Film de Bertrand Blier (assisté de Bertrand Arthuys)
Année de sortie : 1984
Pays : France
Scénario : Bertrand Blier
Photographie : Jean Penzer
Montage : Claudine Merlin
Musique originale : Laurent Rossi
Avec : Alain Delon, Nathalie Baye, Gérard Darmon, Jean-Pierre Darroussin, Michel Galabru, Geneviève Fontanel, Jean-Claude Dreyfus, Sabine Haudepin, Vincent Lindon, Jean-François Stévenin
Donatienne : On la voit la bière, dans tes yeux.
Robert : Moi quand je regarde tes yeux, je vois uniquement tes yeux.
Emmené par une narration typique du cinéma de Bertrand Blier, Notre histoire fonctionne grâce à un développement habile et un casting de haute volée, au sein duquel Alain Delon livre l’une des compositions marquantes de sa carrière.
Synopsis du film
Robert Avranches (Alain Delon) est un garagiste qui boit beaucoup de bière, et dont la vie amoureuse et familiale est chaotique. Seul dans un train, il broie du noir lorsqu’une jeune femme prénommée Donatienne (Nathalie Baye) fait soudainement irruption dans son compartiment.
Ils ont une relation sexuelle qu’elle espère sans lendemain, mais Robert s’accroche, et va tout faire pour entrer dans la vie de Donatienne, en dépit des réticences de cette dernière.
C’est le début d’une histoire étrange et rocambolesque…
Critique de Notre histoire
Dans la filmographie de Bertrand Blier, Notre histoire se situe juste après La Femme de mon pote (1983), un film particulièrement mésestimé (y compris par le cinéaste lui-même) en dépit d’une délicate atmosphère douce-amère, d’un beau trio de comédiens (Lhermitte – Coluche – Huppert) et d’une formidable musique de J.J. Cale. Auparavant, Beau-père (1981) et son sujet difficile, politiquement incorrect, avait également laissé perplexe une partie du public. Notre histoire ne changera pas la donne en termes de succès commercial et il faudra attendre Tenue de soirée (1986) pour que le réalisateur des Valseuses et de Préparez vos mouchoirs tutoie à nouveau les hauteurs du box office hexagonal.
Mais ces considérations – le nombre d’entrées – ont au fond peu à voir avec les qualités d’une œuvre et en l’occurrence, bien qu’il se trouve être plutôt dans l’ombre d’autres films de Blier plus célèbres, Notre histoire est loin d’être dépourvu d’atouts au niveau artistique.
Pas d’erreur possible
: on est bien chez Bertrand Blier
Dès les premiers instants, le film déroule une mécanique immédiatement identifiable, et dont Blier avait déjà usée dans nombre de ses précédents films. Plusieurs éléments la caractérisent : des dialogues décalés et très écrits ; une diction des comédiens pas du tout – ou rarement – naturelle (au niveau interprétation, le cinéma de Blier est souvent très loin d’un « naturalisme » fréquent dans le cinéma français) ; des situations absurdes (avec une montée en crescendo) survenant dans un cadre réaliste ; un mélange constant de drame et de comédie, de cruauté et de tendresse, parfois dans une même séquence ; et des personnages qui confient tout haut leurs états d’âmes, à travers des monologues plutôt théâtraux (procédé qui est également présent dans La Femme de mon pote, bien que ce dernier soit beaucoup plus sobre – en termes de scénario et de narration – que Notre histoire).
Cette manière si particulière de raconter une histoire et de faire s’exprimer des personnages est par définition risquée : si on n’adhère pas particulièrement, il est impossible de suivre le film avec plaisir ; si au contraire on aime, il y a toujours le risque d’être lassé par l’aspect répétitif du procédé. Mais pour plusieurs raisons, Notre Histoire fonctionne sur la longueur et parvient même à relancer l’intérêt du spectateur au cours de ses vingt dernières minutes.
Le casting
Le casting compte indéniablement parmi les points forts du film. Alain Delon, qui reçut le César du meilleur acteur pour son rôle de garagiste imbibé, est ici d’autant plus saisissant qu’à l’époque, le comédien enchaînait des rôles qui ne reflétaient qu’une mince partie de sa palette (dans des films tels que Trois hommes à abattre ; Pour la peau d’un flic ; Le Choc et Le Battant). À quelques nuances près, ces longs métrages présentent l’acteur en homme plutôt courageux et sûr de lui, donnant lieu à des performances efficaces et bien calibrées mais qui ne s’inscrivent pas dans ce que l’acteur a offert de plus mémorable.
Dans Notre histoire, l’acteur fétiche de Jean-Pierre Melville – bien qu’on ne puisse résumer ainsi une carrière où résonnent également les noms de Luchino Visconti, René Clément, Michelangelo Antonioni, Robert Enrico, Henri Verneuil, Jacques Deray, Joseph Losey, Alain Jessua, etc. – livre une composition surprenante, habitée et complexe, très éloignée des prestations plus confortables, « sur mesure », que lui inspiraient les films policiers précités. Ici Delon râle, pleure, s’écroule, supplie, transpire, se bat (maladroitement), le tout en buvant une quantité astronomique de bières (un garagiste, ça boit de la bière !
s’écrie-t-il d’ailleurs dans une scène). Face à lui, Nathalie Baye incarne (brillamment) une femme telle que Bertrand Blier les affectionne : libre ; tourmentée ; ambigüe ; souvent malheureuse ; et aux multiples facettes.
Autour de ce tandem atypique et complètement paumé gravite une galerie de personnages truculents, incarnés aussi bien par des acteurs déjà confirmés (Michel Galabru ; Jean-Claude Dreyfus ; Jean-François Stévenin) que par de grands comédiens au début de leur carrière (Vincent Lindon ; Gérard Darmon ; Jean-Pierre Darroussin). Sans oublier une Sabine Haudepin certes jeune (à peine trente ans) mais qui avait déjà tourné avec Truffaut, Deville, Pialat ou encore Téchiné.
Un dénouement intelligent
Ces personnages se croisent au cours de péripéties improbables, où Blier se joue du réalisme pour laisser libre cours à sa manière bien particulière d’injecter du drame, de la folie et du mordant dans des décors empreints de quotidien (le train ; la banlieue française ; les maisons qui se ressemblent…). Chez lui, la suggestion n’est pas de mise : chacun balance sa vérité face caméra, dans une atmosphère de plus en plus chaotique. En résulte une sorte de kaléidoscope de sentiments et d’émotions contrastés que le metteur en scène orchestre avec sa rigueur coutumière : les répliques semblent écrites à la virgule près ; les cadres et mouvements de caméra sont d’une grande précision.
Ce bordel très ordonné aurait pu finir par tourner en rond, d’autant plus que le rythme bat un peu de l’aile passé la première moitié du film. Mais Bertrand Blier signe un dénouement malin, qui revitalise l’ensemble en incitant le spectateur à poser un regard neuf sur toutes les scènes précédentes. C’est ainsi que – malgré une bande originale plutôt moyenne de Laurent Rossi, qui a tendance à alourdir certaines séquences – Notre histoire propose au final un récit divertissant peuplé de personnages hauts en couleur (et ponctué de scènes apaisantes, comme la jolie séquence tournée chez le couple d’instituteurs vers la fin du film), et sauvé du cul-de-sac par une conclusion ingénieuse.
Avec Notre Histoire, Bertrand Blier offrit à Alain Delon sans doute son rôle le plus intéressant au cours de la décennie 80. Face à une Nathalie Baye toujours juste, l'acteur apporte sa précieuse contribution à une partition tour à tour amère, délirante, cruelle et tendre, qui atteint ses plus jolies notes au cours de ses toutes dernières mesures.
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