Film de Michael Roemer
Année de sortie : 1984
Pays : États-Unis
Scénario : Michael Roemer
Avec : Brooke Adams, Jon DeVries, Ari Meyers, Trish Van Devere
Vengeance is Mine, du méconnu Michael Roemer, est un drame puissant et subtil, servi par l’interprétation remarquable de Brooke Adams.
Synopsis du film
Jo (Brooke Adams) revient dans sa famille alors que sa mère adoptive, avec laquelle elle entretient de très mauvaises relations, semble être sur le point de mourir. Le contexte, déjà délicat, est de plus parasité par l’ex compagnon de Jo, qui refuse de tourner la page et se montre harcelant, brutal parfois.
Au terme d’une soirée oppressante passée avec ce dernier, Jo fait la connaissance de Donna (Trish Van Devere), une voisine de sa sœur. Cette relation a d’abord un effet apaisant puis, peu à peu, la situation familiale de Donna renvoie Jo à ses propres démons…
Critique de Vengeance is Mine
Michael Roemer, réalisateur américain d’origine allemande (sa famille juive a fui le nazisme dans les années 1930), est pour ainsi dire inconnu du grand public en France. Sa réputation, flatteuse mais confidentielle, repose essentiellement sur deux longs métrages, Nothing But a Man (1964), qui fut bien accueilli par la critique hexagonale à l’époque, et The Plot Against Harry (Harry Plotnick seul contre tous, 1969), comédie satirique et maline narrant les mésaventures d’un escroc juif (incarné par Martin Priest), qui ne sortit au cinéma qu’une vingtaine d’années après son tournage. Le reste de la filmographie de Roemer est composé de quelques documentaires et de deux téléfilms, dont Vengeance is Mine (1984), d’abord titré Haunted. Après être demeurée pour ainsi dire invisible pendant près de 40 ans, cette œuvre est sortie dans les salles françaises le 15 mars 2023, en même temps que les deux films précités.
On ne le dira jamais assez : un bon film, c’est d’abord un bon scénario. Et celui de Vengeance is Mine est remarquable. L’écriture des personnages ; la construction dramatique ; les dialogues : à tous ces niveaux, la plume de Roemer se montre extrêmement précise, mais aussi nuancée et inspirée.
La façon dont le récit ne révèle que progressivement ses enjeux véritables est particulièrement intéressante. Ainsi, au début, on a d’abord le sentiment que le film va se concentrer sur la relation toxique que l’héroïne entretient avec un ex-compagnon violent et possessif ; ensuite, on se prend à songer que l’histoire va porter sur la sororité entre Jo et Donna, unie contre la violence masculine (qui dans le film prend différentes formes, de l’ex mari harceleur à un patron de galerie qui abuse de sa position pour obtenir des faveurs sexuelles) et par un passé familial problématique. Puis, peu à peu, la narration se concentre sur la famille de Donna, bouleversée par le comportement de cette dernière ; Jo est à la fois spectatrice et actrice de ces événements, dans lesquels elle projette, comme on le réalise au fil des séquences, sa propre histoire. On peut donc parler d’un effet miroir particulièrement saisissant entre la situation familiale de la protagoniste et celle qu’elle est amenée à découvrir par le biais de son amitié naissante avec Donna.
Le personnage de Jo est au cœur du film. C’est un personnage hanté, comme le rappelait le titre initial (Haunted). Roemer décrit avec une subtilité extrême la façon dont ses jugements et sentiments à l’égard de Donna et de sa fille sont intimement liés à son enfance problématique, et le spectateur est lui-même embarqué dans cette perception, de sorte que notre propre jugement tend à évoluer légèrement au fil du récit.
La réalisation se met parfaitement au service de cette dramaturgie millimétrée : en un ou deux plans simples, Roemer a l’art de faire passer une idée, une émotion, voire de renverser un point de vue vers un autre, pour mieux éclairer le spectateur sur le sens principal du récit, qui peut se voir comme une forme de psychanalyse par l’expérience et par l’observation. Quant à la progression dramatique, elle est maîtrisée de bout en bout, avec une montée de la tension qui rapproche parfois presque Vengeance is Mine d’un film de genre (voir le plan où l’on voit une main ouvrir des rideaux de l’intérieur, tandis qu’une famille rentre chez elle).
En termes de jeu, le niveau est extrêmement élevé. Brooke Adams est saisissante, et ses partenaires Jon DeVries et Trish Van Devere font honneur à la justesse de leur personnage et de leurs répliques.
Il n’y a pas beaucoup de drame familial du niveau de Vengeance is Mine ; tout est absolument parfait ici, jusqu’au titre qui ne prend son sens véritable que vers la fin du métrage, et qui vient souligner le fait que celui-ci est avant tout un portrait de femme et l’exploration de ses démons intimes ; et cela, sans dialogues verbeux (on n’est pas chez le sympathique mais très poseur Desplechin) ni psychologie pesante à la Bergman (un génie certes, mais parfois indigeste). Mais avec, en revanche, un sens du récit et de la caractérisation dont bien des réalisateurs beaucoup plus célèbres que Michael Roemer sont tout à fait dépourvus.
Pour les personnes habitant à Paris ou en proche banlieue : notez que Vengeance is Mine sera projeté au cinéma le Louxor (Barbès) à partir du 2 juillet prochain. Il passera également à l’UGC Roxane (Versailles) les 18 et 20 juin.
Vengeance is Mine décrit des mécanismes familiaux et relationnels souvent toxiques, au fil d'un récit dense et savamment construit. Peuplé de personnages complexes et brillamment interprétés, ce récit prend souvent à contrepied le spectateur en précisant peu à peu ses enjeux les plus profonds, jusqu'à une conclusion d'une remarquable cohérence. Sans nul doute, l'un des drames familiaux les plus aboutis de la décennie 1980.
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