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Césars 2021
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Césars 2021 : pourquoi le film d’Emmanuel Mouret a-t-il été peu récompensé ? Tentative d’explication

Par Bertrand Mathieux · Le 14 mars 2021

La 46ème cérémonie des Césars, qui a eu lieu le vendredi 12 mars 2021, a vu le dernier film d’Albert Dupontel (Adieu les cons) triompher (7 récompenses), tandis que Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, d’Emmanuel Mouret, n’a remporté qu’un César (meilleure actrice dans un second rôle pour Émilie Dequenne) pour 13 nominations.

Il ne s’agit évidemment pas dans cet article d’opposer bêtement les deux films, encore moins d’en dénigrer un au profit de l’autre : selon ses goûts et sa sensibilité, on préfèrera l’un ou l’autre, ou on aimera les deux à égale mesure. Simplement il me semble percevoir, derrière le peu de récompenses obtenues par le film de Mouret (lequel, rappelons-le, a remporté un succès autant critique que public), l’existence d’une tendance grandissante, qui va au-delà de ce cas bien spécifique et dont les implications me semblent préjudiciables pour l’art en général — toutes proportions gardées !

Qu’est-ce qui différencie le cinéma de Dupontel de celui de Mouret ?

Énormément de choses, me direz-vous à juste titre. Tellement de choses qu’il serait complètement absurde de les énumérer. Il n’y a en effet aucun rapport entre le cinéma d’Albert Dupontel et celui d’Emmanuel Mouret, à part que tous deux utilisent une caméra.

Mais quelle est la différence la plus fondamentale entre leur approche respective ? Celle qui précisément pourrait, à mon sens, avoir eu un impact sur les votes de l’Académie des Césars ? Pour la faire ressortir, je vais simplement évoquer, ci-dessous, quelques caractéristiques du cinéma de Dupontel et de Mouret, en choisissant bien sûr celles qui sont les plus ouvertement opposées.

Pour résumer (grossièrement, je l’admets), le comédien, scénariste et réalisateur d’Adieu les cons nous parle — de façon certes plus ou moins métaphorique, mais néanmoins très frontale — du système (social ; économique : politique) dans lequel nous évoluons, et qu’il décrit (on ne lui donnera pas tort) comme aliénant. Ses interviews, données dans le cadre de la sortie d’Adieu les cons, véhiculent clairement ce point de vue (voir la vidéo Adieu les cons, transhumance suicidaire ?) .

Les films de Dupontel, en plus d’être politiques, véhiculent un message (humaniste) à côté duquel il est pratiquement impossible de passer. Ils sont donc totalement indissociables de l’opinion de leur auteur ; on pourrait dire qu’ils en sont les reflets fidèles, les vecteurs cinématographiques. La preuve : les admirateurs de Dupontel sont souvent autant fans de ses films que de lui-même ; il suffit de lire leurs commentaires pour faire rapidement ce constat.

Au service de cette vision du monde, Dupontel déploie une esthétique exubérante, une imagerie inventive, une mise en scène pleine d’énergie, de bruit et de fantaisie, aux influences revendiquées (il cite volontiers Terry Gilliam, qui lui rend bien son admiration). Ce mouvement, cette confusion ne sont pas gratuits : ils résultent de l’interaction conflictuelle, violente entre l’individu et l’organisation sociale et économique qui cherche à le contrôler. Tout cela requiert une maîtrise de la technique cinématographique assez grande : les plans tournés par Dupontel sont, souvent, complexes et sophistiqués, et cela se voit.

Les films d’Emmanuel Mouret, et Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait ne fait pas figure d’OFNI dans son parcours, n’articulent aucun message précis, ne parlent pas (en tout cas pas directement) de politique, et ne sont pas connectés à des thématiques particulièrement actuelles. Son cinéma est largement intemporel. Il inspire des questionnements sur le sentiment amoureux et sur les comportements, volontiers contradictoires, qu’il suscite, mais n’apporte aucune réponse claire.

Même en ayant vu tous ses films — ce qui est mon cas —, on n’a aucune idée des opinions personnelles de leur auteur. Devant un film de Mouret, on peut envisager certaines hypothèses, toutes plus ou moins bancales, mais demeure toujours quelque chose d’insaisissable, d’impalpable, y compris pour le réalisateur (et scénariste). Ajoutons qu’aucun personnage, chez Mouret, n’est jugé d’une quelconque façon — un titre comme Adieu les cons, qui porte déjà un jugement en soi, est impensable chez le réalisateur de Changement d’adresse.

Quant à la réalisation d’Emmanuel Mouret, elle est précise, brillante même, mais cette virtuosité est invisible. On ne voit pas la complexité des mouvements d’appareil ; on ne constate pas, à moins d’une observation très aigüe plutôt rare au premier visionnage, celle de la mise en scène. À vrai dire, on ne pense pratiquement jamais à la caméra ; la technique, chez Mouret, est aussi discrète que Mouret lui-même.

En quoi ces différences sont-elles révélatrices ?

Évidemment, il faudrait développer davantage si on souhaitait analyser l’univers de ces deux talentueux auteurs, mais ce n’est pas le but ici ; il me semble que l’on a déjà établi un distinguo fondamental entre d’un côté des films engagés, à message, qui portent l’opinion de leur auteur et qui renvoient, à leur façon, à des problématiques actuelles et de l’autre, des films qui soulèvent des questions, des hypothèses mais ne délivrent aucun jugement ni propos politique, et qui n’ont que peu de liens, voire aucun lien avec des sujets particulièrement contemporains. Et sur le plan de la forme, on a d’un côté une réalisation spectaculaire, de l’autre une réalisation discrète, qui cherche presque à faire oublier les efforts qu’elle a nécessités.

Or, si on regarde les films qui ont été récemment récompensés, ils n’ont certes aucun rapport direct avec le cinéma profondément singulier de Dupontel, mais ils partagent avec celui-ci un point commun révélateur, en ce sens qu’ils renvoient plus ou moins directement à des préoccupations brûlantes dans l’actualité (même si ces préoccupations sont souvent très anciennes par ailleurs !) et, dans certains cas, dénoncent explicitement un phénomène quelconque.

Citons quelques films récompensés aux Oscars (USA) ces dernières années (précisons d’emblée, si c’était nécessaire, qu’il y a aucun reproche de ma part à l’égard des films cités ci-après ; j’ai d’ailleurs aimé, voire adoré plusieurs d’entre eux) : Parasite, qui est une critique sociale ; Moonlight, qui décrit le parcours tourmenté d’un Afro-Américain pauvre, rejeté pour son homosexualité ; Spotlight, récit d’une enquête sur les crimes pédophiles couverts par l’Église catholique ; 12 Years a Slave, adapté de l’autobiographie d’une victime de l’esclavage (Salomon Northup).

Du côté des Césars : l’excellent Les Misérables, photographie alarmante de la situation dans les banlieues françaises ; Fatima, qui raconte l’intégration d’une immigrée d’origine maghrébine dans la société française actuelle ; Timbuktu, qui critique l’action des islamistes radicaux au Mali ; 120 battements par minute, sur l’association de lutte contre le sida Act-Up Paris ; Jusqu’à la garde, qui traite des violences conjugales à travers un récit mêlant brillamment drame réaliste et thriller hitchcockien.

Tous ces réalisateurs ont parfaitement raison de s’attaquer à des problèmes sociaux, économiques, religieux, culturels ou politiques majeurs ; de questionner l’histoire, ou encore de décrire les difficultés vécues par les classes défavorisées, les immigrés, par les femmes ou encore par les diverses minorités qui composent la société. Surtout quand ils le font avec brio, c’est-à-dire quand ils parviennent à intégrer ces thèmes dans un récit bien construit, nuancé, porté par des personnages complexes, qu’on ne peut réduire à leur seule représentativité.

À titre d’exemple, j’ai récemment beaucoup aimé Peur de rien, qui raconte l’arrivée, dans la France des années 90, d’une jeune libanaise qui se heurte à des rouages administratifs hostiles, indifférents à ses efforts et à sa détermination. Les Misérables m’a littéralement scotché à mon siège ; Jusqu’à la garde m’a tiré quelques larmes. L’un de mes films français préférés de ces vingt dernières années est Violence des échanges en milieu tempéré, une critique de l’ultra libéralisme économique. L’année dernière, le film noir La Nuit venue, avec Guang Huo et Camélia Jordana (tous deux nominés aux Césars 2021, la seconde pour le film de Mouret, dans lequel elle excelle), m’a séduit, or il reflète à sa façon une réalité sociale et économique (peu réjouissante).

Le cinéma a toujours été, entre autres, un moyen de porter un regard, plus ou moins critique, sur la société qui nous entoure. Cela serait parfaitement absurde d’exiger qu’il cesse de le faire. Ce qui pose problème à mes yeux, en revanche, c’est qu’une œuvre qui ne s’inscrit pas pleinement dans cette démarche, qui raconte une histoire sans forcément renvoyer directement à une problématique politique ou à un phénomène qui fait l’actualité, soit de plus en plus déconsidérée par de nombreux spectateurs et critiques. Ils vont alors, souvent, la taxer d’œuvre bourgeoise (expression qui n’a aucun sens, mais qu’on entend beaucoup aujourd’hui), déconnectée de la réalité. Mais précisément, l’art doit-il être forcément connecté à la réalité ? N’est-il pas avant tout le fruit d’une expression personnelle, libre de choisir son sujet ?

Autre tendance actuelle : « on » aime savoir ce que pense l’artiste. « On » le questionne d’ailleurs volontiers, en interview, sur ses opinions politiques et autres. « On » aime sentir une connivence, une proximité entre ses propres convictions et celles qu’un film véhicule. Personnellement j’ai tendance, à quelques exceptions près, à fermer un livre dans lequel l’opinion de l’auteur est trop perceptible, ou à arrêter un film qui me donne la même impression. Mais ce n’est pas une règle stricte ; d’ailleurs en tant qu’artiste et en tant que spectateur ou lecteur, il faut sans doute éviter de s’imposer des règles trop strictes.

Par ailleurs, une approche spectaculaire au niveau de la forme est plus ouvertement impressionnante, et suscitera donc plus facilement des louanges. Un spectateur peu attentif ne remarquera pas l’habileté de Mouret à la caméra, pourtant indéniable ; celle de Dupontel ne peut échapper à personne, même en seulement trois minutes. Mais rappelons-nous ce que disait Orson Welles : le plan séquence de La Soif du mal dont il était le plus fier n’était pas celui de la scène d’ouverture, célèbre et reconnu — c’était celui qu’on ne remarquait pas, plus tard dans le film…

Pour conclure

Ce « 7 à 1 » entre Adieu les cons et Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait (certainement connecté à la tonalité très politique de la cérémonie cette année, inévitable et plutôt logique) traduit d’une certaine manière une vision très politique de l’art, qui tend à devenir dominante mais qui me paraît réductrice. L’art peut bien sûr être politique, critique, ancré dans une réalité sociale, mais il ne doit pas nécessairement l’être et surtout, il ne doit pas être dénigré quand il ne répond pas à ces critères (impératifs ?).

Les seuls critères qui doivent déterminer la qualité d’une œuvre, d’un film en l’occurrence, sont ses qualités techniques et artistiques ; la cohérence entre le fond et la forme ; la rigueur narrative ; la consistance des personnages ; et bien sûr sa capacité à susciter une émotion et/ou une réflexion. Si le film véhicule un message, espérons qu’il ne soit pas trop binaire, trop évident, ni nauséabond bien sûr ; s’il n’y en a aucun, tant mieux : l’art n’est pas un slogan, ni un tract politique. Il me semble même que l’ambiguïté est le point commun de bien des œuvres majeures à travers l’histoire : tâchons de ne pas la considérer comme suspecte ou frustrante. Elle (cette ambiguïté) doit au contraire stimuler notre intelligence et notre intuition.

Je pense que chacun à leur manière, Albert Dupontel et Emmanuel Mouret le font. Simplement, la manière de l’un a davantage le « vent en poupe » que celle de l’autre ; poussée à l’extrême, cette tendance pourrait bien nuire à la diversité de la création artistique, et décourager des vocations prometteuses.

Césars 2021
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Bertrand Mathieux

Principal contributeur du blog Citizen Poulpe. Parmi mes cinéastes préférés : Michael Cimino ; Claude Chabrol ; Maurice Pialat ; Michael Powell ; Kelly Reichardt ; Arthur Penn ; Olivier Assayas ; Emmanuel Mouret ; Guillaume Brac ; Francis Ford Coppola ; Michel Deville ; Guillaume Nicloux ; Karim Moussaoui ; Woody Allen ; Sam Peckinpah ; Nacho Vigalondo ; Danielle Arbid ; Jean-Pierre Melville ; David Lynch ; Billy Wilder ; David Mamet ; William Friedkin ; Nicolas Pariser ; Sergio Leone ; Jane Campion ; Miguel Gomes ; Ari Aster ; Christian Vincent ; Sidney Lumet ; Dominik Moll ; Ernst Lubitsch ; Gilles Marchand ; Alfred Hitchcock ; John Carpenter ; Otto Preminger ; Whit Stillman ; Nicholas Ray...

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