Film d’Yves Boisset
Année de sortie : 1977
Pays : France
Scénario : Yves Boisset et Claude Veillot
Photographie : Jacques Loiseleux
Montage : Albert Jurgenson et Laurence Leininger
Avec : Patrick Dewaere, Philippe Léotard, Marcel Bozzuffi, Michel Auclair, Michèle Louvier, Jean Bouise.
Le Juge Fayard dit Le Shériff est un thriller politique réalisé par Yves Boisset qui s’inspire de l’assassinat du juge François Renaud, survenu en 1975 alors qu’il instruisait des affaires compromettant des gangsters et des personnalités de la sphère politique et économique. Très bien rythmé et d’une grande efficacité, le film est servi par d’excellents comédiens, dont Patrick Dewaere, Philippe Léotard, Jean Bouise, Michel Auclair et Marcel Bozzuffi.
Synopsis
Le juge Fayard (Patrick Dewaere) est chargé d’instruire une affaire concernant le braquage d’une station service. Le présumé coupable bénéficie d’un alibi confirmé par les témoignages de ses collègues et de son patron. Au fur et à mesure de son investigation, le juge soupçonne des relations compromettantes entre des malfrats et une organisation politique, le SAC (Service d’Action Civique).
Avec l’aide d’un policier intègre, l’inspecteur Marec (Philippe Léotard), Fayard va tenter de mener à bien son enquête, au risque de compromettre des personnalités haut placées. Il ne tardera pas à faire l’objet de menaces de plus en plus sérieuses…
Critique
Yves Boisset, cinéaste efficace et engagé
Il n’est pas rare que le cinéma d’Yves Boisset pose un regard critique sur la société française contemporaine. Deux ans avant Le Juge Fayard, Boisset signait l’un de ses meilleurs films avec Dupont Lajoie, illustration implacable du racisme ordinaire dans la France des années 70. On retrouve d’ailleurs, dans une moindre mesure, le thème du racisme dans Le Juge Fayard dit Le Shériff, qui parle entre autres d’une organisation politique, le SAC, dont plusieurs membres avaient appartenu à l’OAS. Or on devine un racisme assumé chez certains d’entre eux (on n’est pas des bougnoules
, proteste délicatement un témoin lors d’une scène d’interrogatoire).
En 1983, Boisset réalisa Le Prix du danger, film visionnaire sur les dérives d’une télévision cynique exploitant le voyeurisme du public. De son côté, Le Juge Fayard dit Le Shériff traite d’une actualité brûlante à l’époque : l’assassinat du juge Renaud, survenu en 1975.
Le Juge Fayard dit Le Shériff : un film polémique
L’assassinat du juge Renaud
En 1975, alors qu’il instruisait une affaire impliquant des personnalités haut placées et des gangsters, le juge François Renaud est abattu de deux balles dans la nuque sous les yeux de sa compagne (lire l’article sur François Renaud, sur Wikipédia). C’est le premier haut magistrat français qui fut assassiné après la libération. L’affaire donnera lieu à une succession d’enquêtes bâclées, inachevées, et à ce jour, les responsables n’ont pas été – et ne seront sans doute jamais – officiellement identifiés.
Le Juge Fayard dit Le Shériff présente des similitudes évidentes avec cette sombre affaire : en effet, le personnage du juge interprété par Dewaere renvoie très clairement à François Renaud. Celui-ci était surnommé « Le shérif », en raison de sa grande détermination et aussi de ses méthodes de travail (homme de terrain, il fréquentait volontiers les mêmes endroits que les hommes sur lesquels il enquêtait, et ses interrogatoires étaient réputés pour être plutôt rudes). Le comportement de Fayard dans le film évoque clairement ces différents aspects. En outre, son assassinat dans le film se produit pour ainsi dire dans les mêmes circonstances que celui du juge Renaud.
Le procès intenté par le Service d’Action Civique
Le film de Boisset ne plut pas à tout le monde à l’époque de sa sortie ; le nom de l’organisation politique citée dans le film (le SAC) a ainsi longtemps été censuré suite à un procès intenté pour diffamation par le Service d’Action Civique. Cette décision a contraint Yves Boisset à modifier la bande sonore sur les copies déjà distribuées dans les salles. Mais pour mieux comprendre, rappelons ce qu’était le SAC avant sa dissolution en 1982.
Le SAC était à l’origine une association au service du Général de Gaulle puis de ses partisans (lire l’article sur le Service d’Action Civique, sur Wikipédia). Souvent considéré comme une véritable police parallèle, cette organisation s’est rapidement distinguée par des actions particulièrement violentes, notamment à l’égard de manifestants. Plusieurs de ses membres ont été l’objet de graves chefs d’accusation : port d’arme illégal, racket, agressions armées, coups et blessures, proxénétisme, etc. La dissolution de l’organisation est décidée peu de temps après l’assassinat de l’un de ses présidents locaux. On est donc loin de la pure fiction dans Le Juge Fayard dit Le Shériff, qui dénonce les méthodes illégales et expéditives du SAC.
Un thriller politique maîtrisé servi par de grands comédiens
Le film décrit habilement les rouages d’un système corrompu, condamnant sans détours les frontières poreuses entre les institutions et le grand banditisme. Cette dénonciation passe par un récit qui se présente comme un polar classique, alliant message politique et divertissement avec, dans la plupart des scènes, une réelle efficacité.

Patrick Dewaere et Philippe Léotard
Le casting du film est l’un de ses principaux atouts. Patrick Dewaere est très crédible dans le rôle titre, tandis que Philippe Léotard apporte son charisme et sa présence naturels au personnage de l’inspecteur (les deux acteurs se retrouveront, quelques années plus tard, dans Paradis pour tous d’Alain Jessua).
Les seconds rôles sont tout aussi délectables. On retrouve ici Marcel Bozzuffi, précieux second couteau du cinéma français spécialiste des rôles de brutes (il joua notamment un gangster dans le fameux French Connection de William Friedkin), ainsi que Jean Bouise, qui tourna dans de nombreux bons films dont Dupont Lajoie du même Boisset, Le Vieux Fusil de Robert Enrico, Monsieur Klein de Joseph Losey et Coup de tête de Jean-Jacques Annaud (également avec Dewaere). Le juge Fayard dit Le Shérif met aussi en scène Michel Auclair, autre acteur célèbre que l’on peut notamment voir dans Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio et Rue barbare de Gilles Béhat.

Marcel Bozzuffi
Dénonçant les connivences entre le pouvoir politique et le "milieu", Le Juge Fayard dit Le Shériff est l'une des réussites d'Yves Boisset, cinéaste coup de poing
qui s'est souvent distingué par un regard sans concessions sur les travers de la société française.
7 commentaires
Bonjour à tous,
Un film très bien réalisé : j’y ai trouvé, en effet, de nombreuses similitudes avec le meurtre du juge Renaud (Cf : » Faîtes entrer l’accusé : l’assassinat du Sherif « ).
Je souhaiterai savoir s’il existe un DVD de ce film.
En vous remerciant par avance, je vous souhaite une bonne journée.
Bonjour,
pour vous répondre, il n’existe pas de DVD du film Le juge Fayard dit le Shériff. Quant à Paradis pour tous, le dernier film de Dewaere, le seul moyen de l’obtenir est d’acheter un coffret de plusieurs films… ce qui est une pratique plutôt scandaleuse.
Si vous aimez bien ce comédien, je vous conseille également Le mauvais fils de Claude Sautet, Série Noire de Alain Corneau, La meilleure façon de marcher de Claude Miller et donc Paradis pour tous d’Alain Jessua.
Quant à Yves Boisset, un de ses meilleurs films reste Dupont Lajoie, avec Jean Carmet.
Le cinéma français « engagé » n’existe pas. Boisset ou Costa-Gavras (à l’exception de « Z », et encore) utilisent une dramaturgie bourgeoise pour raconter d’édifiants contes moraux aussi subtils que l’analyse de la violence chez le kolossal Haneke – je vous renvoie à l’histoire du cinéma français par Frodon, et à la lecture du dernier « Positif », dans lequel le réalisateur autrichien, au moyen d’un texte écrit à l’époque de « Benny’s Video », enfonce allégrement et sans jamais se départir de son sérieux des portes ouvertes qui feraient pâlir le pire journaliste. Qu’on se le dise : on trouvera mille fois plus de politique dans les genres populaires américains (Carpenter, Romero, pour ne citer qu’eux). Une dernière remarque, de Cronenberg : le cinéma engagé se réduit à de la propagande, qu’elle que soit la couleur de son parti – dont acte (mais oui à un cinéma du social, lui aussi grand absent de l’Hexagone).
Très bon article pour un très bon film.
Je l’ai revu récemment. Sa nervosité est prenante. La musique de Philippe Sarde apporte un lyrisme intemporel (utilisation de bombardes) très particulier, excellent.
Du même Boisset, je recommande hautement « L’Attentat » (1972). Un film politique, là aussi. Inspiré lui aussi de faits réels, il s’agit ni plus ni moins que de la transcription cinématographique de l’assassinat de Mehdi Ben Barka.
La réalisation est superbe (à mon sens la meilleure de Boisset), le scénario est signé de Jorge Semprun, maître du thriller politique français (Z, L’Aveu, Stavisky…), la musique de Morricone, et le casting est impressionnant : Jean-Louis Trintignant, Gian Maria Volonte, Michel Piccoli, Philippe Noiret, Jean Seberg, Michel Bouquet, François Périer… un must.
Bonjour, je tombe sur votre site pour une petite recherche sur le Juge Fayard revu hier soir – Remarquable ! Le film, et votre site. Je me réjouis de lire toutes vos critiques -plusieurs soirées de lecture – Concernant le Juge Fayard, je n’ai pu m’empêcher de me dire tout bas hier soir que le cinéma « français » n’est plus du tout capable de ce genre de film; qu’il n’est plus qu’un gentil cinéma plutôt bien pensant (malgré des images de violence, mais ceci n’est pas incompatible avec cela, au contraire) – Toutefois, le Juge Fayard correspond aussi à l’époque giscardienne (libérale-libertaire) où l’on liquide les derniers vestiges du gaullisme policier (le SAC) – Possible donc que Boisset ai été encouragé à faire ce film, même si il a pu subir des pressions – A quand un film sur les liens entre les élus PS et la pègre méridionale ? pire: un film sur les réseaux occultes du pouvoir politique ? Un film sur le CRIF ?!
Encore bravo.
Merci beaucoup, et navré de la publication un peu tardive de votre commentaire ! Au plaisir d’échanger avec vous sur d’autres films.
Superbe film que je viens de voir sur ARTE. merci, à ARTE de repasser ces films, toujours d’actualité, car lors de sa sortie, je n’avais ni la télé, ni l’age de voir et de comprendre celui-ci au ciné. Très bon acteur qui malheureusement ne sont plus là.