Film de Mia Hansen-Løve
Année de sortie : 2021
Pays : France, Belgique, Suède, Allemagne
Scénario : Mia Hansen-Løve
Photographie : Denis Lenoir
Montage : Marion Monnier
Musique : Raphaël Hamburger
Avec : Vicky Krieps, Mia Wasikowska, Tim Roth, Anders Danielsen Lie, Joel Spira
Bergman Island est un film tendre et subtil, dans lequel Mia Hansen-Løve explore avec délicatesse son rapport intime à la création fictionnelle.
Synopsis du film
Chris (Vicky Krieps) et Tony (Tim Roth) sont un couple de cinéastes qui décident de passer un été sur l’île de Fårö, où Ingmar Bergman vécut et tourna de nombreux films, afin d’y écrire chacun un scénario.
Si Tony trouve rapidement l’inspiration, Chris rencontre davantage de difficultés. Finalement, elle débute une histoire intitulée La Robe blanche, dont certains motifs ne sont pas sans évoquer, implicitement, sa propre expérience à Farö…
Critique de Bergman Island
Il y a des films où le cadre géographique de l’histoire est essentiel, indissociable même de celle-ci. Par son seul titre, on sait d’emblée que Bergman Island, le dernier long métrage de Mia Hansen-Løve, est de ceux-ci.
Encore faut-il avoir suffisamment de talent pour faire vivre cet environnement à l’écran, et y faire résonner son sujet. Du talent, Mia Hansen-Løve n’en manque pas : sa caméra nous transporte littéralement sur l’île de Farö, ce qui, en cette période ponctuée de confinements successifs, constitue une expérience des plus agréables. Mais Bergman Island n’est pas une carte postale, une promenade touristique sur grand écran ; ce n’est pas non plus un film contemplatif, de ceux où le réalisateur semble estimer que des plans interminables sur la nature vont contribuer à créer une atmosphère, et compenser un script bancal (on n’est pas chez Terrence Malick). Ce n’est pas davantage un film bergmanien ni même, à proprement parler, un hommage au célèbre réalisateur suédois, bien que Mia Hansen-Løve ne fasse pas mystère de son admiration à son égard.

En effet, pas de longs dialogues détaillant la psychologie et le ressenti des personnages ici, ni d’engueulades intenses au sein du couple central (nous ne sommes pas dans Scènes de la vie conjugale). Mia Hansen-Løve est une autrice à part entière et ne cherche pas à imiter quiconque. Son film est éminemment personnel et d’ailleurs, ce personnage féminin qui tente d’écrire un scénario à Farö renvoie forcément un peu à la réalisatrice, elle-même ayant écrit Bergman Island dans des conditions en partie similaires. Le thème principal du film est, précisément, le lien entre la création d’une fiction et l’expérience personnelle de son auteur ; ou comment nous explorons, par l’écriture, nos frustrations, nos fantasmes, nos déceptions (amoureuses, principalement), de façon plus ou moins implicite. Mia Hansen-Løve a tourné en anglais pour créer une distance avec ce personnage qui lui fait, en partie, écho ; Chris, dans Bergman Island, imagine un personnage féminin plus jeune qu’elle, à des fins comparables.
Le thème de la création et de son rapport à la vie intime est en soi banal, mais il est rarement traité avec une telle délicatesse. En effet, rien n’est surligné dans Bergman Island ; ni les émotions, ni la psychologie, ni même la beauté, pourtant saisissante, des paysages. Il émane ainsi du film une impression de légèreté (comme dans la très jolie séquence de baignade au petit matin) qui n’effleure jamais la superficialité. La caméra est précise et discrète : on l’oublie volontiers (et c’est tant mieux) comme on oublie la notion de composition chez les comédiens, lesquels adoptent un jeu qu’on pourrait qualifier de « naturaliste » (Tim Roth a d’ailleurs insisté sur ce point lors d’une interview).
Et quels comédiens : ils sont tous remarquables. Vicky Krieps et Mia Wasikowska impressionnent par les nuances qu’elles glissent dans leur interprétation, comme par leur prestance naturelle ; Roth est quant à lui d’une sobriété parfaite, au même titre que le suédois Hampus Nordenson et le norvégien Anders Danielsen. Tous campent des personnages qu’on ne peut pas résumer en quelques mots et dont la réalisatrice ne cherche pas à dessiner les moindres contours. Il revient au spectateur, à travers une expression ou au détour d’une réplique allusive, de saisir ici et là quelques détails significatifs.

Le récit est d’une grande fluidité. Le « film dans le film » s’insère parfaitement bien et apporte un éclairage sur le personnage de Chris (à travers la fiction qu’elle conçoit), en particulier sur ses désirs enfouis, sur son probable passé amoureux et sur son lien à Bergman, qu’on devine parfois pesant (un personnage de son scénario taille d’ailleurs un sacré costard au réalisateur de Persona !). Mais il s’agit d’un éclairage tamisé, vacillant, qui ne révèle pas tout, loin s’en faut.
Si l’on se fie à certaines répliques, Ingmar Bergman avaient fini par croire aux esprits suite au décès d’Ingrid von Rosen, sa dernière épouse. Dans Bergman Island, les présences invisibles qui habitent les plans sont tout ce que la réalisatrice ne dit pas, ne montre pas, volontairement. Dans un bon film, ce qu’on ne voit ni n’entend compte autant que le reste.
Bande-annonce
Mia Hansen-Løve donne au spectateur de l'espace non seulement en le transportant sur une île, mais en laissant son intuition s'y épanouir, la scénariste-réalisatrice se gardant bien de trop en dire sur ses personnages. Du fait de cette approche pudique et tout en finesse, Bergman Island est aussi léger et mystérieux que le vent sur l'île de Farö, lequel hante régulièrement une bande-sonore évocatrice (donnant également à entendre une musique originale très réussie de Raphaël Hamburger, le fils de France Gall et Michel Berger). Un bien joli film, rentré bredouille du Festival de Cannes 2021. Trop intemporel, peut-être ?
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