Film de Kaouther Ben Hania
Année de sortie : 2023
Pays : France, Tunisie, Allemagne, Arabie Saoudite
Scénario : Kaouther Ben Hania
Photographie : Farouk Laaridh
Montage : Jean-Christophe Hym, Qutaiba Barhamji, Kaouther Ben Hania
Musique : Amine Bouhafa
Avec : Hend Sabri, Olfa Hamrouni, Eya Chikhaoui, Tayssir Chikhaoui, Nour Karoui, Ichraq Matar, Majd Mastoura
Narratrice : Olfa a quatre filles. Les deux cadettes, Eya et Tayssir, vivent encore avec elle. Les deux aînées, Rahma et Ghofrane, ont été dévorées par le loup.
Extrait de Les Filles d’Olfa
Les Filles d’Olfa se penche sur une histoire vraie vécue par une famille tunisienne en adoptant une approche singulière, à la fois émouvante et enrichissante.
Synopsis de Les Filles d’Olfa
Olfa Hamrouni a vu ses deux filles aînées, Ghofrane et Rahma, rejoindre l’État islamique, peu de temps après la révolution tunisienne. Une réalisatrice lui propose de raconter cette histoire au travers d’un projet de film, où les deux filles cadettes joueront leur propre rôle, tandis que deux actrices vont interpréter Ghofrane et Rahma. De son côté, Olfa est remplacée, dans certaines scènes, par une célèbre comédienne tunisienne, Hend Sabri.
Peu à peu, les échanges entre les protagonistes de la véritable histoire et les trois comédiennes vont permettre de comprendre un peu mieux ce qui s’est passé au sein de la famille Hamrouni.
Critique du film
Les Filles d’Olfa devait à l’origine être un documentaire basé sur l’histoire d’Olfa Hamrouni, une femme tunisienne dont deux des quatre filles ont rejoint les rangs de l’organisation terroriste Daech en 2014, soit un peu après la révolution. Le choix de ce format était d’autant plus évident que la réalisatrice Kaouther Ben Hania le connaît bien : trois des six films qui composent sa filmographie sont en effet des documentaires. Puis elle a changé d’avis ; pour tenter de mieux saisir tout ce qu’il y a derrière cette histoire, elle a décidé d’utiliser un autre procédé, à ma connaissance assez inédit – une sorte de forme hybride mêlant fiction et documentaire.
L’idée de la réalisatrice est la suivante : au lieu de filmer simplement Olfa et les deux filles qui sont restées vivre avec elle, elle fait appel à des comédiens, censés incarner différents protagonistes de l’histoire. Le film alterne entre trois principaux types de séquences : des échanges entre Olfa, ses deux filles et les comédiennes qui incarnent leurs sœurs aînées (mais aussi Olfa elle-même) ; des scènes jouées reproduisant des souvenirs raconté par Olfa et ses filles ; et des discours face caméra.

L’un des principaux intérêts du procédé réside dans les échanges qui ont lieu entre d’un côté les comédiennes Nour Karoui (qui incarne Rahma), Ichraq Matar (qui joue Ghofrane) et Hend Sabri (qui interprète Olfa), et de l’autre Olfa et ses filles Eya et Tayssir Hamrouni. En effet, pour comprendre leur personnage respectif, les actrices posent naturellement des questions à la famille Hamrouni. Et les discussions (intergénérationnelles) qui en découlent sont passionnantes, souvent révélatrices de multiples aspects qui permettent d’éclairer ce qui s’est passé, et d’apporter des explications complexes, nuancés, multiples.
Les pistes sont en effet nombreuses : il y a l’autorité souvent brutale d’une mère, certes, mais aussi une société patriarcale et une violence masculine omniprésente, qu’on ne peut pas totalement dissocier de l’attitude d’Olfa à l’égard de ses filles. Il y a aussi la révolution tunisienne, née d’une colère légitime mais qui a laissé aux islamistes radicaux une marge de manœuvre plus grande que celle dont ils disposaient sous le régime de Ben Ali, l’ancien président décédé en 2019.
Ces pistes se complètent mais ne forment bien entendu pas une explication claire et totale, d’autant plus que le film ne se veut pas une analyse froide, une démonstration figée. L’émotion y est omniprésente, souvent spontanée (les scènes montrant les larmes de la famille Hamrouni ne sont pas jouées : elles sont vécues, et les comédiennes, également, témoignent de plusieurs réactions authentiques).
Nul voyeurisme, pour autant, ici. La metteuse en scène parvient à faire de tout cela un vrai moment de cinéma, joliment éclairé et finement cadré. Un moment de cinéma aux allures de conte ; d’ailleurs, le mot « loup » est prononcé dans les tous premiers instants du film. Les contes, sans être strictement didactiques, ont souvent une fonction, voire un message, plus ou moins ambigu. Ils méritent, en tout cas, d’être médités. Espérons que Les Filles d’Olfa soulèvera ce genre de réaction, en Tunisie comme ailleurs.
Avec Les Filles d'Olfa, Kaouther Ben Hania utilise un procédé intelligent, qui suscite des questionnements et met en lumière des explications diverses à un phénomène complexe. Le résultat est également intéressant dans sa manière de mêler émotions authentiques et composition dramatique ; moments spontanés et scènes reconstituées. Un mélange qui, d'une certaine façon, est inhérent au cinéma.
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