Juste après la séance dédiée aux courts internationaux, le PIFFF nous donnait à voir le nouveau film de Thomas Salvador, La Montagne, à propos duquel Cyril Despontin ne cachait pas son admiration. On le comprend.
Synopsis du film
Pierre (Thomas Salvador) travaille dans une entreprise qui conçoit et vend des solutions robotiques. Un jour, alors qu’il présente une invention à de potentiels clients dans une région montagneuse, son regard est capté par l’image d’une montagne située à proximité de la ville où il se trouve.
Le lendemain, Pierre prétexte une maladie imaginaire auprès de ses collègues pour rester dans la ville en question. En réalité, il part faire une excursion dans la montagne, et prend des cours d’alpinisme auprès d’un guide local. C’est le début d’une expérience à la fois intense, éprouvante et étrange…
Critique de La Montagne
Un film à la fois simple, beau et mystérieux
Thomas Salvador n’avait pas réalisé de films depuis Vincent n’a pas d’écailles, sorti en 2014, dont il tenait le rôle principal aux côtés de Vimala Pons. On le retrouve ici également acteur-réalisateur, pour une raison qu’il a fort bien expliquée à la fin de la projection, puisqu’il avait fait le déplacement au Max Linder en ce dimanche 12 décembre pour y présenter La Montagne.
Cette raison a directement à voir avec une autre activité de Salvador, en dehors du cinéma : ce passionné de montagne a en effet pratiqué la danse, l’alpinisme et l’acrobatie. Enfant, il rêvait à la fois de devenir cinéaste et guide de haute montagne. Son rapport au cinéma, comme son rapport à la nature, est donc en partie très physique. La sensation (le toucher, l’effort, le mouvement) guide davantage son travail d’auteur que la réflexion théorique consciente. Et c’est quelque chose que l’on ressent face à La Montagne.
Le sujet (un homme plaque son travail du jour au lendemain en raison d’une fascination soudaine pour une chaîne de montagnes) aurait pu donner lieu à quelques lieux communs qui, s’ils ne sont pas faux ni idiots en soi, finissent parfois par sonner creux aux oreilles. Se retrouver dans l’essentiel ; la reconnexion à la nature comme moyen de se reconnecter à soi-même ; l’abandon salutaire du superflu : ces idées sont omniprésentes dans la société actuelle et d’ailleurs, le confinement lié à la pandémie de COVID-19 a augmenté la récurrence de ce type de propos (précisons ici que La Montagne a été écrit avant 2020).

Mais voilà, Thomas Salvador préfère les images, les gestes, l’action (dans le sens le plus pur du terme) aux discours. Son film n’est jamais encombré de répliques qui viennent en surligner la signification ; il est au contraire épuré, limpide, direct, tout en étant, à sa manière, profond et volontiers mystérieux. Et les quelques choix significatifs, symboliques (l’activité professionnelle du protagoniste – la robotique – forme un contraste évident avec la démarche intime qu’il entreprend ; son prénom renvoie directement à la montagne, à la roche) ne sont l’objet d’aucune insistance, on peut même supposer que certains aient été involontaires (le cinéaste a d’ailleurs réalisé plus tard que le choix du prénom de son personnage n’était peut-être pas anodin !).
Une approche qui évoque le réalisme magique
La Montagne fait le choix d’un ton très réaliste, parti pris que renforce d’ailleurs la présence de non-professionnels au sein du casting (par exemple, le guide de haute montagne qui entraîne Pierre occupe vraiment cette profession). Au niveau du jeu, on se situe dans un naturalisme assumé, jamais forcé par les comédiens (dont une Louise Bourgoin remarquable ; on notera aussi la présence d’Andranic Manet, vu dans la série Le Monde de demain). Dans cet environnement en quelque sorte familier, dépaysant mais tout à fait normal
, une touche d’étrange surgit, sans pour autant bouleverser radicalement l’ordre des choses (il n’y a pas de changement de ton).
Cette approche du fantastique (plus subtile que celle de la quasi totalité des films de genre français, empêtrés dans le film à message) évoque le courant du réalisme magique, appelé aussi parfois fantastique réel, dont on a d’abord parlé dans les domaines de la peinture et de littérature. Elle est fascinante, parce qu’elle mêle le banal et le singulier, l’extraordinaire et l’ordinaire, le connu et l’inconnu, d’une manière qui fait qu’on ne peut plus vraiment les dissocier. Cela donne au monde tel qu’il nous est présenté dans le film un relief énigmatique (le terme relief convenant bien à la typologie des décors naturels utilisés ici), d’autant plus séduisant que Thomas Salvador se garde bien d’expliquer quoi que ce soit ; d’ailleurs, comme il l’a confié lui-même, il ne saurait pas forcément le faire, puisqu’il fonctionne à l’intuition. Le film dégage donc une beauté, une grâce dont l’impression reste en nous après la séance, puisque nous ne pouvons l’enfermer dans des phrases et des concepts trop réducteurs.
Très belle découverte donc que ce long métrage qui sortira dans les salles françaises le 1er février 2023, à découvrir au cinéma bien évidemment, étant donné ses grandes qualités esthétiques, ses paysages superbes et aussi sa bande originale somptueuse, signée Chloé Thévenin.
Actualisation : La Montagne a remporté l’Œil d’or (prix du public, qui est le prix principal du festival) et le prix du jury Ciné+ Frisson au PIFFF 2022 !
Bande-annonce de La Montagne
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On pourrait s'attarder sur l'exploit technique lié aux conditions difficiles de tournage du film de Pierre Salvador, mais le plus important est de souligner la manière dont celui-ci stimule notre intuition, nos sensations, notre imagination sans jamais réduire ses idées par le biais de formules et d'explications toutes faites. S'inscrivant en quelque sorte dans une forme de réalisme magique, mais ne ressemblant qu'à lui-même, La Montagne conjugue dans un même geste la forme et le fond, le banal et le mystérieux, l'apparence et le caché, le charnel et le spirituel.
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