Film d’Anne Fontaine
Année de sortie : 2008
Pays : France
Scénario : Anne Fontaine et Benoît Graffin
Photographie : Patrick Blossier
Montage : Maryline Monthieux
Musique : Philippe Rombi
Avec : Fabrice Luchini, Roschdy Zem, Louise Bourgoin, Stéphane Audran, Jeanne Balibar
Bertrand Beauvois : Ça va vite. Ça va très, très vite.
Bertrand Beauvois (Fabrice Luchini) face à une monégasque entreprenante (Louise Bourgoin) dans La Fille de Monaco
La Fille de Monaco met en scène un trio de personnages agité par le désir et la compétition sociale. Un premier rôle prometteur pour Louise Bourgoin, et sans doute l’un des meilleurs films d’Anne Fontaine.
Synopsis du film
L’avocat Bertrand Beauvois (Fabrice Luchini) se rend à Monaco pour défendre Édith Lassalle (Stéphane Audran), une veuve fortunée accusée d’avoir assassiné son amant. La victime étant liée à la mafia russe, le fils d’Edith Lassalle, Louis (Gilles Cohen), décide d’engager Christophe Abadi (Roschdy Zem), un garde du corps, pour protéger Bertrand.
Quand Bertrand croise la route d’Audrey Varella (Louise Bourgoin), une miss météo locale, il est dérouté par le charme, la spontanéité et surtout par le caractère très entreprenant de la jeune femme, lui qui apprécie la séduction orale mais prend souvent le large avant que les choses prennent une tournure charnelle.
Ignorant les appels à la prudence de Christophe, qui connaît Audrey, Bertrand Beauvois plonge tête baissée dans cette relation inattendue, perdant son éternelle maîtrise de lui-même. Peu à peu, une tension dramatique va se nouer au cœur du trio…
Critique de La Fille de Monaco
Le désir est un des thèmes phares du cinéma d’Anne Fontaine ; nul besoin d’être un fin analyste pour s’en rendre compte. Presque tous ses films en parlent, souvent assez directement. La Fille de Monaco ne fait pas exception et il s’agit, en tout cas de mon point de vue, de l’une des plus belles réussites de la réalisatrice à ce jour.
Le scénario a été écrit par Fontaine elle-même avec Benoît Graffin, fréquent collaborateur de Pierre Salvadori et lui-même réalisateur de trois longs métrages. Et à bien des égards, il s’agit d’un scénario subtil, riche, qui offre au spectateur un vaste territoire d’hypothèses et de questionnements.
L’histoire repose sur un trio de personnages ayant, chacun, un rapport distinct au sexe et au désir. L’avocat joué par Fabrice Luchini séduit par le mot, le verbe ; l’acte sexuel ne l’intéresse pas tant que ça et même, semble quelque peu l’effrayer et le déstabiliser. Son garde du corps, campé par Roschdy Zem, a un rapport plus simple et spontané à la sexualité. Quant à la miss météo jouée par Louise Bourgoin pour son premier rôle au cinéma (on notera que la comédienne s’est précisément faite connaître en présentant la météo sur Canal+), elle incarne, à première vue, une sexualité féminine débridée, très libre dont elle use parfois, nous y reviendrons, à des fins manipulatoires.

Tout le récit se concentre sur la manière dont ces trois personnages vont interagir, et parfois évoluer ou trahir des failles particulières au fil des événements. Le moteur de l’histoire, c’est la rencontre entre Bertrand Beauvois et Audrey Varella, et la façon dont la seconde va totalement déstabiliser et bousculer les habitudes du premier. C’est assez classique, le schéma de l’intellectuel quinquagénaire qui perd pied face au désir que lui inspire une femme, belle et plus jeune que lui ; ce qui est moins fréquent en revanche, c’est tous les détails et nuances que le tandem Fontaine / Graffin glisse dans les réactions des personnages.
Le film passe ainsi d’une réflexion ambigu sur le désir, sur les jeux de pouvoir et de domination qu’il peut impliquer et sur son influence parfois considérable sur le comportement humain, à une dimension sociale finement abordée, qui émerge notamment dans le rapport complexe qu’entretiennent Andrey et Christophe, rapport qui n’exclut pas une forme de compétition (tous deux étant situés, par rapport à l’avocat, plus bas dans l’échelle sociale), tandis que l’attitude d’Aydrey à l’égard de Bertrand relève en bonne partie d’une stratégie de « promotion » sociale.
Ces trois « éléments chimiques » s’entrechoquent d’une manière que la réalisatrice orchestre avec beaucoup d’habileté. Par ailleurs, La Fille de Monaco est aussi un film très drôle, si on excepte une dernière partie d’une tonalité plus grave ; les répliques confiées à chacun des personnages, et notamment à Luchini, sont écrites au cordeau, et le jeu millimétré des comédiens (tous les trois sont remarquables) en révèle toute la saveur comique. L’humour vient également des contrastes volontairement prononcés entre les personnages, et des décalages cocasses qu’ils provoquent fréquemment.

Le procès qui sert de toile de fond au récit n’est pas un simple détail de l’histoire. Outre le fait qu’il était logique que le personnage de Bertrand soit avocat (manière de souligner son rapport à la langue, au cœur de son rapport aux femmes), l’affaire criminelle comporte, comme pratiquement toutes les affaires criminelles, son lot d’ambiguïtés et de mystère, la vérité absolue, complète, n’émergeant jamais totalement dans une salle d’audience. Or, on peut en dire autant de l’intrigue principale à laquelle les trois protagonistes participent : elle offre plusieurs niveaux de lecture, et ne peut pas se résumer par un verdict clair et définitif.
Il est par exemple difficile de juger chaque personnage de but en blanc ; par exemple, Audrey Varella est peut-être une séductrice manipulatrice, mais dans le même temps, les hommes profitent de ses charmes, tout en la jugeant ensuite superficielle et/ou toxique – on voit bien, ici, qu’Anne Fontaine ne cherche pas à dépeindre des victimes et des coupables, des maîtres et des esclaves, mais plutôt des jeux relationnels complexes et tortueux, parasités par les notions de classe. La fin, même, mélange des sentiments et émotions contradictoires, dans une sorte de danse aussi ancienne et mystérieuse que celle qu’exécute impassiblement la houle bleue visible dans l’ultime plan du film.
Anecdotes
On se souvient tous, du moins si on a au moins la quarantaine comme l’auteur de ces lignes, de la façon résolument nouvelle, décalée et drôle avec laquelle Louise Bourgoin a présenté la météo dans l’émission Le Grand Journal de 2006 à 2008. C’est Fabrice Luchini qui, saisi par sa présence à l’écran, lui a suggéré de devenir comédienne, chose qu’elle n’envisageait pas du tout à l’époque ; il lui aurait déclaré, plus ou moins : mon prochain film sera avec vous. Ce fut La Fille de Monaco. Depuis, elle a joué dans une vingtaine de films, dont le récent, et très réussi, La Montagne.
De son propre aveu, Louise Bourgoin a d’abord été déroutée par la lecture du scénario, jugeant son personnage stupide et le prenant presque pour elle. Elle a ensuite réalisé que c’était bien entendu un rôle de cinéma qui ne reflétait en rien une idée préconçue de la réalisatrice à son sujet. Par ailleurs, il me semble que le personnage d’Audrey n’est pas si stupide que cela : dans le film, elle surjoue souvent la ravissante idiote, pour parvenir à ses fins ; ce qui est, en un sens, une preuve d’intelligence.
La Fille de Monaco parvient à conjuguer humour et suspense dramatique avec beaucoup d'habileté, tout en développant des enjeux psychologiques et sociaux assez complexes. Et côté casting, c'est un sans fautes.
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