Film de Rachid Hami
Année de sortie : 2023
Pays : France
Scénario : Rachid Hami et Ollivier Pourriol
Photographie : Jérôme Alméras
Montage : Joëlle Hache
Musique : Dan Levy, Astrid Gomez-Montoya et Rebecca Delannet
Avec : Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal, Samir Guesmi, Laurent Lafitte, Vivian Sung
Basé sur des faits réels qui ont directement touché son réalisateur, Pour la France délivre un beau récit familial et intime.
Synopsis du film
Au cours d’un bahutage
à Saint-Cyr qui ne respecte aucune norme de sécurité, le jeune soldat Aïssa Saïdi (Shaïn Boumedine) trouve la mort. Sa mère Nadia (Lubna Azabal) et son frère aîné Ismaël (Karim Leklou) vont tenter de comprendre ce qui s’est passé, et d’obtenir un hommage militaire à la hauteur des circonstances.
Dans le même temps, Ismaël se souvient de différents moments vécus avec Aïssa, du départ mouvementé d’Algérie pendant les années de plomb à un séjour à Taïwan, bien plus tard…
Critique de Pour la France
Pour la France est le second long métrage de Rachid Hami après La Mélodie et il s’agit d’un projet particulièrement personnel, le cinéaste (révélé par Abdellatif Kechiche en 2004, puis repéré par Arnaud Desplechin) étant le frère aîné de Jallal Hami, un jeune homme ayant perdu la vie, à seulement 24 ans, lors d’un « bahutage » à Saint-Cyr. C’est de cette tragique affaire dont s’inspire le scénario de Pour la France, qui comporte de nombreux autres éléments autobiographiques même si Rachid Hami a sur certains points pris le parti de la fiction (par exemple, le personnage d’Ismaël, joué par Karim Leklou, s’il fait écho à l’expérience du réalisateur, n’est pas pour autant son double cinématographique).
Quand on réalise un film qui traite d’une injustice – et qui plus est, d’une injustice qui nous a directement touché –, il doit être tentant de verser dans le brûlot cinématographique, le film à charge ; lequel peut être efficace, mais dont la profondeur de champ est souvent limité (il y a en général peu de place à la nuance dans les films qui ne font que dénoncer). Pour la France est à mille lieux de cela. Bien entendu, le film n’exprime aucune réserve – et c’est légitime – quant au fait que le « bahutage » dont Rachid Hami (appelé Aïssa Saïdi dans le film) a été victime s’est déroulé dans des conditions scandaleuses (l’événement a d’ailleurs été qualifié d’homicide involontaire) ; par ailleurs, certains cadres militaires (dont celui joué par Laurent Capelluto) se montrent davantage soucieux de préserver la réputation de l’armée que de rendre pleinement justice. Mais Rachid Hami ne donne pour autant jamais l’impression de vouloir régler des comptes avec la grande muette, et ses interviews données dans le cadre de la sortie du film vont dans le même sens. Pour la France n’est pas davantage un film de procès : si celui-ci a bel et bien eu lieu depuis, aucune séquence du métrage ne lui est consacré.
Avant toute chose, on a le sentiment qu’à partir du fait tragique qui ouvre le film, le cinéaste a voulu signer une œuvre introspective ; explorer l’histoire d’une famille et raconter, à travers cela, à la fois des parcours uniques, des personnalités singulières, et une réalité collective. Une réalité sociale française que les médias, et les politiques, ont souvent tendance à caricaturer, quand ils ne l’ignorent pas purement et simplement.
Le récit comprend plusieurs flashbacks montrant tantôt l’enfance en Algérie (avec un départ pour la France directement lié au début de la guerre civile algérienne dans les années 90 ; épisode également évoqué dans le sublime Les Jours d’avant de Karim Messaoui), tantôt un séjour à Taïwan au cours duquel les frères Saïdi se retrouvent, se brouillent, se retrouvent à nouveau (rétrospectivement, on songe à un dialogue intérieur entre le metteur en scène et son frère disparu, comme l’a justement observé la journaliste Giulia Foïs).
Leurs parcours respectifs sont bien distincts : l’aîné (Ismaël) se cherche et trempe visiblement dans quelques magouilles ; le cadet (Aïssa, joué par Shaïn Boumedine) effectue de brillantes études à Sciences Po et projette d’intégrer Saint-Cyr. Il a appris le chinois et souhaite servir son pays, qui est bel et bien la France (n’en déplaise à certains…). Puis on replonge dans le présent, avec des scènes montrant la famille endeuillée (dont une mère courageuse campée par Lubna Azabal, vue dans Tel Aviv on Fire) « négocier » auprès d’une armée embarrassée les conditions d’un enterrement suffisamment digne à leurs yeux.
Le film, en dépit de la gravité de son sujet, n’est jamais lourd, pathos. Le réalisateur cherche davantage à faire vivre ses personnages à l’écran (y compris, et même surtout, celui qui représente son frère) qu’à exprimer le poids du deuil. Il écarte au travers d’une réplique tout soupçon de racisme dans la mort d’Aïssa ; comme déjà précisé, Pour la France se distingue par un traitement sobre, nuancé et lucide. Le scénario, co-écrit avec Ollivier Pourriol, passe d’une époque à une autre sans jamais égarer ou ennuyer le spectateur, dévoilant par petites touches les contours émouvants d’une histoire intime, aux échos universels.
Au cours de l’émission En Marge sur France Inter où il était invité le samedi 18 février, Rachid Hami a prononcé une phrase clé : Ceux dont on parle beaucoup mais qu’on ne raconte jamais
. On songe au morceau Pour ceux, de Mafia K’1 Fry, qu’on entend dans une scène particulièrement touchante du film ; et on se dit à nouveau que Pour la France est un bel hommage, et tout simplement un beau film.
Pourquoi Pour la France ?
Le titre du film fait référence à l’engagement militaire de Jallal Hami, et à une réplique prononcée par le personnage d’Aïssa Saïdi (qui le représente à l’écran) quand son frère Ismaël lui demande s’il serait prêt à tuer – ce à quoi le futur soldat répond par l’affirmative, en précisant : si c’est pour la France
.
Évidemment, ce titre prend une dimension amère du fait du décalage entre le patriotisme qu’il exprime, et les circonstances particulièrement injustes et révoltantes de la mort de Jallal Hami au cours de sa formation militaire.
Il me semble aussi que plus généralement, le choix du titre est une manière de souligner un attachement à la France chez une partie de la population que beaucoup de gens, dont des personnalités politiques, ne semblent pas considérer comme des français à part entière. On peut donc voir ce titre comme une revendication brandie face aux nombreux préjugés ciblant les français ayant des origines étrangères (préjugés qu’on a retrouvés récemment dans les propos abjects de l’écrivain surestimé Michel Houellebecq, lequel, au cours d’un entretien avec Michel Onfray, a employé cette expression absurde de français de souche
).
Pour la France, s'il illustre certaines (graves) dérives de l'école militaire Saint-Cyr, n'est pas un règlement de comptes mais une introspection émouvante, doublée d'un hommage particulièrement digne à un jeune homme dont le parcours atypique prend à contrepied, comme des milliers d'autres, bien des préjugés tenaces sur une certaine jeunesse française.
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