2019 touche à sa fin. C’est le moment de dresser un bilan cinématographique, forcément subjectif, de cette année. L’exercice est terriblement commun (tous les sites cinéma s’y plient), il n’en reste pas moins intéressant, à la fois pour celui qui l’effectue (car il se plonge alors dans les souvenirs des films, mais aussi dans celui du contexte de leur découverte) et pour ceux qui consultent la liste finale, lesquels, peut-être, y trouveront des raisons de découvrir une œuvre à côté de laquelle ils seraient passés.
Avant-propos
Bien qu’assez hétérogène, me semble-t-il, dans les genres qu’elle brasse, la liste ci-dessous traduit peut-être, malgré tout, une certaine idée du cinéma, ou plus simplement des préférences. Celles-ci reposent sur des facteurs intemporels, que viennent parfois renforcer des phénomènes typiques de l’époque actuelle.
On ne le dira, à mon avis, jamais assez : un bon film c’est d’abord un récit de qualité, une narration solide. Une manœuvre habile avec une caméra n’a aucun intérêt si elle ne sert pas une histoire intelligemment construite, avec des personnages un tant soit peu consistants dont on perçoit, même fugacement, les mystères, les contradictions, les sentiments, les émotions, les conflits intérieurs… Bref, la célèbre citation d’Henri-Georges Clouzot est toujours aussi valable aujourd’hui : Pour faire un film, premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire
. Dire cela n’est pas nier l’importance de la mise en scène, mais affirmer que la mise en scène, c’est une façon d’exprimer une idée et/ou un sentiment ; s’il n’y a pas d’idées, ou qu’elles sont médiocres, la mise en scène est un exercice totalement vain.

On peut alors se demander ce qu’est une bonne histoire ! Je n’aurai pas la prétention de répondre précisément à cette question ici. Mais il me semble percevoir un point commun, un critère propre à tous les films qui ont marqué ma mémoire de spectateur.
Une bonne histoire reflète à la fois une volonté, une méthode, un point de vue (celui du scénariste et du réalisateur, qui sont parfois la même personne), une manière précise d’agencer et de montrer les choses et dans le même temps, elle échappe en partie à son auteur, car elle laisse à l’intelligence et à la sensibilité du spectateur la possibilité de se l’approprier, de composer à partir des motifs qui la constituent une image nouvelle, unique, à la fois durable et en partie insaisissable.
Insaisissable, car il y a toujours un peu de mystère dans une bonne histoire. Des zones troubles, floues, qui prendront des contours différents selon notre humeur du moment, ou notre manière de repenser un film. Un film qui explique tout, qui formule tout, et qui vous dit quoi penser de ce tout, est quelque part un film de propagande. Ils sont de plus en plus nombreux ces temps-ci, et prennent des aspects différents – comme les profanateurs de sépultures du film de Don Siegel. D’ailleurs, le réalisateur précité ne ciblait pas les communistes dans ce film, comme on l’a parfois pensé (encore que l’on soit parfaitement libre de l’interpréter de cette manière, même aujourd’hui) : il s’attaquait, de son propre aveu, aux producteurs de cinéma.
Les meilleurs films de 2019
Midsommar, d’Ari Aster

Après le traumatisant Hérédité, Ari Aster a confirmé, avec Midsommar, qu’il était l’une des figures les plus intéressantes du cinéma horrifique contemporain. Loin des discours convenus et des métaphores grossières que l’on trouve, par exemple, chez le talentueux mais surestimé Jordan Peele (Get Out, Us), Midsommar trace un sillon plus troublant et singulier, mêlant les codes de la folk horror avec les traumatismes intimes et familiaux dont Hérédité était déjà imprégné. Le piège social qui se referme sur la protagoniste du film est directement connecté à son expérience personnelle, dévoilée dès l’ouverture ; il en est en quelques sortes le prolongement cauchemardesque.
Il découle de cette démarche une horreur viscérale, dérangeante, qui privilégie l’émotion et la sensation à un quelconque message. Ce cinéma fait voler nos repères en éclat ; nous confronte au doute, à la solitude, au deuil, au chaos. Mais un chaos orchestré avec un savoir-faire admirable : Aster déploie dans Midsommar une impressionnante maîtrise de la forme, du cadre, des couleurs et des sons.
Alice et le maire, de Nicolas Pariser

Nicolas Pariser fait partie de ces réalisateurs qui rassurent sur l’état d’un cinéma français trop souvent tenté de décliner les mêmes recettes. Alice et le maire prolonge ce qui était déjà présent dans le brillant Le Grand jeu, c’est-à-dire une réflexion passionnante sur le rapport étroit, profond entre l’individu et le politique. Ses films décrivent en effet, avec beaucoup d’habileté, les interactions complexes entre des trajectoires intimes et des récits collectifs. C’est brillant sans être verbeux, intelligent sans être poseur, drôle (parfois) sans être lourd. Et dans le cas précis d’Alice et le maire, c’est excellemment joué par Anaïs Demoustier et Fabrice Luchini.
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Once Upon a Time… in Hollywood, de Quentin Tarantino

Dans son dernier film, dont le titre renvoie aussi bien à l’univers du conte qu’à celui du génial Sergio Leone, Quentin Tarantino délaisse en partie les longues plages de dialogues qui tendaient, parfois, à cumuler les citations et à sentir l’auto-satisfaction, pour privilégier une approche plus sensorielle. Il nous parle ici, avec une sincérité émouvante, du passage du temps, de l’amitié, et de cinéma bien entendu ; en particulier, de la capacité que ce dernier a de réinventer la réalité, de lui opposer le pouvoir sublime de la fiction, du fantasme et du rêve. Il se moque par ailleurs éperdument des convenances actuelles, ce qui est aussi rafraîchissant que les Whiskey Sour dont Rick Dalton (Leonardo di Caprio) s’abreuve dans Once Upon a Time… in Hollywood.
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Marriage Story, de Noah Baumbach

Ne vous laissez pas décourager par un pitch qui, de prime abord, a un fort goût de déjà vu, ni par des premières minutes qui, sans être maladroites, ne vont pas contredire immédiatement cette impression. À partir d’un paysage en apparence assez banal, un peintre habile va, par petites touches, signer une toile de valeur. C’est ce que parvient à faire ici Noah Baumbach, grâce à des dialogues intelligents, des personnages finement caractérisés (même les plus secondaires) et une réalisation millimétrée, entièrement vouée à servir le sens du texte et la qualité de son interprétation par les différents comédiens. Marriage Story est un modèle de maîtrise narrative.
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Dragged Across Concrete/Traîné sur le bitume, de S. Craig Zahler

Après avoir revisité l’univers du western dans le violent et âpre Bone Tomahawk, S. Craig Zahler s’attaque au néo-noir avec Dragged Across Concrete (sorti en France sous le titre Traîné sur le bitume, directement en vidéo). Le résultat est un film aussi dur que son titre le laisse entendre : pas de morale, pas de pitié, pas de concessions, et surtout pas de message. Pas de facilités non plus : le récit est solide comme la crosse d’un 38, et servi par un beau trio de durs à cuire (Tory Kittle, Mel Gibson et Vince Vaughn). L’un des meilleurs polars urbains de ces dix dernières années.
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Les Misérables, de Ladj Ly

Au niveau de l’approche, du fond, Les Misérables témoigne d’un rare sens de l’empathie : Ladj Ly s’efforce de comprendre tous ses personnages ; pas forcément d’excuser tous leurs actes, mais de les comprendre, qu’ils soient policiers ou « simples » civils. Il dessine ainsi une mosaïque humaine et sociale nuancée, complexe et évidemment dysfonctionnelle, sans désigner des coupables tout trouvés. Au niveau de la forme, il témoigne d’un sens du rythme et d’une gestion de la tension qui font que Les Misérables n’est pas qu’une énième chronique sociale, mais un vrai objet de cinéma.
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J’accuse, de Roman Polanski

Si la justice avait mieux fonctionné, si la société avait été moins complaisante, à une certaine époque, vis-à-vis d’actes considérés aujourd’hui – à juste titre – comme graves et enfin, si certains délais de prescription n’étaient pas dépassés, peut-être que Roman Polanski serait aujourd’hui sous les verrous et dans ce cas, la qualité de son œuvre ne saurait évidemment constituer un quelconque argument de défense.
Mais je n’ai aucunement la possibilité, les moyens de juger fermement de cela. Je ne peux juger que ses films ; or si D’après une histoire vraie était franchement raté, il est en revanche difficile d’imaginer meilleur film sur l’affaire Dreyfus que ce J’accuse dont le scénario est construit avec la même rigueur que celle dont le lieutenant-colonel Georges Picquart a visiblement témoigné au cours de son enquête. Si on ajoute à cela un sens du cadre, du montage (et du détail !) qui ne surprendra pas les fans de Rosemary’s Baby et de Chinatown, ainsi que la meilleure interprétation à ce jour de Jean Dujardin dans un registre dramatique, on obtient ce film d’une fluidité remarquable, droit dans ses bottes, porteur d’un message qu’il faut savoir déconnecter de la biographie de son auteur pour l’apprécier pleinement. Certains refuseront toutefois de le faire, et c’est un choix tout à fait respectable.
Parasite, de Bong Joon-ho

Une fois n’est pas coutume, la Palme d’or 2019 a fait l’objet d’un certain consensus – même si bien entendu les avis peuvent diverger – chez les critiques cinéma. Et pour cause, Parasite, sans être le meilleur film de son auteur (on peut lui préférer The Host et Memories of murder), est une fable sociale aussi brillante qu’acide. La manière, insidieuse, dont le récit nous embarque pour mieux nous surprendre et nous mettre face à nos propres réactions (Devons-nous rire devant certaines scènes de la fin comme face à celles du début ? Ce n’est pas sûr) procure une troublante expérience de cinéma. Certaines métaphores sont un peu trop surlignées mais l’ensemble est maîtrisé, le casting est excellent et le malaise est durable – ce qui était sans doute volontaire.
Les autres films conseillés

L’Heure de la sortie, de Sébastien Marnier, est un thriller rondement mené, mystérieux à souhait, qui témoigne d’un sens aigu de l’atmosphère (le climat du film flirte habilement avec l’étrange et le fantastique) et d’une connexion étroite avec une problématique phare de notre époque. Avec un Laurent Lafite inspiré, vu quelques mois plus tôt dans l’excellent Paul Sanchez est revenu !, inclus dans le TOP cinéma 2018.
À Couteaux tirés utilise habilement les ficelles du film à énigme façon Agatha Christie pour livrer un commentaire politique d’actualité, incarné par un très joli casting. Un divertissement jouissif et intelligent.
Plongez dans un Singapour onirique, étrangement vide, où s’égarent des travailleurs précaires et des policiers rêveurs, en regardant Les Étendues imaginaires, de Yeo Siew Hua. Un peu soporifique parfois, le film propose cependant un vrai regard sur son pays.
Tel Aviv on Fire aborde le conflit israélo-palestinien avec un mélange d’humour, de bienveillance et de justesse. Sameh Zoabi y parle également de la condition délicate de l’auteur de cinéma, en particulier quand celui-ci traite de thématiques sensibles.
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