Film de Jimmy Laporal-Trésor
Année de sortie : 2022
Pays : France
Scénario : Sébastien Birchler, Jimmy Laporal-Trésor et Virak Thun
Photographie : Romain Carcanade
Montage : Riwanon Le Beller
Musique : Delgres
Avec : Jonathan Feltre, Angelina Woreth, Missoum Slimani, Victor Meutelet, Marvin Dubart, Taddeo Kufus, Jonathan Eap, Émerick Mamilonne
Les Rascals allie spectaculaire et réalité sociale avec talent, livrant un récit emmené qui contient de purs moments de tension, sans négliger la caractérisation des personnages.
Synopsis du film
Rudy (Jonathan Feltre) et Rico (Missoum Slimani) se sont connus enfants, au pied des tours d’une cité située en banlieue parisienne. Plus tard, ils forment une bande baptisée Les Rascals (lascars en verlan), dont Rico est le leader. Leur quotidien : boire, danser, draguer les filles et, parfois, échanger quelques politesses avec des bandes rivales.
Un jour, ils passent la porte d’un magasin de disque, dont Rudy reconnaît le gérant, et pour cause : celui-ci, un ancien skin, l’a sévèrement passé à tabac (ainsi que Rudy) alors qu’il était encore un gamin. Aussitôt, les coups pleuvent, et la bande quitte la boutique en laissant l’homme à terre, sans connaissance. C’est le début d’une terrible spirale de violence…
Critique de Les Rascals
Une jeune femme se penche vers l’oreille tendue d’un homme à bord d’une voiture ; la caméra cadre en gros plan, de profil, ses lèvres charnues. Ce bref plan tourné par Jimmy Laporal-Trésor dans Les Rascals évoque, de par son cadrage, un plan issu du film culte The Warriors (1979), de Walter Hill. Et en effet, si Les Rascals est ancré dans une réalité sociale bien précise, le film a quelque chose de clinquant, de coloré, de romanesque, de profondément cinématographique qui l’éloigne du traitement naturaliste que ce type de sujet suscite parfois en France, pour le rapprocher plutôt de certaines références américaines ; The Warriors, donc (d’ailleurs, le titre de chacun de ces films est constitué du nom d’une bande), mais aussi le fameux West Side Story (1961) de Jerome Robbins et Robert Wise.

Toutefois, si les Warriors possédait, lui aussi, une dimension sociale évidente, le film assumait un côté bande dessinée et proposait des scènes d’action chorégraphiées, plus divertissantes que véritablement brutales. Les Rascals se distingue sur ce point assez radicalement de ce supposé modèle : ici, la violence est sèche, choquante. Elle ne provoque pas d’excitation mais une tension, un nœud à l’intérieur du spectateur. Jimmy Laporal-Trésor la filme en utilisant presque systématiquement le hors-champ : on voit celui qui frappe mais pas celui qui est frappé (dont on entend, en revanche, les cris de douleur). Le cinéaste évite ainsi toute forme de complaisance, sans ménager pour autant le spectateur : le hors-champ, quand il est bien utilisé (et c’est le cas en l’occurrence), est d’une efficacité redoutable. C’est dans cet alliage entre romanesque et réalisme social, légèreté et brutalité que le film trouve une identité bien à lui, parvenant à emmener le spectateur dans un récit dynamique et prenant tout en le confrontant à une réalité dure comme un coup de batte.
Le fond de l’histoire est bien sûr une condamnation des violences commises par les skinheads français dans les années 1980 ; mais le scénario pointe également les collusions entre ces mêmes skins, le Front National (dirigé à l’époque par Jean-Marie Le Pen) et la police, décrivant ainsi un racisme systémique, qui ne se résume pas à quelques énergumènes au crâne rasé. C’est toute une idéologie d’extrême droite dont parle Les Rascals, et si elle prend d’autres formes aujourd’hui que sous Mitterrand, on aurait tort de regarder ce récit comme la simple évocation d’un phénomène passé, sans résonances actuelles (il n’y a qu’à voir les principaux thèmes abordés au cours des présidentielles de 2022 pour mesurer à quel point le débat politique s’articule en partie autour des idées du FN, rebaptisé RN à des fins de marketing politique).

Les Rascals illustre aussi les difficultés, pour les jeunes de banlieue issus de l’immigration, de trouver un emploi et de s’extraire d’un schéma de vie souvent limité en perspectives et là aussi, le discours est toujours (hélas) d’actualité. Le film évoque en outre les débuts du hip-hop en France, que relate notamment la récente série Le Monde de demain (d’ailleurs, Andranic Manet, qui joue le DJ précurseur Dee Nasty dans la série en question – et qu’on voit également dans La Montagne –, fait une courte apparition dans Les Rascals).
L’une de qualités du scénario est d’éviter un manichéisme excessif : les membres de la fameuse bande ne sont pas tous irréprochables (en particulier l’impulsif Rico, campé par Missoum Slimani, qui cherche à faire oublier ses origines maghrébines), tandis que la talentueuse Angelina Woreth compose un personnage complexe au même titre, d’ailleurs, que son frère aîné, ancien skinhead rejetant désormais le mouvement. Victor Meutelet incarne quant à lui un archétype du skinhead ultra violent et raciste, malheureusement crédible.

Toutefois, le film ne glorifie pas la lutte frontale et physique contre ces sombres individus : Les Rascals montre bien que la vengeance appelle la vengeance et qu’elle ne résout rien, bien au contraire. C’est une dynamique qu’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux films de bande, dont les récits sont souvent des illustrations du cercle vicieux de la violence (West Side Story étant l’exemple parfait de ce schéma dramatique).
En termes de réalisation, Jimmy Laporal-Trésor se montre inventif, inspiré et toujours conscient de son propos (en atteste sa façon de filmer les bagarres, déjà évoquée ci-dessus). Il parvient à créer des scènes de tension extrêmement tendues, en particulier dans la dernière partie du film, et plus spécifiquement au cours d’une scène de poursuite qui, à nouveau, rappelle les Warriors dans certains aspects de son déroulement. Il a bénéficié de l’appui d’un chef opérateur de talent, Romain Carcanade, lequel a collaboré avec Sébastien Marnier sur L’Heure de la sortie et L’Origine du mal. Techniquement, Les Rascals s’affirme donc comme une vraie réussite.
Et si l’on peut trouver que la toute fin du film est un petit peu moins maîtrisée, en termes de ton et d’écriture, que ce qui l’a précédé, cette légère réserve ne saurait ébranler un long métrage globalement solide, qui évoque un sujet peu abordé dans le cinéma français. Quant aux acteurs, tous excellents (citons entre autres Jonathan Feltre, Missoum Slimani, Angelina Woreth, Victor Meutelet et le jeune Émerick Mamilonne), ils contribuent largement à la qualité de l’ensemble.
Bande-annonce
Reflet de la montée de l'extrême droite dans la France des années 80, Les Rascals trouve l'équilibre entre romanesque et chronique sociale, tout en proposant un traitement intelligent de la violence. Un premier film cohérent et plein de personnalité, qui donne plusieurs raisons de suivre le parcours de son réalisateur, comme celui de ses comédiens.
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