L’année 2022 touchant à sa fin, voici, comme le veut la tradition, une sélection évidemment subjective et incomplète de longs métrages sortis cette année. Si cette liste vous donne ne serait-ce qu’une ou deux idées de visionnage, elle aura accompli son modeste objectif !
Les Cinq diables

Le deuxième film de Léa Mysius stimule nos sens et notre intuition au gré d’un récit étrange, mêlant réalisme et fantastique. Il y est question d’une adolescente, Vicky (Sally Dramé, excellente), dont le singulier pouvoir olfactif lui permet d’explorer l’histoire de sa famille. Le racisme ordinaire y est chroniqué, comme un événement tout à fait banal qu’on ne surligne jamais, l’histoire illustrant surtout la façon dont le passé « contamine » et hante le présent, à travers les générations. Visuellement, le film (tourné en 35 mm) est superbe, mais si cela fonctionne aussi bien, c’est que l’esthétique est avant tout au service d’un scénario inspiré. Les Cinq diables est tout simplement, à mon avis, le meilleur film fantastique français depuis Personal Shopper, d’Olivier Assayas. Adèle Exarchopoulos et l’ensemble du casting impressionne par sa justesse d’interprétation.
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La Montagne

La Montagne ne sortira qu’en 2023 dans les salles françaises, mais je profite de ce TOP cinéma pour donner un coup de projecteur sur ce film avant sa sortie nationale, car il le mérite amplement. Comme dans Les Cinq diables, on est ici dans le registre du réalisme magique, mais le récit est beaucoup plus épuré et minimaliste.
Thomas Salvador y illustre ses talents de cinéaste, de comédien, d’alpiniste mais surtout de conteur. C’est simple, mystérieux, et bien que le rapport à la nature soit ici central, le réalisateur a l’intelligence de ne jamais formuler toutes les banalités que ce thème tend souvent à inspirer. Son cinéma, avare de mots, est très physique, sensoriel. C’est par la sensation, l’image et le mouvement qu’il accède au spirituel, pas par du verbiage. Aux côtés du comédien-réalisateur, Louise Bourgoin livre une de ses meilleures prestations à ce jour.
La Montagne a remporté l’Œil d’or et le prix du jury Ciné+ Frisson au PIFFF 2022.
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All Eyes Off Me
Sur le papier, le film de l’israélienne Hadas Ben Aroya pourrait faire craindre une énième chronique sentimentalo-sexuelle vaguement inspirée par la nouvelle vague, avec des jeunes gens qui font l’amour, qui parlent, fument une cigarette, refont l’amour, etc. Peut-être de quoi faire fantasmer de vieux chroniqueurs cinéma lubriques, de ceux qui encensent les films d’Abdellatif Kechiche par exemple, tout au plus. Pourtant, le miracle se produit : All Eyes Off Me ne déroule pas un schéma convenu ; au contraire, il intrigue et possède un certain pouvoir hypnotique.
Celui-ci est lié à une remarquable gestion de la durée des scènes, et à cette façon de filmer des personnages sans jamais faire de la psychologie à deux sous. Les jeunes protagonistes du film ne se connaissent pas bien, et on ne nous explique rien à leur sujet. Les choix, émotions et comportements d’Avishag (Elisheva Weil) ont quelque chose de mystérieux, de paradoxal que la caméra saisit avec beaucoup de délicatesse et de sensualité, et qui résonne en nous après la séance.
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Sundown
On parlait de personnage mystérieux : celui interprété par Tim Roth dans Sundown est un cas d’école. Pendant la majeure partie du film, c’est une énigme sur pattes que Michel Franco nous propose de suivre, mettant au défi notre empathie. Son film est lancinant, crépusculaire, dur, déroutant, à la fois résigné et rempli d’un désir de vivre tout aussi beau que dérisoire. Tim Roth est exceptionnel : on ne le dit sans doute pas assez souvent, mais c’est l’un des plus grands comédiens qui soit. Espérons, pour lui avant tout, que la terrible épreuve personnelle qu’il a traversée en 2022 (la perte d’un fils) ne l’éloigne pas trop longtemps des plateaux de cinéma.
Enquête sur un scandale d’État

Le traitement des scandales politiques au cinéma donne parfois des films binaires, porteur d’un discours caricatural sur la corruption des élites (discours pas forcément faux en soi mais personnellement, je ne vais pas au cinéma pour qu’on me martèle un message moral simpliste sur la tête).
Le film de Thierry de Peretti (inspiré de l’affaire François Thierry) évite ce piège en filmant des personnages ambigus, qu’on ne peut résumer en quelques mots ou jugements faciles. Il dénonce un système (la politique du chiffre encouragée par Sarkozy dans le domaine de la lutte anti-drogue) mais les protagonistes sont davantage que de simples incarnations de ce dernier. De même, la mise en scène ne cherche jamais le suspense facile, le spectaculaire superflu. Finalement, ces propos de Roschdy Zem résument bien la principale qualité du film : Comme acteur, ce n’est pas la vérité absolue qui m’intéresse, c’est l’histoire qui est racontée
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Chronique d’une liaison passagère

Emmanuel Mouret continue, avec Chronique d’une liaison passagère, son exploration des paradoxes sentimentaux et des contradictions amoureuses, le principal sujet de son cinéma depuis le pétillant Laissons Lucie Faire (2000). La particularité du film est de se concentrer presque exclusivement sur chacune des rencontres se déroulant entre Simon (Vincent Macaigne) et Charlotte (Sandrine Kiberlain), ce qui procure presque une sensation de huis-clos, en quelques sortes.
C’est toujours aussi finement dialogué et élégamment filmé, tandis que depuis Caprice, le réalisateur aime à développer un ton doux-amer, léger et mélancolique, un peu distinct de celui, plus ouvertement comique et même un peu absurde, propre à ses premiers longs métrages. On aimerait presque, parfois, qu’il le retrouve le temps d’un film, mais cette chronique reste délicieuse de bout en bout. À noter, la composition de Georgia Scalliet, comédienne de théâtre essentiellement, qui convainc autant que celle de ses deux partenaires de jeu.
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Resurrection
Les relations toxiques, c’est devenu un sujet à la mode, dont s’emparent volontiers des scénaristes pas toujours, et même rarement inspirés. Andrew Semans n’entre pas dans cette catégorie et d’ailleurs, le scénario de Resurrection a fait partie de la « Black List » de l’année 2019 (liste incluant les meilleurs scénarios non tournés, selon un sondage mené auprès des studios et compagnies de production).
Dérangeant, oppressant, surprenant, Resurrection ne joue pas du tout la même partition que tous ces films parlant de la notion d’emprise de manière totalement scolaire. L’écriture des deux personnages principaux, et l’interprétation extraordinaire de Rebecca Hall et Tim Roth (encore lui !), y étant pour beaucoup. Le second compose un être abject sans jamais forcer le trait, la première réussit un exploit : elle livre un monologue face caméra qui est la scène d’horreur la plus effrayante de l’année 2022. Et il n’y a que des mots, que du jeu et un plan fixe. Smile peut aller se rhabiller : Resurrection, c’est presque une définition de ce que doit être un véritable film d’horreur – un film qui provoque un profond sentiment de réprobation, et non pas de banals sursauts (même si on peut bien entendu apprécier, et c’est d’ailleurs mon cas, le film d’horreur « pop-corn » et divertissant !).
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D’autres films qui valent le détour !

Huesera, de Michelle Garza Cervera (projeté au PIFFF 2022), propose une variation horrifique intelligente et sensible sur le thème de la maternité ;
As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen, est une sorte de western contemporain particulièrement tendu et solidement raconté, illustrant des incompréhensions insurmontables entre des individus issus de milieux sociaux distincts ;
Watcher (en compétition au festival de Deauville 2022) est un thriller un peu trop lisse et convenu, mais élégant et bien exécuté, avec la talentueuse Maika Monroe ;
Moloch est une jolie réussite dans le registre de la folk horror, avec un personnage féminin consistant et une atmosphère soignée ;
Méduse, de Sophie Lévy, est un huis clos centré sur la relation étouffante entre deux sœurs, servi par une réalisation inspirée et une excellente interprétation de Roxane Mesquida, Anamaria Vartolomei et Arnaud Valois ;
Les Miens est un beau drame familial de Roschdy Zem, qui évite les lourdeurs du genre ;
Cold Wind Blowing est un petit film indépendant d’horreur à tout petit budget qui a le mérite de se concentrer sur l’atmosphère et les personnages, et séduit par son amour palpable du genre et le talent de ses jeunes comédiens ;
Attachment (projeté à L’Étrange festival 2022) revisite habilement le film d’exorcisme en y apportant des couleurs nouvelles et un angle inédit (l’histoire est imprégnée de folklore juif), et si les moments purement horrifiques s’avèrent moins efficaces que le reste du film, on passe globalement un bon moment ;
Falcon Lake, premier film de Charlotte Le Bon, impressionne par sa maîtrise formelle, la réalisatrice excellant dans l’art de recréer l’atmosphère des étés adolescents qui semblent interminables, hors du temps, et de capter le vertige des premiers désirs amoureux – le thème central, cependant, a été souvent traité et personnellement, je n’ai pas trouvé qu’il l’était ici d’une manière particulièrement originale, ce pourquoi je suis resté un peu en dehors du récit.
Quelques déceptions ou ratages…
Du côté des déceptions, je citerais le très surestimé L’Innocent de Louis Garrel, sauvé uniquement par l’énergie et le talent de Noémie Merlant ; et, dans une moindre mesure, le trop bancal Parfum vert, du très talentueux Nicolas Pariser, plein de bonnes intentions mais qui ne parvient pas à trouver le ton juste entre comédie d’espionnage et réflexion plus sérieuse sur les réseaux d’extrême droite qui menacent les démocraties européennes, ces deux aspects (légèreté et suspense dramatique) finissant par s’annuler l’un l’autre, tandis que le tandem Lacoste – Kiberlain, indépendamment du talent de ses derniers (et des efforts de Pariser pour soigner le background respectif de leurs personnages), peine à atteindre une véritable alchimie – peut-être parce qu’on leur a donné des partitions un peu trop sur-mesure. Enfin, La Nuit du 12 aurait pu être un très bon polar si le scénario n’en avait que trop souligné le message (une dénonciation des violences masculines) via plusieurs répliques sur-explicatives, un travers qui fait partie des plus problématiques, à mon sens, dans le cinéma contemporain.
Notons qu’on entend beaucoup de bien du dernier film de Martin McDonagh, Les Banshees d’Inisherin, sorti en toute fin d’année ; mais la déception causée par le précédent film du réalisateur de l’excellent In Bruges, le pachydermique Three Billboards, m’a laissé un goût trop amer.
4 commentaires
Cette liste suscite la curiosité ! Je ne connais que le Mouret que je suis content de voir là. Ton article me rappelle aussi que Falkon lake figure parmi les ratés qu’il me faut rattraper. Oserais-je dire enfin que les comédies déclassées en bout de texte au titre des déceptions sont chez moi hissées au top… Bonne année à vous ! 🙂
Merci, bonne année également ! Osez, bien sûr, c’est un espace d’expression ! Les goûts et les couleurs… Oui, Falcon Lake il y a de vraies qualités de réalisation (et de jeu). Après, personnellement, l’histoire ne me touche pas vraiment, pour moi le scénario n’apporte rien de particulier à un thème abordé 100 000 fois. Je pense que ma « sévérité » à l’égard du film de Louis Garrel a été accentuée par le fait qu’il a été porté aux nues, alors que pour moi il y a de grosses lacunes scénaristiques ; je trouve le film totalement atone en dehors de la scène du restaurant autoroutier. C’est un film qui aurait dû durer 30 ou 40 minutes, ce qui n’est pas grave d’ailleurs (finalement, pourquoi cette durée imposée de 1h30 – 2h ?) ou alors, il aurait dû être réécrit pour tenir sur la durée. Quant au film de N. Pariser, j’ai tellement aimé ses deux premiers que j’avais beaucoup d’attentes, et pour moi, il ne maîtrise pas suffisamment le registre délicat qu’il tente d’aborder ici (la comédie d’espionnage), même si je respecte beaucoup le fait qu’il ait voulu le faire à sa façon, en creusant une dimension politique, historique, etc. J’ai le sentiment qu’il aurait dû retravailler le scénario avant de commencer à tourner, pour équilibrer l’alliage légèreté du ton/ »profondeur » du propos. Et contre toute attente, je trouve que le tandem central patine sévèrement, mais c’est à cause du texte et non des comédiens à mon avis. Peut-être aussi du fait qu’il donne à deux acteurs une partition presque trop faite pour eux… Après, ce n’est bien sûr que mon opinion !
Merci pour cette réponse argumentée. J’entends les réticences sur les deux comédies citées. Nous avons vu Le parfum vert dans des conditions si particulières que je les crois particulièrement influentes sur notre enthousiasme. Pas sûr que cela résiste à une deuxième vision du film. D’un autre côté, quand on a aimé un film, on a aussi envie de continuer à l’aimer. 🙂
Ah oui je comprends très bien ! Il y a beaucoup de films que je ne revois pas pour conserver le précieux souvenir que j’en ai, qui en effet est aussi lié à un contexte, un moment… Bravo pour votre site, je viens de le parcourir rapidement, j’y retournerai !