Quatrième chronique dédiée à l’édition 2022 de l’Étrange Festival. Au programme de ce vendredi 16 septembre, un film d’épouvante danois, ancré dans le folkore juif : Attachment.
Synopsis du film
Lorsque la danoise Maja (Josephine Park) rencontre la britannique Leah (Ellie Kendrick), c’est le coup de foudre immédiat, au point que Leah décide de repousser son retour en Angleterre.
Peu après, Leah se blesse au genou au cours d’une crise d’épilepsie. Les deux jeunes femmes prennent alors la direction de Londres, où Leah habite auprès de sa mère Chana (Sofie Gråbøl), une juive orthodoxe pratiquante.
Très protectrice à l’égard de sa fille, Chana ne semble pas particulièrement ravie de la présence de Maja…
Critique d’Attachment
Attachment, premier long métrage de Gabriel Bier Gislason, fait partie des films sélectionnés en compétition à L’Étrange Festival 2022, d’où le fait qu’une liste permettant de noter le film était distribuée à l’entrée de la salle par les équipes de bénévoles. La projection se déroulait dans la même (très) grande salle dans laquelle j’avais découvert le nouveau film de Sébastien Marnier quatre jours plus tôt.
Attachment a été en partie financé par la société danoise Nordisk Film qui a, entre autres, co-produit l’excellent Midsommar. La première demi-heure reprend un motif qu’on retrouve dans plusieurs films de genre : l’irruption d’un personnage au sein d’une belle famille pas toujours accueillante, dont il ne comprend pas les codes, le fonctionnement et les motivations. Ici, plus précisément, on parlera davantage de belle-mère que de belle-famille, d’ailleurs. On devrait trouver un nom pour qualifier ce type de situation au cinéma ; après tout, il existe bien un sous-genre intitulé Dinner Parties from Hell (les films avec des repas infernaux). Attachment pourrait ainsi être associé à une catégorie intitulée, par exemple, hellish mother in law.
L’une des grandes qualités du film se situe au niveau de la caractérisation des personnages. On s’attache d’emblée au duo amoureux Maja/Leah, que l’écriture, mais aussi l’interprétation (Ellie Kendrick – vue dans les séries Game of Thrones et Le Journal d’Anne Franck – et Josephine Park sont excellentes) parviennent à rendre crédible et consistant ; ce qui était essentiel car, de l’aveu même du réalisateur, Attachment est avant tout une histoire d’amour.

Le personnage de la belle-mère juive est pittoresque, tour à tour drôle (à son insu) et inquiétante. Sofie Gråbøl, qui au tout début de sa carrière a joué dans le très beau Pelle le Conquérant de Bille August, l’incarne avec brio, composant avec le caractère excessif du personnage sans tomber dans la caricature ou la parodie.
L’arrivée de Maja dans un univers culturel et religieux auquel elle ne connaît à peu près rien (et le film traite aussi de cela : les peurs que peuvent inspirer un environnement et des codes inconnus) donne lieu à des scènes souvent cocasses, jamais lourdes ou grossières ; c’est d’ailleurs dans les moments de tendresse et d’humour que le film s’avère être le plus juste. L’habileté du scénario réside également dans sa façon d’orienter les soupçons du spectateur dans des directions différentes. Doit-on vraiment craindre le personnage de la mère, ou plutôt l’oncle Lev (David Dencik) ? Maja est-elle vraiment lucide dans son appréciation (elle se méfie rapidement de Chana), ou victime de son ignorance (de l’histoire de la famille de Leah et de la religion juive en général), voire manipulée par ses propres sentiments ?
La religion et le folklore juifs occupent une place très importante dans l’histoire, et il faut le souligner car c’est relativement rare dans le cinéma de genre, en tout cas si on compare avec le nombre de films fantastique se situant dans un univers chrétien. On relèvera cependant quelques autres exemples, dont le court-métrage plutôt réussi Dibbuk, de Dayan David Oualid, qui fut projeté au festival de Clermont-Ferrand et au PIFFF, mais aussi Possédée (2012), qui d’ailleurs avait également été réalisé par un danois (Ole Bornedal), ou plus récemment The Vigil (2021) de Keith Thomas.
Pour autant, si cet univers permet d’intégrer des motifs qui apportent de la variété par rapport aux films du même genre, le thème central d’Attachment me paraît plutôt être le sentiment amoureux et les comportements qu’il peut susciter, lesquels peuvent être problématiques pour soi-même comme pour l’autre, même lorsqu’ils sont guidés par les meilleures intentions (tiens, on retrouve Bille August). C’est aussi une œuvre sur l’amour maternel, et la façon dont celui-ci peut entrer en conflit avec l’amour éprouvé par un ou une conjointe. La dynamique principale d’Attachment repose en effet sur l’opposition, tantôt suggérée tantôt frontale, entre deux individus aimant la même personne ; l’un en tant que mère, l’autre en tant que petite-amie.
C’est lorsque le film bascule dans l’épouvante pure qu’il convainc un peu moins. L’ambiguïté auparavant savamment entretenue se dissipe en partie, tandis que l’humour n’a plus vraiment sa place, or Gabriel Bier Gislason se montre moins efficace quand il s’agit de susciter la peur (même s’il y parvient parfois, notamment lorsque Maja explore la maison londonienne pendant la nuit). On peut aussi un peu regretter que la partie purement fantastique du récit ne fasse pas davantage écho à son contexte culturel ou familial.
Si les vingt dernières minutes, tout en étant très loin d’être ratées, instaurent donc un léger déséquilibre (d’autant qu’il y a une légère incohérence, disons une omission dans le scénario), elles ne font absolument pas oublier les qualités de ce premier long métrage, qu’elles concernent le casting, la direction d’acteurs, l’écriture des personnages ou encore une réalisation techniquement maîtrisée.
En sortant de la salle, après un temps de réflexion typique de ma nature hésitante, j’ai inscrit la note de 7 sur le papier qu’on nous avait fourni au début de la séance, sachant qu’il s’agit à mes yeux d’une bonne note (personnellement, quand j’avais 7 ou 14 à l’école, j’étais satisfait). (J’en profite pour dire que j’ai horreur de noter les films ; le système de notation établi sur ce site est surtout destiné à lui assurer une meilleure visibilité dans les pages de résultats de recherche.)
En écrivant cette chronique, j’ai songé à nouveau à ce que Attachment semble dire sur le sentiment amoureux, et que je ne peux développer ici sans spoiler le scénario. Puis j’ai visualisé mentalement le trio féminin sur lequel repose la trame, avec le sentiment qu’un détail m’échappait. Ce qui est plutôt bon signe : les bons films, en général, nous échappent en partie. C’est pour cela qu’on y revient parfois, en pensée ; ils nous habitent, en quelque sorte, mais heureusement, d’une manière moins nocive et encombrante que les dibbouks. Notons d’ailleurs que ce terme, qui désigne un démon dans la mythologie juive et kabbalistique, provient de l’hébreu דיבוק
qui veut dire… attachement
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Retrouvez le programme de l’édition 2022 de L’Étrange Festival sur le site officiel.
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