Film de Karim Moussaoui
Année de sortie : 2015
Pays : Algérie, France
Scénario : Karim Moussaoui et Virginie Legeay
Photographie : David Chambille
Montage : Julien Chigot
Avec : Mehdi Ramdani, Souhila Mallem, Mohammed Ghouli, Meriem Medjkrane, Chawki Amari
Dans Les Jours d’avant, Karim Moussaoui choisit judicieusement, pour évoquer les années de plomb algériennes, l’angle de la chronique intime. Le résultat est d’une grande pureté.
Synopsis du film
Dans les années 1990, dans la banlieue sud-ouest d’Alger. Djaber (Mehdi Ramdani) et Yamina (Souhila Mallem) ne se connaissent pas vraiment, mais se croisent parfois dans l’école qu’ils fréquentent à Sidi Moussa. Djaber est saisi par la beauté de Yamina, laquelle en revanche ne paraît pas remarquer le jeune homme.
Des années plus tard, ils se souviennent de ces jours où l’ennui côtoyait tantôt une angoisse sourde, liée au développement de la guerre civile algérienne, tantôt une rêverie amoureuse.
Critique de Les Jours d’avant
Les premiers plans d’un film, comme les premiers mots d’un livre, ont parfois le pouvoir de nous convaincre, d’emblée, de la beauté de ce qui va suivre. L’ouverture des Jours d’avant possède cette force, finalement assez rare. Il émane en effet des deux premières images, montrant successivement un jeune homme allongé dans l’herbe et un autre jeter des cailloux dans un ruisseau, une force évocatrice aussi saisissante que discrète.

Le choix du format de pellicule 16mm (à l’heure où l’on tourne essentiellement en numérique), que l’on doit au chef opérateur David Chambille, y est en partie pour quelque chose, mais seulement en partie : s’il suffisait de tourner en 16 pour produire une telle impression, les grands films seraient légion. Non, indéniablement, le sentiment que procurent les premiers instants du film, c’est celui d’entrer dans l’univers d’un auteur précieux, unique, tout entier au service du récit qu’il veut nous conter.

Ce récit, Karim Moussaoui l’a d’abord développé seul, avant de le co-écrire avec la scénariste française Virginie Legeay, rencontrée dans un atelier d’écriture au Maroc. Bien qu’il s’agisse d’un pur récit de fiction et non d’une autobiographie, il s’inspire en partie des impressions du réalisateur, qui a grandi dans l’Algérie des années 90 à Sidi Moussa (la ville où le film a été tourné). Il y a plusieurs expressions, toutes assez parlantes, pour désigner cette époque en Algérie : les années de plomb, la décennie noire ou encore la décennie du terrorisme. La plus descriptive est bien entendu « guerre civile algérienne ». Ce contexte violent et instable constitue la toile de fond de la chronique délicate que constitue Les Jours d’avant.

L’une des qualités du scénario, et non des moindres, est de ne pas expliquer ce contexte. Les personnages, eux-mêmes, ne l’évoquent pour ainsi dire jamais. On suit le quotidien de deux jeunes étudiants (formidablement bien incarnés par Mehdi Ramdani et Souhila Mallem) et de temps à autres, un coup de feu retentit. C’est tout. C’est ce parti pris qui donne au récit sa dimension à la fois intime (l’action se situe au niveau du quotidien, jamais au niveau national ou politique) et également universel : en ne donnant pas de détails spécifiques sur les événements violents et tragiques qui ont secoué l’Algérie de 1991 jusqu’au début des années 2000, Les Jours d’avant, s’il demeure ancré dans un lieu et une époque, se fait également le reflet d’une réalité sans frontières géographiques et temporelles (toute guerre tue directement, bien entendu, mais impacte du même coup le destin de milliers de personnes, de différentes façons).

Le récit, construit en deux parties (dédiées respectivement au point de vue des deux protagonistes), est d’une limpidité exemplaire. Il ne s’embarrasse jamais de superflu, et la caméra pas davantage : on a l’impression qu’elle montre toujours ce qu’il faut montrer, au bon moment (ce qui est la qualité principale d’une réalisation réussie). S’il y a du lyrisme dans certains plans (par exemple dans la manière, mélancolique, de filmer le ciel et les paysages), ainsi que dans la musique d’accompagnement (l’opéra Alsina de Georg Friedrich Haendel, choisi par le réalisateur lui-même), il s’agit d’un lyrisme subtil, jamais dégoulinant (on n’est pas chez Terrence Malick).

On notera par ailleurs le fait que la caméra s’attarde parfois sur un lieu donné, juste après que les comédiens soient sortis du champ (voir ci-dessus) ; ce qui est une manière, habile, de figurer le passage du temps, lequel est par définition au cœur de tout récit rétrospectif (on relèvera que dans le premier plan du chapitre consacré à Yamina, celle-ci est en train de lire Proust, sans nul doute l’écrivain le plus représentatif du rapport au temps).

La simplicité et l’épure, sous réserve qu’ils ne deviennent pas eux-mêmes une posture esthétique (ce n’est jamais le cas ici), sont souvent les meilleurs alliés de l’émotion. Le titre même du film est simple : Les Jours d’avant. Et pour cause, le scénario est en effet le récit de deux êtres qui se souviennent d’une époque de leur vie où peut-être, un bel événement aurait pu survenir. En un sens, le film effleure la nostalgie de quelque chose qui n’est pas arrivé, d’une histoire qui ne s’est pas produite. Il y avait trop de bruit autour.

Bande-annonce
Les Jours d'avant est un film sensible et pudique, qui bien que se déroulant pendant la guerre civile algérienne, n'est jamais politique. C'est avant tout la chronique intimiste d'un passé hanté par une violence sourde, et par les belles histoires dont cette dernière a empêché la naissance.
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