Film de Hadas Ben Aroya
Année de sortie : 2022 (France)
Pays : Israël
Scénario : Hadas Ben Aroya
Photographie : Meidan Arama
Montage : Or Lee-Tal
Avec : Elisheva Weil, Leib Levin, Yoav Hayt, Hadar Katz
Dans All Eyes Off Me, la réalisatrice Hadas Ben Aroya met en scène une intimité énigmatique avec un admirable sens de la durée et du cadre.
Synopsis du film
Après avoir vécu une histoire avec Danny (Hadar Kat), Max (Leib Levin) file le parfait amour avec Avishag (Elisheva Weil). Un jour, celle-ci lui confie qu’elle aime être brutalisée au lit. Les deux amants conviennent d’une date précise pour réaliser ce fantasme.
Critique de All Eyes Off Me
J’appartiens à une génération qui, durant ses études, a vu trop de films israéliens engagés et qui ne les digère plus
, a déclaré Hadas Ben Aroya à l’occasion d’une interview donnée au journal Le Monde. Il est vrai que All Eyes Off Me, son second long métrage, n’a rien de politique. Ni, d’ailleurs, de psychologique : rares sont les films qui donnent aussi peu d’indices concrets sur ce qui se passe à l’intérieur des personnages. Eux-mêmes ne paraissent pas le savoir vraiment, à en juger par leurs comportements volontiers paradoxaux et contradictoires.
Cette opacité rend le film assez fascinant, assez hypnotisant même. On scrute les images, les corps et les visages comme pour tenter de saisir quelque chose qui reste, précisément, insaisissable. Loin de susciter la frustration, ce questionnement insatisfait semble résonner quelque part en nous, en dehors de tout raisonnement clair et définitif.
À une époque où la certitude a le vent en poupe, le cinéma que propose Hadas Ben Aroya est comme une bouffée d’oxygène, même s’il n’est pas particulièrement léger. On respire en le regardant, d’autant plus que la réalisatrice a un remarquable sens du rythme. Elle étire les scènes d’intimité (parfois assez crues, mais jamais gratuites) sans jamais se regarder filmer ; on oublie la caméra, l’intention, le calcul, pour plonger dans une temporalité diluée, où la sensation et l’intuition sont davantage stimulés que l’intellect.
Parfois, Hadas Ben Aroya « confie » à un élément précis le soin de déterminer la durée d’une scène, comme lorsque Avishag (Elisheva Weil) écoute une chanson interprétée dans l’émission The Voice. On entend le morceau en entier, tout en constatant l’émotion qu’elle suscite chez la jeune femme. Qu’est-ce que ce moment nous dit sur elle, qui pourrait éclairer son comportement dans les autres scènes ? Rien de très précis, si ce n’est qu’elle est touchée par une chanson d’amour un peu fleur bleue. Et pourtant si on retire cette scène, le film devient bancal. C’est insignifiant, et ça ne l’est pas. Un réalisateur, ou une réalisatrice en l’occurrence, qui parvient à exprimer cette dualité, est un artiste particulièrement subtil et précieux.
All Eyes Off Me n'encombre jamais l'esprit du spectateur en lui imposant des jugements, un point de vue arrêté, une explication définitive. C'est un film intimiste et mystérieux, dont les personnages semblent ne pas bien se connaître eux-mêmes, et qui esquive avec grâce toute explication psychologique. On ne peut qu'esquisser des hypothèses fragiles, qui presque aussitôt s'évaporent, comme l'éléphant de Murakami. Tant mieux : le cinéma ne devrait-il pas être avant tout "le territoire du jeu et des hypothèses", au même titre que le roman selon Milan Kundera ?
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