Film de Mani Haghighi
Année de sortie : 2022
Titre original : Substraction
Pays : Iran, France
Scénario : Mani Haghighi , Amir Reza Koohestani
Photographie : Morteza Najafi
Montage : Meysam Molaei
Musique : Ramin Kousha
Avec : Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Ali Bagheri, Soheyla Razavi, Gilda Vishki
La figure du double au cinéma est un motif qui ouvre de multiples pistes à un scénariste. Celles explorées par Mani Haghighi et Amir Reza Koohestani sont originales, intéressantes et émouvantes.
Synopsis du film
De nos jours, à Téhéran. Une femme suit un homme qui ressemble trait pour trait à son mari. Sa stupeur monte encore de plusieurs crans lorsqu’elle se rend compte que sa femme est son sosie, à elle…
Critique de Les Ombres persanes
Le motif du double (du doppelgänger, selon le terme allemand fréquemment employé) a été maintes fois utilisé dans la littérature et le cinéma fantastique. On le retrouve chez Poe, par exemple, dans la nouvelle William Wilson, qui fut adaptée par Louis Malle dans le film à segments Histoires extraordinaires. Au cinéma, on pourrait citer L’Invasion des profanateurs de sépulture, de Don Siegel ; Profession reporter, d’Antonioni ; ou plus récemment le mésestimé The Broken, de Sean Ellis.
Ces oeuvres sont bien entendu très différentes ; leur unique point commun est d’offrir un jeu de miroir, mais les significations que prend ce jeu sont tout à fait distinctes d’un récit à l’autre. Elles sont parfois opaques. Ainsi, si dans Us (2019), de Jordan Peele, la métaphore sociale est évidente – pour ne pas dire grossière –, rien de tel dans Les Ombres persanes, qui n’articule pas un discours bien défini.
C’est d’autant plus intéressant que le cinéma iranien, en tout cas celui qui s’exporte en France, a souvent une couleur politique ou sociologique assez marquée (ce qui, bien entendu, n’est pas un défaut). L’approche de Mani Haghighi, en tout cas dans ce long métrage, n’est donc pas particulièrement représentative de cette tendance. Cela ne signifie pas que son film est dénué de toute portée sociétale, loin s’en faut ; mais celle-ci non seulement n’est pas explicite, mais ne saurait résumer, synthétiser le récit que le réalisateur a écrit en collaboration avec Amir Reza Koohestani – et qu’il a filmé d’une manière qu’on ne peut que louer, tant elle entretient le trouble et l’ambiguïté de l’histoire, tout en déployant une esthétique raffinée et sophistiquée, mais jamais démonstrative.

Il faut d’abord souligner que si le thème du double n’est pas nouveau (comme tous les thèmes !), je n’ai pas mémoire d’un récit où la ressemblance concerne non pas une seule, mais quatre personnes (deux couples). Cette idée ingénieuse permet de mettre en parallèle deux types de relations très différentes, et par la même occasion deux types de masculinité, dont l’une est clairement toxique.
Dans l’un des couples, l’homme est plutôt doux et pacifique, tandis que son sosie est possessif, impulsif, jaloux et violent (un profil qui existe partout dans le monde, mais dont on peut supposer qu’il est particulièrement fréquent en Iran, compte tenu d’une culture très patriarcale, dont la population essaie d’ailleurs de se défaire à travers des manifestations durement réprimées). L’opposition entre les personnages féminins est plus ambigüe ; c’est surtout leur niveau d’épanouissement qui les distingue. L’une peut presque être vue comme une version lumineuse, épanouie de l’autre, plus tourmentée et morose.
On peut donc dire que le schéma décrit par Les Ombres persanes oppose, de façon d’ailleurs assez classique, ombre et lumière, bien et mal, de manière croisée (sans que cette opposition donne lieu à une caractérisation grossière et manichéenne : les personnages sont des êtres de chair et de sang, et non de purs symboles).
À partir de ce schéma, les scénaristes imaginent un développement romantique et tragique au sens le plus noble, presque théâtral de ces termes.
Après tout, le théâtre d’ombres, s’il est né en Chine et en Inde, est passé par le Proche-Orient avant de traverser les frontières européennes !
À propos du titre original
Le titre orignal de Les Ombres persanes est Subtraction, littéralement soustraction. De prime abord peut-être moins poétique que le titre français, il prend son sens à la vision du métrage…
Les Ombres persanes est une fable fantastique privilégiant le trouble et l'émotion à l'articulation d'un message bien spécifique. Ainsi les aspects sociétaux, s'ils sont présents, ne sauraient résumer une histoire dans laquelle on retrouve, à travers le motif récurrent du double, des thèmes intemporels. Les comédiens (dont une sublime Taraneh Alidoosti) servent à merveille le récit, et composent brillament avec les difficultés inhérentes à leur interprétation (les deux acteurs principaux jouant chacun deux personnages).
Aucun commentaire