Film de Salim Kechiouche
Année de sortie : 2023
Scénario : Salim Kechiouche, Amel Bedani et Sami Zitouni
Photographie : Jérémie Attard
Montage : Luc Seugé
Musique : Amin Bouhafa et Tom Fire
Avec : Salim Kechiouche, Nora Arnezeder, Hassan Alili, Naidra Ayadi, Kevin Mischel, Pascale Arbillot, Zinedine Soualem, Carima Amarouche
L’Enfant du paradis capture quelques jours de la vie d’un comédien coincé dans une tragédie, celle de sa propre existence.
Synopsis du film
Yazid (Salim Kechiouche) est un comédien qui semble retrouver un peu d’équilibre dans sa vie personnelle et professionnelle, après une longue période visiblement difficile pour lui et ses proches, marquée par la toxicomanie.
Régulièrement confronté à ses erreurs et blessures passées, il marche sur un fil, dans un équilibre précaire. La chute semble presque inévitable…
Critique de L’Enfant du paradis
Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, Salim Kechiouche (dont la carrière de comédien a débuté dans les années 1990 avec des films comme À toute vitesse et surtout Les Amants criminels) a choisi de raconter une histoire très personnelle, directement inspirée par la mort accidentelle d’un ami proche, également comédien, mais aussi par son propre parcours. C’est, de son propre aveu, pour cette raison qu’il a décidé d’incarner le personnage principal de L’Enfant du paradis : il le comprenait d’une manière intime, viscérale, si bien qu’il lui était plus facile de l’interpréter lui-même que de tenter de diriger un autre acteur.
Concentré sur quelques jours, le récit présente plusieurs enjeux et thématiques intéressants. C’est à la fois l’histoire d’un changement d’environnement social (le personnage de Yazid passant d’un quartier populaire au milieu du cinéma, avec tous les décalages que cette évolution implique), d’un ancien toxicomane qui tente d’échapper à ses addictions et d’un enfant probablement victime de violences familiales dans son pays d’origine (l’Algérie) – on a donc également le thème de l’immigration et du déracinement. Autant dire que pour une seule personne, c’est beaucoup de choses à gérer à la fois, et autant d’obstacles au bonheur auquel Yazid aspire, notamment par le biais de sa relation avec sa petite amie Garance (Nora Arnezeder, excellente).
L’une des grandes qualités de L’Enfant du paradis, c’est d’évoquer ce passif, et les nombreux thèmes qu’il recouvre, par le biais d’allusions, de détails, de références brèves au cours d’un dialogue. Les trois scénaristes du film (Salim Kechiouche, Amel Bedani et Sami Zitouni) ne surlignent rien, mais donnent suffisamment d’indices pour que le spectateur ressente le passé problématique du personnage, et comprenne ainsi les réactions de Yazid et celles de son entourage, ainsi que l’enjeu principal du récit, que l’on pourrait résumer ainsi : le protagoniste va-t-il pouvoir échapper aux démons de sa propre histoire ? (Un enjeu aux résonances tragiques, de toute évidence.)
Le jeu des comédiens et la mise en scène se montrent à la hauteur de ce scénario finement écrit. On ressent dans les différentes séquences, y compris celles qui sont plutôt paisibles (dont une scène de plage qui renvoie au paradis
du titre), une sorte de tension sourde, pesante, comme si un drame pouvait surgir à chaque instant. Le film est électrique : un mot ou un geste de trop peut faire court-circuiter les nerfs de son « héros » tourmenté, mais aussi ceux de ses proches, tantôt fatigués par les écarts commis par Yazid avant le début du film (à l’image de son ex-femme jouée par Naidra Ayadi mais aussi de sa soeur, interprétée par Carima Amarouche), tantôt en colère contre ce qu’ils considèrent comme une désertion, une trahison (son ancien pote Ibro, campé par Kevin Mischel, qui reproche à Yazid son changement de milieu social).
La perspective d’un drame hante chaque plan de ce film agité, intense, au titre qui évoque à la fois les origines modestes de Yazid, sa carrière de comédien et évidemment Les Enfants du paradis de Marcel Carné (le paradis, au théâtre, désignant le dernier étage de la salle, contenant les places les moins chères).
En somme, c’est un titre qui dit beaucoup de choses en peu de mots, tout comme le réalisateur parvient à faire passer beaucoup d’idées en peu de plans. Le sens de l’économie étant une qualité précieuse chez un cinéaste, on peut supposer que Salim Kechiouche nous livrera d’autres beaux films comme celui-ci.
Bande annonce
L'Enfant du paradis parvient à brosser, avec un beau sens de l'économie et du hors-champ, les contours sinueux d'un destin tragique, à la fois singulier et porteur d'enjeux et thématiques universels. Les acteurs, dont le réalisateur lui-même, livrent tous des compositions très justes, y compris le jeune Hassan Alili. À noter qu'on retrouve avec plaisir Zinedine Soualem, vu cet automne au festival du film franco-arabe où sa fille Lina Soualem a présenté le très beau Bye Bye Tibériade.
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