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Rupert Everett et Natasha Richardson dans "Étrange séduction"
Dossiers thématiques 1

Couples en péril : histoires d’amour et de mort au cinéma

Par Bertrand Mathieux · Le 13 septembre 2016

En littérature comme au cinéma, il n’est pas rare que l’équilibre voire la survie même du couple soient directement menacés par des forces extérieures – ou intérieures. Parfois, cette menace vient faire écho à l’histoire intime des personnages ; elle prend alors une dimension plus ou moins métaphorique. Elle peut avoir des origines purement psychologiques, ou refléter une réalité sociale, culturelle et/ou politique quelconque. L’instabilité peut venir des autres ; dans ce cas précis, un individu ou un autre couple s’immisce dans le quotidien des protagonistes et le bouleverse de façon explicite, ou plus insidieuse. Les cas de figure sont multiples.

Voici des exemples de films qui, chacun à leur manière, mettent en scène des couples dans des situations où rôdent l’instabilité, la disparition, la mort et autres réjouissances. Nous verrons que s’il y a des différences, il y a également des motifs récurrents.


Remarque : les catégories ci-dessous ont été créées afin de proposer des entrées de lecture plus vivantes et dynamiques qu’une liste de films non thématisée. Elles sont discutables, en ce sens que certains films pourraient être associés à plusieurs groupes distincts.

Accès direct aux films évoqués : Eden Lake – Open Water – Willow Creek – Honeymoon – Calme blanc – Ne vous retournez pas – Antichrist – Étrange séduction – Lemming – De particulier à particulier – Tropical Malady

Vacances fatales

Le titre Vacances fatales fait ici directement référence à la bande dessinée éponyme de Vittorio Giardino (publiée en 1991), brillant scénariste et dessinateur considéré comme l’un des maîtres de la « ligne claire » italienne. Vacances fatales raconte plusieurs histoires de couples dont les vacances sont ponctuées par un événement violent et morbide ; un meurtre, le plus souvent.

Dans cette première catégorie, nous allons donc nous pencher sur des films qui ont pour point de départ un banal projet de vacances. Car qui dit vacances, dit changement d’environnement géographique, mais aussi, parfois, culturel et social. Or selon les termes de l’écrivain Cesare Pavese (1908-1950), cité en introduction du roman The Comfort of Strangers d’Ian McEwan (dont Paul Schrader tira un film qui fait partie de cette sélection) : Tout voyage est une agression. Il vous conduit à faire confiance à des inconnus et à perdre de vue le confort familier du foyer et des amis. On est en perpétuel déséquilibre. Un point de vue radical, certes, mais que les films ci-dessous tendraient à confirmer…

Eden Lake : la campagne anglaise sous un bien mauvais jour

Michael Fassbender et Kellly Reilly dans "Eden Lake"

Steve (Michael Fassbender) et Jenny (Kellly Reilly) dans « Eden Lake »

Le premier long métrage du britannique James Watkins, sorti en 2008, est un film d’horreur particulièrement violent dont on déconseillera au passage la vision aux âmes sensibles. Eden Lake raconte comment le week-end campagnard d’un jeune couple — incarné par Kelly Reilly et Michael Fassbender, alors peu connu — devient un véritable cauchemar à partir du moment où les tourtereaux s’attirent, bien involontairement, les foudres d’une bande de délinquants juvéniles.

Le film met en scène une situation assez typique du survival : des citadins, appartenant en général à la classe moyenne supérieure, sont confrontés, dans un environnement géographique qui n’est pas le leur, à des individus hostiles (doux euphémisme en l’occurrence) issus d’un milieu social nettement plus modeste. Eden Lake est intéressant car il est en partie réaliste (ce qui se passe dans le film ressemble à certains faits divers), tout en explorant une peur (la peur de ce qui nous est étranger, la peur des bandes, la peur du « pauvre »…) qui n’est pas toujours rationnelle. Le film est d’ailleurs associé à un sous-genre très spécifique, le hoodie-horror (la phobie du sweat à capuche), et fut critiqué par certains qui y virent une stigmatisation des classes populaires. Polémique qui eut le mérite de faire réfléchir au film, mais qui reflète une erreur d’interprétation : l’approche de Watkins n’a rien d’idéologique. Mettre en scène une peur ne signifie pas qu’on la valide sur le plan intellectuel et personnel…

Eden Lake reste à ce jour le meilleur film de son auteur, dont la tentative gothique (La Dame en noir) s’est soldée par une avalanche d’effets éculés et à la longue fatigants, même si l’objectif (rendre hommage aux classiques de la Hammer) était louable, quoique piégeux (l’hommage est un délicat exercice). On attend de voir Shut Up and Dance, la contribution de James Watkins à la troisième saison de l’excellente série dystopique Black Mirror.

Open Water : un rivage trop loin

Susan Watkins (Blanchard Ryan) dans "Open Water"

Blanchard Ryan dans « Open Water »

C’est un authentique fait divers qui est à l’origine du scénario d’Open Water, film de Chris Kentis sorti en 2003.

En janvier 1998, un couple d’américains, Tom et Eileen Lonergan, faisait de la plongée avec un groupe de vacanciers dans la mer de Corail. Personne ne remarqua que le couple manquait à l’appel au moment de repartir, et les Lonergan n’ont jamais été retrouvés, comme l’explique fort bien l’article Wikipédia dédié à cette mystérieuse affaire.

Si plusieurs hypothèses, y compris la criminelle, coexistent (comme dans toute affaire où aucun indice concret ne plaide en faveur de l’une ou de l’autre), Kentis opte pour la pure faute d’inattention, et imagine les Lonergan (rebaptisés pour l’occasion Daniel Kintner et Susan Watkins) tenter un pénible retour à la nage, d’autant plus dangereux que des requins rôdent dans les parages.

Le résultat est d’un minimalisme audacieux et assez saisissant : la majeure partie du film nous montre le couple désemparé perdu en pleine mer, tandis que la peur, la déshydratation, la souffrance et le stress viennent peu à peu mettre leurs nerfs, leurs corps et leur lucidité à rude épreuve. L’eau, qui est au début du film synonyme de plaisir et de vacances, devient au fil des minutes une vaste et mystérieuse masse liquide où s’agite vainement la détresse des deux plongeurs. La mer est alors l’image même d’une nature intemporelle, tantôt indifférente, tantôt hostile, qui renvoie les personnages à leur condition et à leurs propres démons, tout en les confrontant à une vertigineuse idée d’éternité – tandis qu’eux-mêmes se sentent, plus que jamais, mortels.

On notera que dans le film, les protagonistes ne sont pas mariés, contrairement aux Lonergan ; une manière, peut-être, de donner à leur épreuve une résonance religieuse… C’est d’ailleurs en partie l’avis de Jean-Pascal Mattei, dont la critique d’Open Water est disponible ici.

Willow Creek : Blairwitch à la sauce Bigfoot

Alexie Gilmore et Bryce Johnson dans "Willow Creek"

Jim (Bryce Johnson) et Kelly (Alexie Gilmore) dans « Willow Creek »

On baisse d’un niveau avec ce Willow Creek que les amateurs de bigfoot movie pourront apprécier pour ce qu’il est, c’est-à-dire un honnête found footage (il faut considérer le nombre de tentatives indigestes dont ce sous-genre a accouché) qui se regarde sans déplaisir. Et pour cause : le couple incarné par Alexie Gilmore et Bryce Johnson est sympathique ; le réalisateur (Bobcat Goldthwait) prend son temps et soigne la mise en place ; tandis que le sujet — la légende du Bigfoot, variante américaine du Yéti — stimulera naturellement les amateurs de folklore, de monstres en tous genres et de ce domaine hélas mésestimé baptisé par le scientifique Bernard Heuvelmans (1916 – 2001), à savoir la cryptozoologie, dont l’homme des neiges, des forêts ou des montagnes (selon les régions du monde) est l’un des cas d’école.

L’histoire est simple : Jim et Kelly partent en vacances à Willow Creek, en Californie ; soit la région où le Bigfoot aurait, à diverses reprises, été aperçu. Lui est convaincu de l’existence de la boule de poils ; elle a simplement envie de lui faire plaisir. Évidemment, c’est lui qui a raison, sinon il n’y aurait pas de film…

Lire la critique de Willow Creek

Honeymoon : lune de fiel

Rose Leslie dans "Honeymoon"

Bea (Rose Leslie) dans « Honeymoon »

Honeymoon (2014) est le tout premier film de la réalisatrice Leigh Janiak. Au casting, la « sauvageonne » Rose Leslie (vue dans la série Game of Thrones) et Harry Treadaway, qui a joué notamment dans Fish Tank et la série TV Penny Dreadful. On se situe ici dans le registre de l’horreur et de la science-fiction.

Comme son titre l’indique, les vacances dans Honeymoon sont en l’occurrence une lune de miel, celle qu’un jeune couple passe dans un chalet isolé en forêt, près d’un fort joli lac. Un endroit que la femme, prénommée Bea, connaît pour y être allé à plusieurs reprises pendant son enfance. Mais suite à une énigmatique escapade nocturne, le comportement de Bea devient de plus en plus étrange, et Paul commence à se demander s’ils n’auraient pas dû aller à Venise ou aux Seychelles, comme tout le monde…

En termes d’atmosphère et de direction d’acteurs, ce Honeymoon boudé par les distributeurs français — comme beaucoup de films d’horreur non produits par James Wan — témoigne de qualités qui justifient que l’on s’intéresse à la prochaine réalisation de Leigh Janiak, en espérant que l’accueil mitigé de ce premier long ne l’ait pas découragée.

Le développement du film convainc moins que son efficace et intrigante mise en place, tandis que le dénouement, dont on ne dira rien ici, peut inspirer un haussement d’épaules perplexe. Pas impossible qu’une seconde vision permette de mieux cerner les intentions de l’auteure et du coscénariste Phil Graziadei. Le résultat est donc bancal mais les comédiens sont à la hauteur et sur le plan esthétique, Honeymoon est de bonne facture.

L’épreuve du deuil

La perte d’un enfant est probablement la plus difficile épreuve imaginable pour un couple. C’est donc naturellement que le cinéma a utilisé, à plusieurs reprises, cette situation tragique pour explorer ses conséquences diverses sur la relation et/ou sur la psychologie des personnages.

Calme blanc : la « renaissance » d’une femme

Nicole Kidman dans "Calme blanc"

Rae (Nicole Kidman) dans « Calme blanc »

Calme blanc est un thriller australien sorti en 1989, réalisé par Philipp Noyce et produit par la société Kennedy-Miller (pour Byron Kennedy et George Miller, le tandem à qui l’on doit la saga Mad Max). C’est le film qui lança la carrière internationale de Nicole Kidman, qui partira tourner aux États-Unis dès l’année suivante dans le « testostéroné » Jours de tonnerre, avec son futur ex-mari (Tom Cruise).

L’histoire du film, basée sur un roman de Charles Williams (qu’Orson Welles avait déjà tenté d’adapter), est limpide : l’officier de marine John (Sam Neill) et son épouse Rae (Nicole Kidman) partent seuls en croisière, à bord d’un voilier. Ils ont récemment perdu leur unique enfant lors d’un terrible accident de voiture, et les nuits de Rae sont hantées par des cauchemars. Un matin, ils aperçoivent un bateau visiblement en mauvaise posture. Et pour cause : Hughie (Billy Zane), qui les rejoint à bord d’une barque, leur explique que tous les autres membres de l’équipage sont morts, des suites d’une grave intoxication alimentaire.

Tandis que John part inspecter le navire pour y chercher d’éventuels survivants, Rae reste seul avec le rescapé — mais celui-ci se comporte de manière plutôt inquiétante…

Calme blanc est l’exemple même d’un film où le danger qu’affronte le couple est à mettre en relation avec son histoire personnelle. La structure du film souligne cet aspect : au début, John soutient sa femme, fragile et désespérée ; puis, face à l’adversité, celle-ci lutte courageusement pour survivre et finira par aider son époux en difficulté. L’intrigue minimaliste de Calme blanc est donc avant tout un moyen d’explorer le parcours douloureux d’un couple en reconstruction, et d’illustrer plus particulièrement la renaissance, en quelques sortes, d’une femme brisée qui réapprend à vivre et à se battre.

C’est pourquoi nous avons bel et bien affaire à un thriller intelligent, même si un final grotesque (imposé par la production) vient malheureusement bousculer la cohérence de l’ensemble. Comme dans Open Water, mais avec une connotation très différente, l’eau prend ici une valeur symbolique, en relation avec les concepts de purification et de renouveau auxquels la religion judéo-chrétienne associe fréquemment cet élément.

Lire la critique de Calme blanc

Ne vous retournez pas : mort à Venise

Donald Sutherland dans "Ne vous retournez pas"

John Baxter (Donald Sutherland) dans « Ne vous retournez pas »

Ne vous retournez pas est d’abord une nouvelle de Daphne du Maurier (1907-1989), brillante romancière britannique qui a inspiré pas moins de trois longs métrages à Alfred Hitchcock, à savoir L’Auberge de la Jamaïque (1939), Rebecca (1940) et Les Oiseaux (1963). En l’occurrence, c’est Nicolas Roeg qui s’est ici intéressé à l’univers, souvent inquiétant, de l’écrivaine, et plus particulièrement à Don’t Look Now, une nouvelle fantastique publiée en 1971, soit deux ans avant la sortie du film éponyme.

Ne vous retournez pas raconte le séjour vénitien tourmenté de John Baxter (Donald Sutherland) et de sa femme Laura (Julie Christie), séjour faisant suite au décès accidentel de leur fille Christine (Sharon Williams). Le film bascule progressivement dans l’étrange, épousant une structure décousue affectionnée par le cinéaste (il utilisera ce type de découpage dans Bad Timing, une autre histoire de couple particulièrement glauque, avec un Art Garfunkel très loin des innocentes mélopées chantées avec Paul Simon).

À propos du film, Roeg aura cette réflexion : Le chagrin peut séparer les gens… même la relation la plus saine et la plus proche peut se briser sous l’effet du chagrin. Ne vous retournez pas est donc un film où le fantastique, le surnaturel est l’expression imagée, métaphorique, des sentiments des personnages – en l’occurrence (principalement) la douleur et la culpabilité. C’est donc un cas typique de fantastique réel ou réalisme magique, en ce sens que la dimension fantastique prend racine dans le quotidien et dans la réalité.

Puisque nous sommes à Venise, on retrouve le fameux motif de l’eau, déjà présent dans deux des films commentés ci-dessus. Motif sur lequel le réalisateur a d’ailleurs choisi d’insister tout particulièrement, puisqu’il a modifié la cause de la mort de l’enfant : méningite dans la nouvelle de Daphne du Maurier, noyade dans le film — l’eau, encore et toujours…

Avec son final traumatisant, son montage très étudié, son atmosphère oppressante et son utilisation particulièrement habile des décors (la tortueuse Venise illustre fort bien les tourments intérieurs du malheureux John Baxter), Ne vous retournez pas a marqué des générations de spectateurs et a acquis un statut de film culte, en particulier auprès des amateurs de cinéma fantastique.

Antichrist : Nature is Satan’s church

Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe dans "Antichrist"

Elle (Charlotte Gainsbourg) et lui (Willem Dafoe) dans « Antichrist »

Hué par une partie de la critique lors de sa projection houleuse à Cannes en 2009, Antichrist, du célèbre réalisateur danois Lars Von Trier, commence par une scène qui souligne assez clairement son propos : tandis qu’un couple (sans nom : elle est « elle », il est « lui ») fait l’amour sous la douche, leur unique enfant chute mortellement par la fenêtre.

S’ensuit une longue et peu concluante psychothérapie conduite par l’homme (Willem Dafoe), afin de soigner le traumatisme de la femme (Charlotte Gainsbourg). Le tout dans un chalet encerclé par une nature lourde de symboles. Pour ne rien arranger, la jeune femme, influencée par ses recherches sur la sorcellerie, se convainc peu à peu que la nature est mauvaise, et la femme avec. Rappelons-le au passage : les procès en sorcellerie ont souvent condamné des femmes au nom de croyances douteuses ou pour des motifs pseudo-religieux parfaitement arbitraires et fantaisistes (la volonté de pouvoir ayant sans doute davantage motivé ces décisions que la volonté de justice).

Exploration brutale, mais extrêmement cohérente et travaillée sur le plan esthétique, des conflits entre la sexualité et la maternité, la femme et la mère, etc., Antichrist relève davantage de l’étude psychologique que du brûlot misogyne auquel certains l’ont réduit. Son approche du personnage féminin révèle d’ailleurs une compassion, une compréhension qui exclut une telle démarche, tandis que l’homme, fut-il bien attentionné, enfreint une règle notoire en psychanalyse : ne jamais traiter le cas d’un proche…

Lire la critique d’Antichrist

Jeux de miroir

Mettez deux couples face à face, et observez les réactions et conséquences. Plusieurs réalisateurs et scénaristes se sont livrés à ce petit jeu, souvent pervers, toujours dangereux. Nous verrons que ce schéma est fréquemment un moyen de confronter des modes de fonctionnement distincts, des normes différentes, voire opposées.

Étrange séduction : méfiez-vous des inconnus

Natasha Richardson et Rupert Everett dans "Etrange séduction" ("The Comfort of Strangers")

Mary (Natasha Richardson) et Colin (Rupert Everett) dans « Étrange séduction »

Après Ne vous retournez pas, retour à Venise avec ce film plutôt méconnu de Paul Schrader, dont le scénario (signé Harold Pinter, fidèle collaborateur de Joseph Losey, entre autres) est basé sur un roman du célèbre écrivain britannique Ian McEwan.

Comme dans le film de Roeg, le choix de Venise n’a rien de fortuit : ses multiples ruelles forment un dédale dans lequel s’égare le couple formé par Natasha Richardson et Rupert Everett, d’une manière qui souligne le flou et l’indécision propres à leur relation. C’est d’ailleurs en se perdant dans la nuit vénitienne qu’ils rencontrent un Christopher Walken peu avare de confidences et étrangement hospitalier. Et les voilà donc tous deux, dès le lendemain, invités dans la luxuriante demeure que le riche inconnu partage avec son épouse.

Face à face, ces deux couples forment un saisissant contraste. Mary (Richardson) est une femme indépendante et libre, séparée du père de ses enfants ; Colin (Everett) est un homme indécis, qui ne sait pas trop sur quel pied danser avec sa partenaire, elle-même étant peu sûre de ce qu’elle désire vraiment. Les choses sont beaucoup plus claires pour Robert (Walken) et Caroline (Helen Mirren) ; c’est normal : en tant qu’homme, il décide de tout. Mon père et son père savaient qui ils étaient. C’était des hommes et ils étaient fiers de leur sexe, explique-t-il à un Colin dérouté. Mais Robert ne se résume pas à un cas de misogynie ordinaire, et le père qu’il évoque avec admiration avait la taloche facile ; une violence qu’il reproduit sans scrupules dans sa relation, particulièrement tordue, avec la très soumise Caroline.

De cette opposition radicale entre un couple disons moderne et relativement « banal » et un couple gangréné par une autorité masculine perverse et brutale résulte une situation d’abord ambiguë, mais qui révèle peu à peu les rouages d’un piège redoutable. Mary et Colin auraient dû acheter un plan détaillé de Venise, ou encore s’offrir les services d’un guide bienveillant…

Lire la critique d’Étrange séduction

Lemming : dream a little dream of me

Charlotte Gainsbourg dans "Lemming"

Bénédicte (Charlotte Gainsbourg) dans « Lemming »

Alain (Laurent Lucas) et Bénédicte (Charlotte Gainsbourg) forment un jeune couple tout à fait ordinaire dans ce film de Dominik Moll (écrit avec Gilles Marchand) sorti en 2005. Au début, tout est simple et ordonné, mais à partir du moment où Alain invite son patron Richard Pollock (André Dussollier) et sa femme Alice (Charlotte Rampling) pour un banal dîner, une déferlante d’événements violents et étranges dérèglent le quotidien du couple : l’insondable Alice se suicide dans leur chambre à coucher ; Bénédicte se comporte de façon de plus en plus étrange ; et pour couronner le tout, un rongeur scandinave (le fameux lemming qui donne son titre au film) débarque dans le tuyau d’évacuation de la cuisine.

Cette déstabilisation est soulignée par deux scènes qui se font écho : dans la première, l’ingénieur en domotique incarné par Laurent Lucas fait une brillante démonstration de la webcam volante qu’il est en train de développer ; dans la seconde, le même appareil se brise lors d’un test similaire. C’est qu’Alain perd totalement le contrôle sur le cours des événements, et le film raconte avant tout le basculement d’un quotidien ordinaire vers un univers étrange, inquiétant, fantastique même. Ces deux mondes sont incarnés respectivement par le couple Alain-Bénédicte et celui, beaucoup plus tordu, formé par Alice et Richard. Comme dans Étrange séduction, l’opposition comporte son lot d’ambiguïtés, puis de menaces, et le développement du film montre comment Alain va tenter de rétablir l’équilibre brisé depuis ce dîner aux conséquences insoupçonnées. Le final, très Lynchéen, souligne la dimension onirique et aussi métaphorique d’un récit dont le but principal est d’explorer les frontières parfois poreuses entre normalité et étrangeté, rêve et réalité.

Lire la critique de Lemming

Disparitions

L’un reste, l’autre part : la disparition, voulue ou subie, de l’un des membres du couple représente, en dehors bien sûr de la mort, le stade ultime de la crise. Dans les films ci-dessous, cette disparition est d’ailleurs énigmatique, presque métaphorique, et n’obéit pas à la logique que l’on trouverait, par exemple, dans un film policier ou un thriller.

De particulier à particulier : des peurs intimes aux troubles du monde

Laurent Lucas dans "De particulier à particulier"

Philippe (Laurent Lucas) dans « De particulier à particulier »

Dans ce film de Brice Cauvin sorti en 2006, le couple incarné par Laurent Lucas (Philippe) et Hélène Fillières (Marion) est en route vers Venise pour y passer des vacances, mais retourne finalement à Paris après avoir découvert une valise au contenu énigmatique, oubliée par un inconnu dans une gare. Une version curieusement mise à mal par des photographies récupérées plus tard par Marion, montrant le couple déambuler dans les rues de la célèbre ville italienne…

La mystérieuse valise va plonger Philippe et Marion dans une confusion et une anxiété grandissantes. Philippe redoute un attentat terroriste, que lui évoque le contenu de la valise ; il faut dire que nous sommes au début des années 2000 et que la destruction des twin towers new-yorkaises est encore très récente. Il s’interroge aussi sur son identité, par le biais d’un nouvel ami à l’existence toute relative. Marion, quant à elle, disparaît carrément de la circulation. Tous deux s’interrogent sur eux-mêmes et sur l’avenir de leur relation (l’achat d’un appartement ; l’arrivée d’un troisième enfant), tandis que le monde, avec son lot d’angoisses et de désordre, résonne au cœur de leurs questionnements. Ou comment mettre intelligemment en perspective les peurs intimes et celles liées au monde extérieur, ces deux sphères étant à la fois distinctes mais bien entendu non isolées l’une de l’autre.

Récit singulier et cohérent où se mêlent le fantastique, l’espionnage et la politique, De particulier à particulier est surtout un beau film d’amour, qui suit le parcours tortueux d’un couple dont la crise soulève des questions universelles. Avec à la clé une jolie leçon de vie : affronter sa peur est souvent un bon moyen de se construire…

Lire la critique de De particulier à particulier

Tropical Malady : le tigre te suit comme une ombre

Banlop Lomnoi et Sakda Kaewbuadee dans "Tropical Malady"

Keng (Banlop Lomnoi) et Tong (Sakda Kaewbuadee)

Revoilà un film où l’environnement (en l’occurrence une forêt) est à la fois un contexte géographique mais aussi, et surtout, un élément métaphorique indissociable de la quête du protagoniste.

Cette quête est menée par Keng (Banlop Lomnoi), un soldat qui part à la recherche de son amant Tong (Sakda Kaewbuadee), mystérieusement disparu, tandis qu’une bête sauvage rôde dans les environs et égorge occasionnellement du bétail.

Le film d’Apichatpong Weerasethakul ne s’embarrasse pas de discours explicatifs ; le réalisateur leur préfère un langage cinématographique poétique, où c’est d’abord l’émotion et la beauté qui saisissent le spectateur puis, rétrospectivement, des idées et des réflexions. Il faut dire que le sentiment amoureux est par définition mystérieux, et comme il s’agit du principal sujet de Tropical Malady, c’est naturellement que Weerasethakul privilégie le mystère et la suggestion aux vérités toutes faites. Le tigre te suit comme une ombre. […] Tu es à la fois sa proie et son compagnon. Ne serait-ce pas là une (belle) manière de parler du désir ?

Lire la critique de Tropical Malady

Conclusion

De cette liste évidemment non exhaustive de couples en danger au cinéma se dégagent des traitements spécifiques, selon les genres et les auteurs, mais aussi des éléments récurrents.

Le motif de l’eau se retrouve ainsi dans Open Water, dans Ne vous retournez pas et dans Calme blanc, avec à chaque fois des significations distinctes. Venise, destination mythique des amoureux, est présente dans De particulier à particulier, dans Ne vous retournez pas et dans Étrange séduction. Dans ces deux derniers films, la physionomie de la ville italienne illustre l’égarement, voire l’errance des personnages.

Qu’il soit géographique, politique ou social, l’environnement joue un rôle important dans tous les films listés ci-dessus. Il joue un rôle en un sens actif dans De particulier à particulier, où le monde moderne vient résonner au sein de la cellule familiale et influer sur l’état d’esprit des personnages. Son rôle peut aussi être symbolique, comme dans Calme blanc, où l’océan non seulement créé un cadre dramatique et intime propice à l’action, mais représente également la quête de renouveau du couple. La dense forêt de Tropical Malady remplit une fonction similaire, avec des significations distinctes.

Les typologies de personnages masculins et féminins couvrent une large palette dans ces différents films. La femme est torturée (sur le plan psychologique) dans Antichrist, où la mère incarnée par Charlotte Gainsbourg est obsédée par le mal souvent associé (notamment par la religion) à la sexualité féminine au cours de l’histoire (les sorcières) ; elle est forte et combative dans Calme blanc et dans Eden Lake ; étrange et parfois inquiétante dans Honeymoon et dans Lemming ; et enfin elle est à la fois indépendante (en ce qui concerne Mary) et totalement soumise (en ce qui concerne Caroline) dans Étrange séduction. Les personnages masculins sont tout autant diversifiés, parfois au sein du même film : le flegmatique et indécis Colin s’oppose au misogyne pervers incarné par Walken dans Étrange séduction ; le calme et tempéré Alain se voit contraint de puiser dans ses ressources pour lutter contre le prédateur Pollock dans Lemming.

S’il fallait retenir quelques leçons de prudence de ces exemples cinématographiques, ce serait : de choisir avec soin les lieux de ses vacances ; de ne pas se perdre ; de ne jamais ouvrir la valise d’un tiers ; de ne pas inviter son patron pour le dîner ; de ne pas contrarier des adolescents mal élevés ; de garder certaines distances vis-à-vis des inconnus et de ne pas accepter d’invitations douteuses.

Dans le même temps, espérons que les couples de cinéma ne suivront pas ces règles strictes trop à la lettre : les films pourraient devenir bien ennuyeux…

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Bertrand Mathieux

Principal contributeur du blog Citizen Poulpe. Parmi mes cinéastes préférés : Michael Cimino ; Claude Chabrol ; Maurice Pialat ; Michael Powell ; Kelly Reichardt ; Arthur Penn ; Olivier Assayas ; Emmanuel Mouret ; Guillaume Brac ; Francis Ford Coppola ; Michel Deville ; Guillaume Nicloux ; Karim Moussaoui ; Woody Allen ; Sam Peckinpah ; Nacho Vigalondo ; Danielle Arbid ; Jean-Pierre Melville ; David Lynch ; Billy Wilder ; David Mamet ; William Friedkin ; Nicolas Pariser ; Sergio Leone ; Jane Campion ; Miguel Gomes ; Ari Aster ; Christian Vincent ; Sidney Lumet ; Dominik Moll ; Ernst Lubitsch ; Gilles Marchand ; Alfred Hitchcock ; John Carpenter ; Otto Preminger ; Whit Stillman ; Nicholas Ray...

Un commentaire

  • elphege dit : 20 septembre 2016 à 22 h 11 min

    Dossier sollde!

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