Film de Pablo Agüero
Année de sortie : 2021
Pays : Espagne, France, Argentine
Scénario : Katell Guillou, Pablo Agüero
Photographie : Javier Agirre
Montage : Teresa Font
Musique : Maite Arrotajauregi, Aránzazu Calleja
Avec : Amaia Aberasturi, Alex Brendemühl, Daniel Fanego, Garazi Urkola, Yune Nogueiras, Jone Laspiur, Irati Saez de Urabain, Lorea Ibarra
Les Sorcières d’Akelarre revient sur un épisode authentique de la chasse aux sorcières en lui donnant une portée intemporelle et donc, actuelle. Une réussite.
Synopsis du film
Au début du 17ème siècle, dans un petit village de pêcheurs du Pays Basque. D’innocentes jeunes femmes sont accusées d’être des sorcières et jetées au cachot. Sous la menace du bûcher, elles vont tenter de manipuler les fantasmes et croyances absurdes de leurs oppresseurs…
Critique de Les Sorcières d’Akelarre
Pendant l’hiver 2016-2017 s’est tenue aux Archives nationales, à Paris, une exposition intitulée Présumées coupables qui retraçait, documents à l’appui, différents procès faits aux femmes au cours de l’histoire de France. Procès souvent sexistes dans la mesure où en quelques sortes, c’était, dans de nombreux cas, pour le seul fait d’être des femmes que les accusées se retrouvaient sous la menace d’une condamnation ; plus précisément, c’était leur sexe qui les rendait suspectes, et non des actes réellement répréhensibles.
La tristement célèbre « chasse aux sorcières » occupait bien évidemment une place importante dans l’exposition, et les comptes-rendus de procès, autant que les notes explicatives fournies par les Archives, confirmaient qu’il suffisait de bien peu, alors, pour être accusée de sorcellerie (une chèvre malade, et voilà une paysanne conduite au bûcher, par exemple), tandis qu’il était particulièrement ardu de se défendre, tant les motifs avancés par l’accusation étaient absurdes, et témoignaient de croyances hermétiques à une argumentation rationnelle.
C’est de cela dont parle, fort bien, le nouveau film du cinéaste argentin Pablo Agüero, Les Sorcières d’Akelarre (titre volontairement ambigu, dans la mesure où il n’y a guère de sorcières, à proprement parler, ici). Le scénario se base plus précisément sur un épisode basque authentique de la chasse aux sorcières, survenu au début du 17ème siècle ; il puise en outre son inspiration de l’essai La Sorcière de Jules Michelet (1862) et de Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, un ouvrage rédigé par un sinistre acteur de la chasse aux sorcières dans le Labourd, Pierre de Rosteguy de Lancre (le comédien Àlex Brendemühl incarne ce dernier).
Rapidement, le film illustre le caractère implacable, irrationnel et arbitraire des accusations en sorcellerie, en prenant le parti des jeunes femmes qui en sont l’objet et en montrant à quel point les hommes qui les persécutent sont gouvernés avant tout par leurs propres obsessions, par la peur que leur inspire le genre féminin et par le paternalisme écrasant, et terriblement violent, qui en découle.
Le sujet est, bien entendu, d’actualité ; il n’a d’ailleurs jamais vraiment cessé de l’être. Le paternalisme en question a certes pris des formes différentes au cours de l’histoire, entraînant des conséquences souvent moins brutales qu’une immolation, mais il n’a pas disparu pour autant, y compris au sein de l’Église catholique qui a été la principale instigatrice de la chasse aux sorcières et qui aujourd’hui, montre encore bien des limites dans sa façon de considérer les femmes (le clergé n’est pas un modèle de mixité).
Il n’est pas aisé de réussir un film reposant sur une opposition aussi nette avec d’un côté les victimes, de l’autre les bourreaux ; on peut en effet se retrouver à enfoncer des portes ouvertes, ou encore sombrer dans une morale un peu simpliste et binaire. Mais Pablo Agüero, et la co-scénariste Katell Guillou, ont beaucoup de bonnes idées, dont celle d’illustrer, outre un combat féministe déjà vibrant, celui de l’intelligence, de la fiction, de l’art contre l’obscurantisme. En effet, « Ana et ses sœurs » vont utiliser la ruse mais aussi et surtout le pouvoir du récit et de l’imagination pour duper leurs adversaires ; une bien jolie leçon de vie dont les échos sont nombreux dans l’époque actuelle.
Ajoutons à l’intelligence du récit des qualités esthétiques évidentes, et notamment une fort belle photographie de Javier Agirre, ainsi qu’une prestation remarquable des différents interprètes, féminins comme masculins. Un film porté par une énergie puissante et inspirante, qui justifie pleinement de subir une brève pénétration nasale si jamais vous n’êtes pas vaccinés…
Les chasses aux sorcières de différentes sortes ponctuent malheureusement l'histoire de l'humanité. Avec Les Sorcières d'Akelarre, Pablo Agüero a l'intelligence de doubler son discours résolument féministe d'une célébration du pouvoir de l'imagination et de la fiction. Le résultat n'en est que plus riche et intéressant.
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