Film de Rodrigo Sorogoyen
Année de sortie : 2022
Pays : Espagne, France
Scénario : Rodrigo Sorogoyen, Isabel Peña
Photographie : Alejandro de Pablo
Montage : Alberto del Campo
Musique : Olivier Arson
Avec : Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera, Diego Anido, Marie Colomb
As Bestas est une variation réussie autour des tensions de voisinage aux forts relents sociaux et culturels.
Synopsis du film
Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs) démarrent une nouvelle vie en Galice. Leur projet : cultiver des légumes et rénover des bâtiments pour les louer à des randonneurs. Le problème, c’est qu’Antoine s’attire l’hostilité de deux paysans locaux, Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido). Ils lui reprochent de s’être opposé à un projet d’éoliennes, qui serait source de revenus pour les habitants de la région. Pour ne rien arranger, Xan et Lorenzo sont xénophobes ; à leurs yeux, la position d’Antoine sur le projet des éoliennes est d’autant plus inacceptable que c’est un étranger, qui ne devrait pas avoir voix au chapitre.
Peu à peu, la tension monte entre les trois hommes…
Critique de As Bestas
Si l’idée du scénario provient d’un sombre fait divers, la situation décrite dans As Bestas, parce qu’elle présente des enjeux dramatiques tout trouvés, a inspiré de nombreux réalisateurs avant Rodrigo Sorogoyen. L’arrivée de citadins dans une zone rurale, puis la mésentente avec des « locaux » plus ou moins hostiles, c’est le point de départ des Chiens de paille, par exemple, mais aussi de nombreux films d’horreur.
Cela ne signifie en rien qu’As Bestas procure une impression de déjà vu. Le cinéaste espagnol a un style affirmé, et l’écriture (que l’on doit à Sorogoyen et à sa fidèle collaboratrice Isabel Peña) est suffisamment intelligente et précise pour que le récit nous embarque sans que notre cerveau se plaise à le comparer incessamment à des films antérieurs.
La réalisation convoque l’univers du western, en particulier dans les scènes de confrontation entre Vincent (Denis Ménochet) et des paysans galiciens, lesquelles se déroulent d’ailleurs souvent dans un vieux troquet qui pourrait aussi bien se trouver dans une ville fantôme du Far West. La référence à ce genre cinématographique, par ailleurs souvent caricaturé, est assumée, mais jamais surlignée ou grossière. Et à bien des égards, le film est ancré dans son époque.
As Bestas oppose en effet deux classes sociales n’ayant pas du tout le même rapport à l’argent et à l’écologie, ce qui fait écho à des problématiques largement contemporaines. Ainsi, si rien ne saurait justifier l’attitude exécrable de Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido) dans le film, on sent bien que ce qui intéresse Sorogoyen, c’est avant tout de parler des fractures sociales et des incompatibilités majeures qu’elles provoquent ; et non de filmer un conflit entre des « gentils » d’un côté et des « méchants » de l’autre.
Intelligemment, le script ne nous impose d’ailleurs aucun point de vue arrêté sur la cause initiale du conflit (le projet d’éoliennes est-il aussi nocif que le pense Vincent ? Chacun se fera son avis, ou pas) ; son ambition principale est de décrire comment ce conflit prend des proportions de plus en plus grandes, et à quel point le simple dialogue, l’échange devient pratiquement impossible, ou en tout cas infructueux. Ces gens sont tout simplement trop différents, depuis trop longtemps. On a d’un côté des citadins issus de la classe moyenne, ayant fait de grandes études, avides d’air pur et sensibilisés à la cause écologique ; de l’autre des paysans lassés de leur milieu et de leur pauvreté, qui n’aspirent qu’à gagner un peu plus d’argent. Vincent a beau se débrouiller plutôt bien en espagnol, il ne parle pas la même langue, au sens large, que Xan et Lorenzo.
Si le sens du cadre dont témoigne le réalisateur sert admirablement bien un scénario progressif et savamment construit, le casting n’est pas en reste. Denis Ménochet (Jusqu’à la garde), que l’on voit de plus en plus souvent (et c’est une bonne chose), est impressionnant de force contenue tandis que Marina Foïs, d’abord un peu en retrait, livre dans la dernière partie du film une partition à la fois sobre et intense (on soulignera aussi la très bonne prestation de la jeune comédienne Marie Colomb dans le rôle de sa fille). Les acteurs espagnols Luis Zahera et Diego Anido excellent dans un registre qui pourrait virer à la caricature, or tous deux évitent ce travers. Au final, As Bestas est un thriller efficace, qui au-delà du cas particulier illustré dans le film rend compte de problématiques sociales à la fois très actuelles et intemporelles.
As Bestas est un thriller aux allures de western, qui rappelle à quel point le rapport aux questions de l'écologie (et à l'argent) est en partie déterminé par la classe sociale. La gestion de la tension y est précise et maîtrisée ; le scénario évite le piège du manichéisme pour mieux pointer des fractures sociales et culturelles ; tandis que les acteurs se montrent tous convaincants. Une réussite.
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