Film de Cédric Kahn
Année de sortie : 2023
Pays : France
Scénario : Cédric Kahn et Nathalie Hertzberg
Photographie : Patrick Ghiringhelli
Montage : Yann Dedet
Avec : Arieh Worthalter, Arthur Harari, Nicolas Briançon, Stéphan Guérin-Tillié, Aurélien Chaussade, Jerzy Radziwiłowicz, Laetitia Masson
Le Procès Goldman, titre qui annonce très clairement le contenu du film, est à la fois le récit d’une affaire criminelle, de son jugement, d’un homme et d’une société française habitée, comme toute société, par une histoire complexe, souvent sombre et tourmentée. Et ce récit ne souffre d’aucune approximation formelle ou narrative.
Synopsis du film
France, 1976. Le second procès de Pierre Goldman, condamné en première instance pour plusieurs braquages dont l’un, celui dont il nie fermement être l’auteur, a provoqué la mort de deux pharmaciennes.
Critique de Le Procès Goldman
Après Anatomie d’une chute, c’est un autre film de procès qui est projeté dans les salles obscures en ce moment, cette fois-ci basé sur des personnages, propos et faits authentiques. Ce n’est d’ailleurs pas, bien évidemment, la seule différence entre le film de Cédric Kahn et celui de Justine Triet.
En effet, Cédric Kahn a choisi de ne jamais quitter la salle d’audience, à l’exception d’une scène d’ouverture d’ailleurs assez drôle (et significative, puisqu’elle expose d’emblée des thèmes importants, notamment liés à la judaïté du protagoniste). Le Procès Goldman est donc un titre programmatique : c’est bien à ce procès qu’on assiste, enfin à sa reconstitution cinématographique, même si ce terme n’est pas très joli et surtout très réducteur quand on parle d’une œuvre d’art (statut que le film mérite amplement).
Le format de l’image, un 4/3 plutôt rarement employé, contribue à renforcer la sensation de huis clos. Il évoque aussi les dimensions d’un poste de télévision dans les années 70, appareil dans lequel les spectateurs de l’époque ont sans doute vu certaines images de l’affaire Goldman. D’ailleurs, le grain de l’image (soulignons ici le travail de Patrick Ghiringhelli), mais aussi l’utilisation majoritaire des plans fixes, inscrivent également le métrage dans les codes visuels propres aux images d’alors, ce qui est un moyen de renforcer le sentiment d’immersion chez le spectateur, placé plus ou moins dans la position de juré.
Nul besoin de filmer une DS ou des pattes d’eph pour qu’on ressente le contexte historique : il transpire dans la diction des personnages, leurs questions, leurs réponses. Par exemple, certaines remarques ou allusions trahissent un racisme qui ciblent tantôt les juifs, tantôt les antillais, tantôt les arabes. Un Goldman fort en gueule, et plutôt bon orateur, ne manque d’ailleurs pas de souligner cette triste réalité, notamment quand il pointe du doigt le racisme systématique de la police française, dans une tirade qui n’est pas dénuée de résonances très actuelles (racisme systémique ne voulant pas dire que tous les policiers sont racistes, mais que le fonctionnement de l’institution favorise ce travers).
Le rappel du parcours personnel de l’accusé, une étape indispensable dans chaque procès, est l’occasion d’esquisser le portrait d’un homme complexe (qui se rêve en héros révolutionnaire, ses parents ayant été des héros de la résistance) et d’une histoire collective qui ne l’est pas moins. La France occupée, la persécution des juifs (polonais, français et d’autres nationalités), la résistance, la révolution cubaine (à laquelle Goldman chercha à participer), les événements de 68…
Plus généralement, le procès renvoie à une situation intemporelle, qui saute aux yeux notamment lorsqu’apparaît une imitation du cliché pris à l’époque par la police pour vérifier si les témoins du braquage reconnaissent Pierre Goldman comme étant l’auteur du méfait : l’accusé, brun, hirsute, mal rasé, teint légèrement mat, apparaît au milieu d’autres suspects tous blancs et propres sur eux (des policiers, en réalité). Sur cette photo, Goldman incarne le métèque
que chante Moustaki, l’étranger, l’autre, qu’on pointe du doigt au milieu de la foule. Les stratégies de défense de deux de ses avocats utilisent cet argument en mettant clairement en avant les origines juives qu’ils partagent avec l’accusé, faisant ainsi résonner dans la salle d’audience un nom connu de tous ou presque, celui d’un officier français innocent accusé à tort par pur antisémitisme à la fin du 19ème siècle (les nombreux soutiens de Goldman dans le milieu intellectuel français de l’époque avaient d’ailleurs sans doute ce parallèle à l’esprit).
Tout cela forme la toile de fond d’un dossier criminel sordide, qui comme bien souvent (et c’est encore le cas aujourd’hui, à l’époque des analyses ADN) ne fournit aux jurés qu’un faisceau d’indices, et aucune preuve indiscutable d’un côté comme de l’autre. Pour le coup, on retrouve ici ce sentiment d’ambiguïté exploré dans Anatomie d’une chute, à ceci près que le film de Triet tend, quoi que de façon très subtile, à orienter vers une interprétation précise, tandis que Kahn se tient encore davantage à distance, nous laissant le soin, en quelque sorte, de nous faire notre propre idée (ou pas : on peut aussi choisir de ne pas trancher).
Dans un espace qui limite forcément les possibilités de placement de caméra, le réalisateur de Roberto Succo fait preuve d’une précision millimétrée, sa caméra excellant dans l’art de saisir un regard révélateur, une émotion fugace, et jouant parfois avec beaucoup d’habileté sur la profondeur de champ. Le monteur expérimenté Yann Dedet, fidèle collaborateur de Kahn et qui a travaillé avec Truffaut, Pialat, Nicole Garcia ou encore Claire Denis, n’y est bien entendu pas pour rien dans la qualité du découpage.
Quant aux comédiens, du plus présent (Arieh Worthalter, extraordinaire) au plus secondaire, ils rivalisent de justesse dans leur jeu verbal et non verbal, si bien qu’en dépit de son austérité volontaire, Le Procès Goldman n’est jamais ennuyeux. Sa densité sur les plans sociaux, humains, historiques captive en permanence, tandis que le film continue de susciter des réflexions et sentiments bien longtemps après le générique de fin, lequel est dépourvu, comme tout le reste, d’une musique qui eût été superflue dans ce contexte. Or, il est indéniable que Kahn sait exactement distinguer le significatif du superflu. Cette qualité, essentielle chez un cinéaste, contribue à faire de ce long métrage une œuvre dense, resserrée, à la fois complexe et extrêmement précise dans sa narration et sa mise en scène.
Autour du film
Pierre Goldman a été assassiné en 1979, trois ans après les faits relatés dans le film. Si Cédric Kahn adopte une prudence légitime en précisant que les auteurs du crime n’ont jamais été identifiés, l’assassinat avait été revendiqué à l’époque par Honneur de la police, un obscur groupe d’extrême droite lié au SAC (Service d’Action Civique, mêlé notamment à l’assassinat du juge Renaud, dont s’inspire un film d’Yves Boisset). Cette piste était cohérente dans la mesure où Pierre Goldman était juif (or l’extrême droite française est historiquement antisémite) et qu’il critiquait volontiers la police française. Ce même groupe (qui a ouvertement revendiqué l’assassinat de Goldman) aurait menacé, plus tard, des personnalités comme Coluche, ou encore les membres du groupe Trust.
Cependant, le documentaire L’assassinat de Pierre Goldman (2005), réalisé par l’écrivain et réalisateur Michaël Prazan, livre un point de vue critique sur cette hypothèse : Honneur de la police serait une fausse piste, volontairement agitée par les véritables commanditaires. Prazan estime aujourd’hui qu’il faut davantage chercher une explication du côté des relations qu’entretenait Pierre Goldman avec l’ETA peu avant sa mort, lesquelles lui auraient valu d’être une cible aux yeux des services secrets espagnols. Ces derniers auraient demandé aux services secrets français de supprimer Goldman, et ceux-ci auraient, indirectement, utilisé un militant nationaliste, René Resciniti de Says, pour faire le sale travail. Il a d’ailleurs lui-même revendiqué l’assassinat de Pierre Goldman en janvier 2010. Bien entendu, il ne s’agit là que d’une hypothèse.
Le Procès Goldman offre une matière passionnante aux niveaux humain, sociologique et historique, matière que Cédric Kahn sculpte avec un dextérité et une intelligence qui forcent l'admiration. Assurément, un chef d'œuvre du film de procès, au même titre que Anatomie d'une chute.
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