Voici une sélection de dix films dramatiques réalisés au cours des années 2010 à revoir ou à découvrir.
À propos du genre dramatique
Le drame est un genre qui ne pardonne pas. Un film d’horreur raté peut être divertissant, au même titre qu’un polar de série B aux grosses ficelles. Mais un mauvais drame n’a rien pour séduire : pas l’excuse de l’ironie, du second degré ou de la modestie que peuvent revendiquer certains films de genre.
Cela ne fait bien entendu pas du drame un genre supérieur ; aucun genre n’est supérieur à un autre, dans la mesure où seuls comptent le regard de l’auteur, la qualité du récit et de sa mise en image. Simplement, c’est un genre particulièrement peu à même de susciter l’indulgence du spectateur. D’ailleurs, la citation de Chabrol en exergue du top thriller des années 2010 souligne cet aspect : Un mauvais polar vaut toujours mieux qu’un autre mauvais film. Sous-entendu, qu’un mauvais drame.
Par définition, le drame aborde des sujets graves, d’une manière grave. Pour cette raison, quand il est réussi, un film dramatique peut procurer une expérience particulièrement émouvante. Les films ci-dessous ont en effet chacun touché une corde sensible en moi ; c’est d’ailleurs l’unique raison qui a motivé leur sélection.
Drame : le meilleur des années 2010
Tabou, de Miguel Gomes
Tabou est un film touché par la grâce. C’est un des plus puissants récits d’amour que le cinéma ait narré depuis le début de ce siècle. Le film exerce sur le spectateur un tel pouvoir hypnotique qu’il m’a fallu, personnellement, quelques instants pour me rendre compte qu’à partir d’un moment donné, il n’y a plus le moindre dialogue : les personnages articulent des mots, mais seuls les bruitages naturels et parfois de la musique constituent la bande sonore. Le parti pris est cohérent, dans la mesure où il s’applique aux scènes consacrées au passé d’Aurora, le personnage central du film ; or les souvenirs sont, souvent, davantage composés de sensations, d’images, de mélodies que de dialogues précis.
Ce type de démarche pourrait évoquer un cinéma d’auteur expérimental prétentieux et démonstratif. Il n’en est rien : l’originalité et la beauté de Tabou donnent une impression d’évidence, d’honnêteté absolue, l’émotion étant la seule quête de Miguel Gomes. Pas de posture ici mais l’expression, à la fois limpide et profonde, d’un poète de l’image cinématographique, comme l’a été, par exemple, Apichatpong Weerasethakul en tournant Tropical Malady. Un autre grand et singulier film d’amour.
Certaines femmes, de Kelly Reichardt
N’en déplaise à Quentin Tarantino, qui avait listé le très beau western La Dernière piste parmi les pires films de 2011, Kelly Reichardt est l’une des figures majeures du cinéma américain indépendant actuel et son dernier long métrage en date, Certaines femmes, a largement confirmé ce statut.
La cinéaste y filme avec délicatesse des fragments de la vie de quatre femmes, superbement incarnées par Laura Dern (vue tout récemment dans Marriage Story), Kristen Stewart (Personal Shopper), Michelle Williams et Lily Gladstone. Certaines femmes est un film qui prend son temps, qui respire, et qui dit plus de choses en un seul plan silencieux que bien des films en une heure cinquante. On pense à certains grands nouvellistes américains, et d’ailleurs le film est basé sur un recueil de Maile Meloy, qui malheureusement ne semble pas avoir été traduit en français. C’est beau, simple et en même temps plein de nuances ; un peu comme la jolie bande originale composée par Jeff Grace pour le film.
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Melancholia, de Lars von Trier
État de dépression, de tristesse vague, de dégoût de la vie, propension habituelle au pessimisme
: c’est l’une des définitions que Le Larousse donne de la mélancolie. Dans le film de Lars von Trier, une planète errante baptisée Melancholia entre en collision avec la terre ; en d’autres termes, la dépression et la mélancolie s’abattent sur le monde tel qu’on le connaît.
Cette image symbolique est une synthèse limpide des obsessions propres au célèbre et sulfureux réalisateur danois, adepte des récits torturés et des longs chemins de croix. Synthèse limpide, et poétique, qui procure une expérience saisissante. Ce n’est pas tous les jours que le cinéma donne à voir la fin de tout ; de la beauté, certes, mais aussi de la souffrance et de la solitude.
Nocturnal Animals, de Tom Ford
Nous vivons dans un monde superficiel où tout est à disposition et, à la moindre contrariété, au moindre sursaut, les gens capitulent, se quittent
, a déclaré Tom Ford dans une interview donnée à l’occasion de la sortie de Nocturnal Animals. Le film illustre ce constat amer à travers un récit qui mélange brillamment fiction et réalité. La construction est millimétrée et la photographie remarquable, ce qui n’étonne pas de la part d’un esthète revendiqué (Tom Ford est aussi un styliste réputé). Une œuvre à la fois belle, dure et implacable, qui ne cède rien à la facilité et ne fait aucune concession. À l’image du personnage d’écrivain trahi incarné par Jake Gyllenhaal.
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Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand
Le sujet (la violence conjugale) aurait pu donner un film complaisant, pathos, voyeuriste ou manichéen. On obtient ici une œuvre tendue comme un grand thriller, et qui pourtant demeure d’un réalisme total. La progression du récit est exemplaire, au même titre que le jeu des comédiens. Et Xavier Legrand sait exactement ce qu’il faut montrer dans chaque scène, pour mieux en souligner les enjeux, la tension intérieure et les significations sous-jacentes. S’il fait preuve de la même précision dans ses prochains films, il deviendra assurément l’un des plus brillants réalisateurs français de sa génération.
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Marriage Story, de Noah Baumbach
Ne vous laissez pas décourager par un pitch qui, de prime abord, a un fort goût de déjà vu, ni par des premières minutes qui, sans être maladroites, ne vont pas contredire immédiatement cette impression. À partir d’un paysage en apparence assez banal, un peintre habile va, par petites touches, signer une toile de valeur. C’est ce que parvient à faire ici Noah Baumbach, grâce à des dialogues intelligents, des personnages finement caractérisés (même les plus secondaires) et une réalisation millimétrée, entièrement vouée à servir le sens du texte et la qualité de son interprétation par les différents comédiens. Marriage Story est un modèle de maîtrise narrative.
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L’Hermine, de Christian Vincent
Christian Vincent a offert à Fabrice Luchini ce qui reste peut-être le rôle le plus important de sa carrière à l’époque de La Discrète. Il lui confie ici une partition plus sobre (quoique La Discrète n’est pas dénué de sobriété, loin s’en faut), plus amer aussi : celui d’un président de cour d’assises bien solitaire, ému par la présence d’un juré (Sidse Babett Knudsen) dont il est secrètement amoureux.
Les scènes de procès sont parmi les plus justes et crédibles que le cinéma nous ait donné à voir, mais il serait en grande partie faux de qualifier L’Hermine de film de procès. Les scènes les plus marquantes se déroulent d’ailleurs hors du tribunal, dans un café où le juge et la juré se retrouvent pour discuter, en tout bien tout honneur.
Dans un procès, il n’est pas rare que l’affaire reste opaque et que la vérité demeure floue, imprécise, voire inaccessible. Il en va de même avec les sentiments, souvent mystérieux, qui nous habitent, et L’Hermine exprime cette idée avec beaucoup de délicatesse et de retenue.
Mademoiselle de Joncquières, d’Emmanuel Mouret
Le film d’époque est un genre piégeux, propice aux dialogues verbeux, à un jeu maniéré et à des codes poussiéreux. Mais voilà, Emmanuel Mouret aborde l’univers de Diderot (le film est basé sur un épisode du roman Jacques le fataliste et son maître) avec ce sens de la nuance, et cet alliage équilibré de légèreté et d’amertume, qu’on lui connaît. Le film est fluide, jamais ronflant ou poseur, pas davantage qu’il n’est moralisateur : Emmanuel Mouret est depuis toujours un cinéaste qui questionne, qui interroge mais qui ne juge pas et ne répond pas, d’ailleurs, fermement aux questions qu’il soulève.
Edouard Baer et Cécile de France servent très bien le texte et les intentions subtiles du réalisateur de Caprice, de Laissons Lucie faire et d’Un Baiser s’il vous plaît. Leur jeu respecte le langage sophistiqué propre au genre, tout en intégrant une touche bienvenue de naturel et de modernité. Un élégant moment de cinéma, qui possède une qualité trop rare ces temps-ci : l’ambiguïté.
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Tonnerre, de Guillaume Brac
On évoque souvent Jacques Rozier, Maurice Pialat ou encore Eric Rohmer quand on parle de Guillaume Brac, et il s’agit d’ailleurs d’influences revendiquées par le cinéaste lui-même. Des influences également digérées, tant son cinéma affirme une identité et un style qui lui sont propres, et ce dès son premier long métrage, le bien-nommé Tonnerre.
Bien-nommé car l’action se déroule dans la ville éponyme et qu’elle prend, peu à peu, une tournure orageuse. On aime la manière dont Brac inscrit son récit dans un cadre géographique précis (que la réalisation rend vivant, palpable), expose l’intimité des personnages avec délicatesse et moult nuances, sans jugement écrasant. Les ruptures de ton sont bien négociées car devant sa caméra, tout semble naturel, vrai, spontané, évident, même si on sait très bien que ce résultat est très difficile à obtenir. Les compositions de Vincent Macaigne et Solène Rigot servent bien les intentions du réalisateur, tandis que Bernard Menez (dont la présence est sans doute lié à l’admiration de Brac pour le film Du côté d’Orouët) trouve ici l’un de ses plus beaux rôles.
The Kindergarten Teacher, de Sara Colangelo
The Kindergarten Teacher est sans doute plus mineur que certains des films qui composent cette liste, mais il a offert à Maggie Gyllenhaal, l’une des comédiennes américaines les plus attachantes de sa génération, un rôle intéressant et complexe, à la mesure de son talent.
Ce n’est bien entendu pas l’unique mérite de ce remake d’un film israélien, qui livre une double réflexion : sur les aspects pervers d’une relation trop intrusive entre un adulte et un enfant mais surtout, sur la place de la poésie dans la société capitaliste moderne. Place bien maigre, que l’institutrice incarnée par Gyllenhaal cherche à défendre avec ferveur, quitte à outrepasser son rôle et à bousculer les conventions sociales.
Volontairement dénué de jugement explicite, le film nous laisse composer avec sa propre ambiguïté, tandis que la réplique finale synthétise habilement ses véritables enjeux. La caméra de Sara Colangelo filme tout cela avec beaucoup de pudeur et de cohérence, capturant dans des plans larges significatifs la poignante solitude de la protagoniste.
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