma français qui surexploite le moindre nouveau talent, au point qu’on finit par se lasser y compris des meilleurs d’entre eux), même si on parle beaucoup d’Anthony Bajon depuis La Prière (2018) et la série Arte Le Monde de demain, et que Galatéa Bellugi n’en est pas non plus à sa première apparition au cinéma (elle joue d’ailleurs dans L’Apparition de Giannoli…), sont tous à la hauteur du texte qu’ils défendent, cosigné par Jean-Baptiste Durand lui-même, Emma Benestan et Nicolas Fleureau. Dans le rôle complexe de Mirales, Raphaël Quenard livre une prestation à la fois contenue et expressive, et il y a fort à parier qu’on retrouvera vite ce comédien, lequel avait déjà tourné chez Audiard ou Bonello mais qui trouve sans doute ici son premier grand rôle.
Quant à la réalisation, elle est à la fois discrète (on suit les séquences sans penser à la caméra : c’est souvent bon signe) et inspirée, aussi bien quand il s’agit de capter les émotions sur les visages que de saisir la cinégénie (presque « westernienne ») des paysages naturels du sud de la France, et l’atmosphère tranquille des ruelles grises, à la fois jolies et monotones. C’est qu’on est rarement une chose à la fois et rien, dans Chien de la casse, ne peut être qualifié par un seul mot. C’est le propre des bons films.
À lire : Chien de la casse : interview de Jean-Baptiste Durand sur LeMagduCiné
Écrit avec un sens remarquable du récit et des personnages, Chien de la casse atteint cet équilibre délicat entre chronique sociale représentative et caractérisation complexe. Un excellent premier film.
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