Film de Guillaume Renusson
Pays : France
Année de sortie : 2022
Scénario : Guillaume Renusson et Clément Peny
Photographie : Pierre Maillis-Laval
Montage : Joseph Comar
Musique : Robin Coudert
Avec : Denis Ménochet, Zar Amir Ebrahimi, Victoire Du Bois, Oscar Copp, Luca Terracciano, Guillaume Pottier, Julie Moulier, Bastien Ughetto
Pour son premier long, Guillaume Renusson s’empare d’un sujet d’actualité en mêlant les registres du drame réaliste et du survival.
Synopsis du film
Samuel (Denis Ménochet), père d’une petite fille, se remet peu à peu d’une blessure à la jambe, mais plus difficilement d’une blessure à l’âme. Après avoir confié son enfant à son frère, il part s’isoler dans un chalet situé dans les Alpes italiennes. Il va alors faire une rencontre qui va le sortir de son état de marasme…
Critique de Les Survivants
Depuis au moins six ans, de nombreux migrants tentent de traverser les Alpes italiennes pour rejoindre la France, dans des conditions particulièrement ardues. Il y a d’une part les difficultés liées à la haute montagne, d’autre part la menace que représente une police parfois brutale et même, il arrive que des militants d’extrême droite viennent compliquer encore un peu plus les choses (lire à ce sujet cet article dans Libération). Des bénévoles aux intentions plus nobles viennent heureusement nuancer ce noir tableau (lire Dans les Alpes, des volontaires italiens et français viennent en aide aux migrants).
C’est de cette réalité dramatique dont nous parle le premier film de Guillaume Renusson à travers un récit de fiction, certes, mais qui s’inspire directement du contexte évoqué ci-dessus. À des fins de dramatisation, le jeune cinéaste et co-scénariste a imaginé un personnage hanté par le deuil, ce qui donne à son action dans le film (il aide une migrante afghane à traverser la frontière) une résonance bien particulière. L’idée aurait pu paraître superficielle et tire-larmes, sauf que le jeu très physique, tout en retenue du toujours impressionnant Denis Ménochet, ainsi qu’un texte qui demeure pudique à de rares exceptions près (la toute fin du film déroge un peu à ce principe), font qu’elle fonctionne assez bien et que le pathos ne pointe que très rarement le bout de son (gros) nez.
Face au comédien révélé, au cinéma, par son rôle dans le Inglourious Basterds de Quentin Tarantino – et qu’on a vu depuis, entre autres bons films, dans Jusqu’à la garde et As bestas –, la comédienne (mais aussi productrice et réalisatrice) franco-iranienne Zahra Amir Ebrahimi témoigne d’un jeu à la fois remarquablement expressif et sobre, qui confère à son personnage une crédibilité immédiate et constante.
Dans un décor naturel au potentiel cinématographique évident (mais qui pose des difficultés considérables au moment du tournage ; le réalisateur les évoque dans cette interview), ces deux personnages abîmés pour des raisons différentes tentent de se frayer un chemin, leur évolution (laborieuse) dans l’espace présentant (entre autres) des enjeux de survie auxquels le titre du film fait directement référence. Progressivement, le récit s’aventure sur les territoires inhospitaliers du western (pour l’atmosphère et l’imagerie), du survival et plus spécifiquement du film de traque, Guillaume Renusson ayant fait le choix de faire intervenir à plusieurs reprises un trio de nationalistes italiens particulièrement motivés et agressifs.
Ce choix fait basculer Les Survivants dans le film de genre, ce qui représente un parti pris audacieux dans la mesure où une nature hostile, et une police répressive, représentaient sans doute une menace suffisamment élevée. Certains critiques cinéma ont regretté ce glissement (c’est le cas par exemple des Inrockuptibles et de Positif). Il me semble en effet que le basculement dans le genre n’est pas entièrement maîtrisé, dans la mesure où la caractérisation des trois identitaires est à la fois un peu trop simpliste pour qu’ils deviennent vraiment consistants (même si le jeu de Victoire Du Bois convainc particulièrement) et trop réaliste pour qu’ils prennent une dimension symbolique ; mais pour autant, il est indéniable que leur présence ajoute une tension supplémentaire au film, tension que Guillaume Renusson orchestre avec un savoir-faire technique évident.
La dernière scène du film comporte quelques lignes de dialogues en trop (ayant pour effet de surligner inutilement une émotion déjà bien présente), mais en dehors de cette légère maladresse d’écriture, elle conclut de façon cohérente ce beau récit de solidarité, doublé d’une touchante méditation sur le deuil.
Parmi les seconds rôles, on notera la présence de Julie Moulier, qui jouait l’éditorialiste de Libé dans Enquête sur un scandale d’État, de Guillaume Pottier, d’Oscar Copp et de Bastien Ughetto, connu notamment pour sa participation au collectif Les Parasites.
Parce qu'il parvient à dégager une émotion qui fait mouche, et à maintenir en haleine le spectateur, Les Survivants demeure un bon film sur un sujet urgent, dont les relatives imperfections ne suffisent pas à ébranler l'impression de solidité, mais aussi d'honnêteté et d'humanisme, qu'il produit. C'est aussi un film qui rappelle à chacun la force morale et physique dont doivent témoigner les migrants dans leur parcours, qualité qui rend leur traitement par les autorités d'autant plus injuste.
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