Film maudit par excellence, Les Diables (1971, lire la critique du film), du réalisateur britannique Ken Russell, va sortir en DVD chez BFI (British Film Institute) le 19 mars 2012. Il s’agira de la première édition DVD digne de ce nom d’un film très difficile à voir, auréolé d’une réputation sulfureuse et qui serait le chef d’œuvre de son auteur, disparu en novembre dernier.
A propos du film
Au 17ème siècle, en France, le cardinal de Richelieu lança une chasse aux sorcières ciblant plus particulièrement le prêtre Urbain Grandier, accusé de sorcellerie. Cet événement historique, baptisé « l’affaire des démons de Loudun » (lire : Affaire des démons de Loudun, sur Wikipedia), inspira au célèbre écrivain Aldous Huxley le roman Les Diables de Loudun, publié en 1952.
Le film de Ken Russell est l’adaptation cinématographique de Les Diables de Loudun, ainsi que de la pièce de John Whiting Les Diables, déjà basée sur le roman. C’est l’acteur Oliver Reed (vu entre autres dans Chromosome 3, de Cronenberg ; Les Damnés, de Joseph Losey) qui incarne Urbain Grandier à l’écran. Le casting comprend également Vanessa Redgrave, célèbre actrice qui tourna sous la direction de Lumet, Ivory, Pacino, Gray, De Palma, Losey, etc.
Le mélange de violence, de sexe et de religion choqua beaucoup à l’époque, ce qui explique que le film fut très peu diffusé et même censuré (les scènes jugées les plus scandaleuses et blasphématoires furent coupées suite à des remontages).
A noter que la religion et le sexe sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Ken Russell, qu’il explora notamment dans un autre de ses classiques, Les Jours et les nuits de China Blue, avec Kathleen Turner et Anthony Perkins.
Lire la critique du film Les Diables
L’édition DVD
Le site Forgotten Silver a publié un article intéressant et plutôt complet sur la future édition DVD :
De son côté, le site officiel du British Film Institute a annoncé la sortie du film en DVD :
L’aura des films maudits
S’il connait par définition un échec commercial lors de sa sortie au cinéma, le film dit « maudit » a cette particularité de jouir ensuite d’une aura qui fascine la plupart des cinéphiles. Comme l’artiste incompris de son vivant, les critiques voire le rejet violent qu’il provoque dès ses premières projections ne donnent que plus de tranchant et de mystère aux louanges fiévreuses que les initiés expriment des années plus tard à son sujet, tandis qu’il poursuit une sorte de parcours souterrain qui entretient le mythe.
On peut facilement établir les conditions de base qui permettent d’attribuer le qualificatif grandiloquent et dramatique de « maudit » à un film : une distribution chaotique qui le rend pratiquement invisible ; un sujet et un traitement qui ébranlent les mœurs de l’époque ou du moins choquent une partie du public et de la critique ; et, bien sûr, des qualités cinématographiques qui, conjuguées à l’audace du projet, lui valent d’abord une réputation aussi flatteuse que confidentielle, puis une (tardive) reconnaissance.
En option : un tournage orageux, et un remontage dégueulasse imposé par des producteurs cyniques, qui constitue un obstacle supplémentaire à la découverte de l’œuvre telle que son auteur l’avait souhaitée, et est donc facteur de nouvelles incompréhensions ; aujourd’hui encore, les gens qui découvrent la version courte (et ratée) de La Porte du paradis (la seule disponible en zone 2 et aussi la seule à être diffusée à la télévision en France) sont sûrement perplexes face à l’enthousiasme ô combien justifié de tous ceux qui ont vu le dernier chef d’œuvre de Michael Cimino dans son intégralité.

Isabelle Huppert et Kris Kristofferson dans « La Porte du paradis »
Autre aspect récurrent : la présence d’un acteur reconnu dans un total contre emploi. Citons par exemple Sean Connery qui, à l’époque de la sortie de The Offence (1972), était encore un agent secret glamour et rassurant pour la majeure partie du public et des critiques, et par conséquent ne pouvait se retrouver aussi brusquement dans la peau d’un inspecteur hanté par le mal, errant dans une banlieue sordide, sans provoquer la stupeur et le malaise.

Sean Connery et Trevor Howard dans « The Offence »
Ou encore Marlon Brando, symbole de virilité par excellence, qui dans Reflets dans un œil d’or incarne – avec génie – un militaire rigide qui n’assume pas son homosexualité. Le film de John Huston sera d’ailleurs projeté dans une version colorisée très loin des intentions du metteur en scène, avant d’être enfin plongé dans les teintes dorées qui lui donnent tout son cachet grâce à un très beau travail de restauration, effectué il y a quelques années à l’occasion de l’édition DVD du film.

Marlon Brando dans « Reflets dans un oeil d’or »
Outre ceux déjà cités, citons parmi les films maudits le Cruising (1980) de William Friedkin, où la déambulation tortueuse d’un Pacino désorienté dans l’univers cuir SM fut plutôt mal reçue, et comprise, par les critiques et le grand public à l’époque – sans parler des milliers d’homosexuels qui s’étaient crus (à tort) stigmatisés. Avant sa sortie relativement récente en DVD, ce film – qui compte assurément parmi les meilleurs de son réalisateur – était très difficile à voir.
Sans compter les films qui ne furent tout simplement jamais terminés ; il en va ainsi de L’Enfer de Clouzot (lire : L’Enfer, d’Henri-Georges Clouzot), dont le titre prémonitoire s’applique fort bien à son tournage inachevé, ponctué entre autres par le départ de Serge Reggiani et le malaise cardiaque du réalisateur.

Romy Schneider dans « L’Enfer », film inachevé d’Henri-Georges Clouzot
Incontestablement, Les Diables fait partie de cette « race » de films mystérieux et fascinants, et c’est donc tout naturellement que sa sortie en DVD, qui plus est dans une édition qui devrait lui rendre justice, est l’une des excellentes nouvelles cinématographiques de ce début d’année 2012.
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