Prêtons-nous à l’exercice du TOP cinéma de 2021, moins pour prétendre lister les meilleurs films de l’année, ce qui n’aurait aucun sens, que pour suggérer modestement quelques idées de visionnage, en partageant des coups de cœur évidemment subjectifs.
TOP 6
(Je précise qu’il n’y a pas d’ordre significatif dans la liste qui suit.)
Passion simple
Le dernier film de Danielle Arbid, à qui l’on doit notamment le très réussi Peur de rien, est l’adaptation d’un roman d’Annie Ernaux (comme L’Événement, également sorti en 2021). On y suit une femme divorcée, mère d’un petit garçon, qui vit une curieuse passion charnelle avec un quasi-inconnu au point d’éprouver, parfois, des difficultés à gérer son quotidien.
L’intelligence du film est d’observer, de montrer mais de ne jamais commenter ou juger. Filmée avec beaucoup de délicatesse, de sensualité par moments, cette passion simple
semble échapper à toute analyse définitive, à toute explication binaire. Si la voix-off, dont on suppose qu’elle puise largement dans le (beau) texte d’Annie Ernaux, nous éclaire un peu sur l’état d’esprit de la protagoniste, Passion simple sollicite davantage nos sens et notre intuition que notre raisonnement ou notre morale. Il faut s’en réjouir, surtout à une époque ou les « films à message » sont légion. En prime, la réalisatrice a choisi de très beaux morceaux de musique pour accompagner son film, dont une envoutante reprise d’I Want You, de Bob Dylan, par Linda Vogel.
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Bergman Island
Situé sur l’île de Fårö, en Suède, où Ingmar Bergman a séjourné (et tourné plusieurs films), Bergman Island explore les liens entre la création artistique et l’expérience intime à travers un récit fluide, subtil et jamais poseur. Pas « bergmanien » pour un sou (pas de longs dialogues psychologiques ici), ce film aérien, d’une mélancolie légère et mystérieuse, porte bel et bien la signature de son auteure, Mia Hansen-Løve. Vicky Krieps, Tim Roth et Mia Wasikowska y livrent des prestations d’une grande justesse, dans le registre de jeu naturel et spontané chère à la réalisatrice française.
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The Card Counter
The Card Counter est du Paul Schrader pur jus, une « étude de personnage » pour traduire littéralement l’expression anglaise consacrée, qui s’inscrit dans la veine de ses films hantés par la guerre (celle d’Irak en l’occurrence).
Dans ce film, l’horreur joue sa partition entêtante en sourdine, elle demeure hors-champ, et n’en est que plus saisissante. Le jeu d’Oscar Isaac est, au même titre que la réalisation de Schrader (composée pour l’essentiel de plans fixes, d’une apparente simplicité), stupéfiant de sobriété et de précision. Et quel sens du récit, du mot juste. Un film remarquable, peut-être le meilleur de son auteur en tant que réalisateur. Martin Scorsese, dont le culte Taxi Driver est basé sur un scénario de Schrader, en est le producteur exécutif.
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Leur Algérie
Pour tenter de mieux comprendre un phénomène aussi complexe et problématique que la colonisation, la guerre d’Algérie et l’immigration qui s’ensuivit, on peut regarder des reportages historiques, se plonger dans des livres d’histoire ou alors passer par le biais de l’expérience intime. Car la trajectoire d’un homme, d’une femme reflète parfois, à sa manière, une réalité plus globale, tout en demeurant unique par certains aspects.
Leur Algérie est basée sur cette démarche que je trouve, à titre personnel, passionnante et enrichissante (comprendre la grande histoire par la petite
, par l’expérience individuelle). La réalisatrice Lina Soualem filme ses grands-parents, originaires d’Algérie, sans livrer de commentaires ou d’explications particulières ; c’est à travers les regards, les silences, les mots de ces deux « exilés » que passent une émotion, un sentiment précieux et significatif, qu’on ne trouvera pas dans une analyse historique générale, si utile et fournie soit-elle. C’est beau, émouvant, instructif et je dirais même, à l’heure d’une campagne présidentielle monopolisée par l’extrême-droite, nécessaire.
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First Cow
Dix après La Dernière piste, Kelly Reichardt nous livre un western tout aussi accompli et maîtrisé. Le récit de First Cow est à la fois délicat (les deux personnages principaux sont de sympathiques et pacifiques « losers », très éloignés des figures classiques du western), poétique (la nature est superbement filmée) et amer, puisqu’il reflète des inégalités sociales dont on ne peut que constater la persistance à notre époque. Un beau film lent mais jamais ennuyeux, tant la cinéaste a le sens de la composition et du rythme, et tant le scénario co-écrit avec Jonathan Raymond est un modèle d’épure et de précision.
Les Sorcières d’Akelarre
On sait, à moins d’évoluer dans l’obscurantisme le plus total, que les procès en sorcellerie sont des exemples particulièrement parlants de procès sexistes, absurdes et par ailleurs tragiques, beaucoup s’étant soldés par des mises à mort profondément injustifiées. Basés sur des croyances délirantes nourries par une église catholique encore plus misogyne qu’actuellement, et par un pouvoir politique aveuglé ou intéressé, la chasse aux sorcières constitue l’un des épisodes sombres de l’histoire de France.
Le sujet des Sorcières d’Akelarre résonne bien sûr avec une actualité sociétale où il est souvent question de féminisme. Mais la démarche du franco-argentin Pablo Agüero n’est pas bêtement opportuniste, loin s’en faut. En portant à l’écran un épisode authentique de la chasse aux sorcières dans le Pays Basque, il ne se contente pas de dénoncer, mais articule un récit intelligent, incarné par des comédiennes de talent, où plaidoyer féministe et critique des dérives religieuses côtoient une ode vibrante au pouvoir de la fiction.
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Autres films notables
Les Olympiades de Jacques Audiard, inspiré de trois récits d’Adrian Tomine (brillant scénariste et dessinateur de BD), se regarde avec plaisir. Le réalisateur y filme un quartier de Paris (celui qui donne son titre au film, dans le 13ème) d’ordinaire boudé par les autres cinéastes, en dépit de son évident potentiel cinématographique, ainsi que des comédiens prometteurs qu’on espère revoir bientôt. On ne comprend pas trop l’usage du noir et blanc (référence à Manhattan ? à Tomine ?), quoique le résultat soit joli, et il manque par ailleurs, dans le récit, ce petit quelque chose qui imprime une mémoire de spectateur.
My Zoe de Julie Delpy convainc dans sa première partie, un petit peu moins dans son déroulement, qui semble quelque peu précipité. On retient toutefois le choix d’un sujet difficile (le clonage d’un proche disparu comme remède au deuil), que la réalisatrice aborde en nous laissant le soin d’y réfléchir par nous-même, sans nous dicter quoi penser du comportement de l’héroïne qu’elle incarne. Bien que Delpy joue très bien comme d’habitude, on se demande si elle n’aurait pas dû choisir une autre comédienne pour tenir le rôle principal, ne serait-ce que pour mieux se concentrer sur le récit, parfois un peu bancal et qui ne pose peut-être pas toutes les bonnes questions ; même si on ne lui reprochera guère, en tout cas sur ce site, de ne pas livrer de réponses toutes faites.
La conclusion de l’ère Daniel Craig dans la saga James Bond, Mourir peut attendre, offre un spectacle sans temps mort, filmé avec style par Cary Joji Fukunaga. Le comédien confirme ici qu’il a réussi à donner au célèbre espion britannique une âme (volontiers tourmentée) et une humanité dont il était largement dépourvu dans les films antérieurs à l’indétrônable Casino Royale, lesquels étaient beaucoup plus superficiels dans le traitement du protagoniste. De toute évidence, la tache de son éventuel successeur sera difficile. Servi par l’un des meilleurs génériques de la saga (accompagné par une élégante chanson de Billie Eilish), Mourir peut attendre n’est ceci dit pas exempt de défauts, les principaux étant un « méchant » qui peine à convaincre (un problème d’écriture, plus que d’interprétation) et une histoire d’amour à laquelle on ne croit qu’à moitié. Quitte à moderniser la saga, les scénaristes auraient été inspirés de jeter James dans les bras d’une femme de son âge (Monica Bellucci par exemple), plutôt que dans ceux d’une blonde de vingt ans sa cadette à laquelle Léa Seydoux ne parvient pas à insuffler une véritable aura. Mais c’est tellement mieux que Spectre, et que bien d’autres James Bond pré-Daniel Craig, qu’on aurait tort de bouder son plaisir.
Avec In The Earth, projeté au PIFFF 2021, Ben Wheatley retrouve la folk horror dont on le sait amateur depuis le brillant Kill List. Le récit, qui met en scène deux personnages principaux attachants, esquisse une réflexion sur le rapport à la nature dans un contexte pandémique, qui est intéressante mais un peu brouillonne. Surtout, Wheatley n’est pas parvenu à conclure son film efficacement. L’ensemble se suit néanmoins avec plaisir si on aime les films d’horreur d’atmosphère.
2 commentaires
Je parcours un peu les blog et tombe souvent sur le Paul Schrader comme film à retenir. Moi je suis passé complètement à côté, je n’en avais pas entendu parler et ne sais même pas s’il passera sur les écrans disponibles autour de chez moi. Je ne l’ai donc pas vu, mais je vais tenter de me renseigner. Cette unanimité (en tout cas sur les blogs parcourus) me rend forcément curieux.
Content de voir Les sorcières dans ce top. Bonne année ciné 🙂
Oui il est vraiment bon le Schrader ! Très bonne année à vous, merci !