Film de Tom Ford
Année de sortie : 2016
Pays : États-Unis
Scénario : Tom Ford, d’après le roman Tony and Susan d’Austin Wright
Photographie : Seamus McGarvey
Montage : Joan Sobel
Musique : Abel Korzeniowski
Avec : Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Michael Shannon, Aaron Taylor-Johnson, Isla Fisher, Armie Hammer, Laura Linney, Andrea Riseborough, Michael Sheen
Fort d’un habile schéma narratif et de qualités techniques et artistiques remarquables, Nocturnal Animals se présente comme un hommage sobre et poignant à l’amour, à la sincérité et à la beauté.
Synopsis du film
Susan Morrow (Amy Adams) est une riche galeriste d’art qui vit à Los Angeles avec son époux Hutton Morrow (Armie Hammer), un homme d’affaires. Un jour, son ex-mari Edward Sheffield (Jake Gyllenhaal) lui envoie l’épreuve de son nouveau roman, Nocturnal Animals, qu’il lui dédie.
La lecture du livre renforce peu à peu Susan dans la conviction qu’elle n’est pas heureuse depuis bien longtemps déjà, et qu’elle est peut-être passée à côté du grand amour de sa vie…
Critique de Nocturnal Animals
C’est en 2009 que Tom Ford – célèbre designer et directeur créatif dans l’univers de la mode – a commencé à se faire un nom dans le cinéma, par le biais de sa première réalisation intitulée A Single Man. Une tentative couronnée d’un succès public et surtout critique, la presse ayant unanimement salué tant la maîtrise de l’auteur sur le plan esthétique que la composition excellente des comédiens, Colin Firth et Julianne Moore en tête. Malgré cette reconnaissance, l’homme étant probablement très pris dans ses autres activités et projets, il aura fallu attendre quelques années pour découvrir son deuxième film, Nocturnal Animals.
Tom Ford a écrit le scénario de ce dernier à partir d’un roman d’Austin Wright (Tony and Susan), un écrivain américain décédé en 2003. C’est un scénario ambitieux, car si l’histoire est relativement simple dans le fond, la structure du récit ne l’est pas tant que ça, et a probablement posé des difficultés au niveau de sa mise en images. Nocturnal Animals se divise en effet en trois lieux et espace-temps distincts : le présent tel qu’il est vécu par Susan Morrow ; la fiction, qui correspond au roman d’Edward Sheffield, lu par Susan ; et enfin le passé, c’est-à-dire le passé commun à ces deux personnages, qui ont été brièvement mariés quand ils avaient une vingtaine d’années.
L’une des grandes prouesses du film est de maîtriser parfaitement l’équilibre entre ces différentes dimensions du récit, de passer de l’une à l’autre avec une fluidité parfaite et surtout, d’exprimer les correspondances et relations qui les unissent, pour atteindre une parfaite cohérence globale. Au niveau de l’atmosphère et de l’esthétique, ces trois composantes témoignent de parti-pris distincts, conformes aux sentiments qu’ils sont censés véhiculer. Le présent à Los Angeles est dominé par des couleurs froides, donnant une impression de vide et de solitude ; les scènes correspondant au roman de Sheffield nous montrent un Texas aride, sec et violent, sous une lumière dure ; enfin le passé est représenté par des teintes plus douces et chaudes, parfois légèrement floues. Ce qui est logique : Los Angeles représente la solitude amère de Susan ; le roman la souffrance de son auteur ; et le passé est le temps des moments doux, de l’amour.
Ce schéma narratif assez sophistiqué est au service d’une histoire très simple – celle d’un grand amour raté, parasité par l’argent, l’ambition, et le poids familial qui pèse sur les épaules de Susan (sa riche famille voyant d’un très mauvais œil son idylle avec un écrivain en devenir plus ou moins fauché). De façon certes schématique mais efficace, Nocturnal Animals oppose donc deux mondes : un monde cynique, superficiel et matérialiste, où même l’art est résigné (Susan ne semblant voir dans son propre travail que l’expression d’un constat amer sur l’absurdité et la médiocrité de l’univers qui l’entoure) ; et un monde fait de sincérité, de beauté et d’amour, où l’art est avant tout l’expression honnête et pure de ce que l’on est et de ce que l’on ressent. Susan a choisi le premier monde, et c’est notamment la lecture du roman de son amour de jeunesse qui lui fait prendre toute la mesure de cette erreur, même si on devine aisément que les regrets la guettaient bien avant l’ouverture du livre qui donne son titre au long métrage de Tom Ford.
Le fait que la prise de conscience passe par une œuvre d’art n’est évidemment pas un hasard ; c’est une manière d’illustrer la force, le pouvoir, l’importance de l’art et, en l’occurrence, du récit littéraire. Comment celui-ci peut toucher, bouleverser profondément quelqu’un, et aussi comment il traduit, de bien des façons, la personnalité et l’expérience de son auteur. Le roman de Sheffield exprime ainsi indirectement, par le biais de péripéties totalement fictives, sa propre détresse amoureuse, mais aussi sa colère et son ressentiment. On comprend qu’il remue à ce point la riche et solitaire galeriste – non seulement le livre fait écho à sa propre histoire, mais il représente l’art dans ce qu’il a de plus honnête, de plus authentique, en opposition aux divers artifices qui habillent le quotidien glacial de la lectrice.
Ne tournez pas le dos à l’amour, à la beauté et aux gens sincères, nous dit ici Tom Ford – car ce sont des choses rares. C’est simple, mais cela a rarement été exprimé avec un tel mélange de force contenue, de beauté, de dureté et de sobriété. Sans compter qu’Amy Adams et Jake Gyllenhaal (soulignons aussi les excellentes prestations de Michael Shannon et Aaron Taylor-Johnson) donnent corps à ces deux amoureux perdus, qu’ils composent avec une justesse extraordinaire, et qu’Abel Korzeniowski signe une partition dramatique à la hauteur du scénario et de la mise en scène.
Bande-annonce
Nous vivons dans un monde superficiel où tout est à disposition et, à la moindre contrariété, au moindre sursaut, les gens capitulent, se quittent
, a récemment dit Tom Ford dans une interview à Vogue. C'est parce que le réalisateur et ses comédiens mettent leur art au service de ce constat amer que Nocturnal Animals est plus qu'un bel objet cinématographique, mais un "vrai" beau film, émouvant et sincère.
2 commentaires
Enfin vu ce très beau film, malheureusement sur petit écran, ce qui ne rend pas justice à la superbe photographie. Amy Adams est excellente, et le contraste physique entre ses personnages présent et passé est saisissant, la tristesse de Los Angeles ou la tendresse des « moments doux », comme tu le dis si bien, sont clairement visibles sur son visage et son expression. J’ai aussi beaucoup apprécié le charisme de Michael Shannon en détective texan implacable !
Quelques détails amusants : l’actrice jouant Samantha, la fille de Susan, porte le même prénom plutôt original (India) que la fille du couple Hastings dans le roman ; plus troublant (mais difficile à deviner sans l’aide d’IMDB), l’amant endormi aux côtés de Samantha est incarné par un acteur jouant l’un des agresseurs du roman.
Enfin, il semble que Tom Ford ait tenu à faire figurer dans son film de nombreuses oeuvres d’art réelles, ce qui vient renforcer encore plus l’importance de l’art dans ce film, que tu soulignais déjà. Cette interview de Shane Valentino, directeur artistique du film, permet d’approfondir un peu le sujet (attention, spoilers) : https://creators.vice.com/en_us/article/jpvydk/nocturnal-animals-art-tom-ford-shane-valentino
Merci pour ton commentaire et le lien ! Je vais aller lire ça. Je n’avais pas du tout remarqué les correspondances dont tu parles entre la réalité et la fiction. C’est vrai que la photo est remarquable, dans mon souvenir. Elle est signée Seamus McGarvey, c’est un irlandais qui avait fait la photo de « The Hours » entre autres. Il a aussi fait la photo de « Nosedive », le premier épisode de la saison 3 de Black Mirror (celui où les citoyens se donnent sans cesse des notes sur un vaste réseau social).