Film de Cédric Kahn
Année de sortie : 2001
Pays : France
Scénario : Cédric Kahn, d’après le roman Je te tue. Histoire vraie de Roberto Succo, assassin sans raison de Pascale Froment
Photographie : Pascal Marti
Montage : Yann Dedet
Musique : Julien Civange
Avec : Stefano Cassetti, Isild Le Besco, Patrick Dell’Isola, Vincent Denenaz, Aymeric Chauffert, Viviana Aliberti
Évitant la romantisation douteuse et la diabolisation excessive, Roberto Succo fait preuve d’autant d’efficacité que d’intelligence.
Synopsis du film
En 1981, à Mestre (Italie), deux corps sont retrouvés dans une baignoire, atrocement mutilés.
Quelques années plus tard, sur la Côte d’Azur française, la jeune Léa (Isild Le Besco) rencontre un dénommé Kurt (Stefano Cassetti), avec lequel elle entame une relation sentimentale. Agité et tête brûlée, Kurt change régulièrement de voiture tandis que ses propos sur son passé, ses origines et sa profession semblent peu crédibles. Mais Léa est amoureuse et inexpérimentée…
Au même moment, dans la région, des agressions, viols et meurtres se multiplient. La gendarmerie locale démarre une enquête, dirigée par le major Thomas (Patrick Dell’Isola). Celui-ci constate rapidement qu’aucune logique, aucune cohérence ne semblent s’appliquer aux agissements du coupable…
Critique de Roberto Succo
Ce qui frappe assez rapidement le spectateur à la vision de Roberto Succo, c’est sa rigueur quasi documentaire ; cette manière très précise, chirurgicale pourrait-on dire, de dérouler chronologiquement les événements, sans chercher à influencer outre mesure notre ressenti et notre opinion, et sans rechercher une quelconque forme de spectaculaire.
Cette impression n’est pas sans rapport avec le fait que le scénario de Cédric Kahn est basé sur le livre Je te tue. Histoire vraie de Roberto Succo, assassin sans raison de Pascale Froment ; or cette dernière est certes écrivaine, mais aussi journaliste. Son ouvrage est le fruit de recherches minutieuses, et d’une démarche visiblement tournée vers l’authenticité et l’objectivité. Cédric Kahn, en écrivant l’adaptation, s’est inscrit dans cette approche, qu’il a prolongée à travers une réalisation d’une sobriété exemplaire.

Le résultat est d’une rare justesse. Kahn a évité deux pièges fameux quand on s’attaque, au cinéma, à l’adaptation d’un fait divers, ou plus généralement au parcours d’un criminel quelconque : celui de la complaisance, et celui de la déshumanisation. Autrement dit, la caméra ne trahit ni fascination déplacée pour le personnage central, dont les actes sont totalement abjects (et montrés comme tel), ni volonté de le réduire à une sorte de pantin monstrueux, de croque-mitaine.
Roberto, je sais que tu es un assassin, tu es aussi un homme avec des sentiments
, dit un policier italien lors d’une scène du film ; ce constat tout simple reflète assez bien le point de vue de Kahn. C’est que le crime est monstrueux […], mais l’être humain ne l’est pas
, comme l’a dit la scénariste de La Cérémonie, c’est-à-dire la pédopsychiatre et psychanalyste Caroline Eliacheff lors d’une émission sur France Culture (il y a de la monstruosité en nous, parce que nous sommes humains
, ajoute-t-elle).

Si le film oubliait d’humaniser également les victimes, tout tomberait à l’eau mais précisément, en très peu de plans et parfois en seulement quelques secondes, Cédric Kahn nous fait pleinement ressentir leur détresse (voir cette scène où la caméra filme l’intérieur du coffre d’une voiture, avec pour unique bruit la respiration haletante de l’automobiliste qui vient d’y être enfermé), leur courage parfois, leur stupeur toujours, si bien que notre empathie à leur égard est instantanée (sans qu’il n’y ait besoin de surligner quoi que ce soit) et que nous rageons, souvent, contre la cruauté complètement gratuite de Succo.
Difficile d’évoquer le film sans louer la prestation fiévreuse et intense de Stefano Cassetti. C’est peu de dire qu’il est impressionnant dans le rôle du tueur fou. Dominique Besnehard, lors d’un déplacement à Cannes en compagnie du comédien, l’avait d’ailleurs averti : un début de carrière aussi fort peut presque être handicapant. Heureusement, Cassetti a tourné depuis Roberto Succo, même si ce film restera sans doute la référence majeure de sa filmographie.

Les autres comédiens ne doivent pas être laissés dans l’ombre de Cassetti : Isild Le Besco compose avec justesse une jeune fille amoureuse et trop naïve ; Patrick Dell’Isola est très convaincant en gendarme obstiné, déterminé et quelque peu amer (ses problèmes de couple sont rapidement évoqués, juste assez pour donner un relief supplémentaire au personnage) ; mais même les rôles les plus brefs sont servis par un jeu précis (on soulignera par exemple les deux femmes otages de Succo en voiture, d’un sang-froid que les comédiennes ont admirablement bien retranscrit).
Toutes ces qualités contribuent à faire de Roberto Succo un film assez parfait dans son genre, tant il s’avère cohérent dans sa démarche, et tant la forme s’inscrit dans la logique de celle-ci. S’ajoute à ces qualités une narration rythmée à la seconde près, dont aucune scène ou plan superflus ne vient affaiblir la mécanique implacable.
J'ai fait tout le film contre cette dialectique-là: monstre ou héros romantique. Ni l'un ni l'autre ne m'intéressent et je ne crois ni en l'un ni en l'autre
, a dit Cédric Kahn au sujet de Roberto Succo (lire l'article Roberto Succo et moi). C'est ce parti pris éclairé, qui a suscité quelques malentendus (des gendarmes impliqués dans l'enquête à l'époque ont cru y voir un manque de fermeté envers le tueur), qui donne sa force dérangeante à ce film épuré, sobre et d'une grande précision.
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