Film de Dominik Moll
Année de sortie : 2022
Pays : France, Belgique
Scénario : Dominik Moll et Gilles Marchand, d’après le livre 18.3. Une année à la PJ, de Pauline Guéna
Photographie : Patrick Ghiringhelli
Montage : Laurent Roüan
Musique : Olivier Marguerit
Avec : Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi, Johann Dionnet, Thibaut Evrard, Julien Frison, Mouna Soualem, Lula Cotton-Frapier, Anouk Grinberg
Il est des crimes qui vous habitent ; des crimes qui font plus mal que les autres et vous ne savez pas toujours pourquoi.
Extrait du livre 18.3. Une année à la PJ, de Pauline Guéna
Un fait divers possède sa vérité propre tout en étant, parfois, le reflet d’une réalité plus large. C’est tout le propos de La Nuit du 12, le nouveau film de Dominik Moll. Dommage qu’il soit un peu trop martelé…
Synopsis du film
Yohan Vivès (Bastien Bouillon) vient tout juste de succéder au chef de la PJ de Grenoble, parti à la retraite, quand il se voit confier une sombre affaire : l’assassinat sauvage d’une jeune femme de 21 ans, Clara Royer (Lula Cotton-Frapier). Si plusieurs suspects sont rapidement identifiés, l’enquête piétine, en dépit de l’obstination de Vivès et de ses collègues, dont Marceau (Bouli Lanners).
Critique de La Nuit du 12
C’est un récit personnel écrit par Pauline Guéna qui est à la base du scénario de La Nuit du 12. Intitulé 18.3. Une année à la PJ, ce récit est le fruit d’une immersion d’un an au sein de la brigade criminelle de la police judiciaire de Versailles. Dominik Moll et son fidèle collaborateur Gilles Marchand se sont particulièrement concentrés sur la dernière affaire évoquée dans le livre, tout en prenant des motifs et idées présents dans d’autres passages. Ils ont également déplacé l’intrigue dans la région de Grenoble. La Nuit du 12 est donc une fiction, inspirée de faits réels.
Même si Seules les bêtes, le précédent film de Moll, appartient plus ou moins aux registres du thriller et du film noir, La Nuit du 12 est le premier film policier au sens strict du duo Moll/Marchand. La structure choisie ici est assez représentative du genre : le film s’ouvre par un crime (tout à fait terrifiant), puis il détaille les différentes étapes de l’enquête (interrogatoires ; fausses pistes…), tout en distillant ça et là quelques éléments sur la vie privée de certains des enquêteurs (en particulier celle de Marceau, interprété par Bouli Lanners) et sur les conditions et méthodes de travail au sein de la PJ. L’enquêteur principal est un homme réservé, peu loquace mais plutôt doux de nature, qui, comme l’expliqua son interprète Bastien Bouillon, « reçoit » les choses ; il écoute, observe, ressent, un peu comme le spectateur qui, de ce fait, a tendance à s’identifier à lui.
Tout cela est très classique sur le papier, mais le récit est bien emmené et par ailleurs, Dominik Moll est doué pour créer une atmosphère, en général mystérieuse et inquiétante. Il confirme ce talent ici, aidé par l’excellent chef opérateur Patrick Ghiringhelli, et La Nuit du 12 se suit donc avec un intérêt de chaque instant, en dépit du fait qu’on nous présente d’emblée le film comme étant la chronique d’une affaire non résolue ; en dépit, ou pas d’ailleurs : c’est sans doute dans cette « irrésolution » que le film puise une partie de son aura et surtout, l’essentiel de son propos.
Peu à peu, les auteurs utilisent en effet le flou autour de l’identité du meurtrier pour mieux parler d’un sujet sensible, à la fois intemporel et très présent dans l’actualité : les féminicides. Terme qui se distingue de « homicide » dans la mesure où il désigne les crimes dont les victimes ont été tuées en raison de leur genre (féminin, en l’occurrence) ; en tout cas, le fait qu’elles aient été des femmes a eu une influence importante sur leur sort et sur le comportement de leur meurtrier.
Dit autrement, le film, par le biais d’une affaire judiciaire bien précise, se penche sur la violence masculine exercée contre les femmes. Dans La Nuit du 12, cette violence n’est donc pas connectée à un individu bien précis : elle émane de l’ensemble des suspects masculins et, par extension, des hommes en général, même si le scénario se garde de tout amalgame excessif (encore qu’une réplique du personnage principal, sous-entendant que tous les suspects de l’affaire sont des meurtriers potentiels, est un peu maladroite de ce point de vue). La manière dont la victime est tuée donne d’autant plus d’écho à ce traitement : on pense évidemment aux pseudo sorcières que le pouvoir, soutenu par l’Église catholique, a condamnées au bûcher pendant plus de deux siècles en France (du 15ème au 17ème siècle principalement). Les procès en sorcellerie sont en effet des exemples particulièrement indiscutables et frappants de féminicides : les victimes étaient condamnées avant tout parce qu’elles étaient des femmes.
L’approche choisie par les deux auteurs (parler d’un phénomène global par le biais d’un événement particulier) est judicieuse. Elle est aussi, malheureusement, trop soulignée : plusieurs répliques viennent en effet expliciter cette intention, là ou une ou deux allusions discrètes auraient amplement suffi. On peut d’ailleurs s’étonner de cette lourdeur dans la mesure où Dominik Moll et Gilles Marchand ont tous deux débuté leur carrière en signant des films privilégiant l’implicite, la suggestion (Qui a tué Bambi ? ; Harry, un ami qui vous veut du bien ; Lemming).
Ce trait trop appuyé, s’il est franchement regrettable, ne gâche pas pour autant ce polar efficace, qui n’évite pas certaines conventions du genre (la scène finale est un poil grossière dans sa prévisibilité) mais témoigne d’un indéniable sens du récit et de la réalisation, tout en ayant le mérite de soulever une question sociétale majeure.
Dans La Nuit du 12, Dominik Moll et Gilles Marchand partent d'un fait divers pour lui donner une portée plus grande, et s'interroger sur la violence des hommes à l'encontre des femmes, à notre époque comme dans les précédentes. L'approche, louable bien que pas toujours subtile hélas, est servie par une narration fluide, une réalisation inspirée et un casting talentueux, à deux ou trois approximations de jeu près.
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