Film de John Frankenheimer
Titre original : Seconds
Année de sortie : 1966
Scénario : Lewis John Carlino, d’après le roman de David Ely
Photographie : James Wong Howe
Montage : Ferris Webster
Avec : Rock Hudson, Salome Jens, John Randolph, Will Geer, Jeff Corey, Richard Anderson, Frances Reid.
Tony Wilson : The years I’ve spent trying to get all the things I was told were important, that I was supposed to want. Things! Not people, or meaning. Things!
Film ignoré à l’époque de sa sortie et toujours largement méconnu, L’Opération diabolique (encore un ridicule titre français) jouit aujourd’hui d’une réputation discrète mais flatteuse de petit bijou du cinéma de science-fiction des années 60.
Synopsis de L’Opération diabolique
Arthur Hamilton est contacté par un vieil ami qu’il croyait mort. Sous ses conseils, il se rend le lendemain à un mystérieux rendez-vous et rencontre une organisation secrète, qui lui propose de recommencer une vie nouvelle, sous une autre identité, en se faisant passer pour mort.
Réalisant que ni son métier ni sa vie de famille n’a de sens véritable à ses yeux, et que personne n’a besoin de lui, Arthur – sous la menace, de plus, d’un chantage mis en place par l’organisation – accepte le contrat. Il devient Tony Wilson, un artiste peintre plutôt bel homme, qui vit en Californie.
Wilson va tenter, peu à peu, de s’accomplir et de se sentir enfin libre et heureux.
Critique du film
John Frankenheimer avait largement conquis la confiance des producteurs hollywoodiens au moment de tourner L’Opération diabolique ; ses quatre derniers films, L’Évadé d’Alcatraz, Un Crime dans la tête, 7 jours en mai et Le Train (pour lequel il avait remplacé Arthur Penn, limogé par Burt Lancaster) s’étaient effectivement soldés par des succès à la fois critique et public.
La solide réputation du metteur en scène à Hollywood allait vite être entachée par des films comme L’Opération diabolique, qui fut l’un de ses premiers grands échecs commerciaux. Il faut dire que le sujet – très sombre et politiquement incorrect – et l’atmosphère pesante du film ne le prédisposaient pas particulièrement à figurer dans les sommets du box office. C’est d’ailleurs l’un des aspects intéressants de la carrière de John Frankenheimer : une volonté affirmée, dès le milieu des années 60, de porter à l’écran des projets qui l’intéressaient personnellement, fussent-ils non formatés pour le succès. Cette démarche culminera avec L’Homme de Kiev, en 1968, un film âpre et difficile inspiré de l’affaire Beilis, qui connut, comme L’Opération diabolique, un échec cinglant.
Ces prises de risque certes très louables d’un point de vue artistique – surtout venant d’un homme qui aurait pu aisément surfer sur le succès de ses premiers films – eurent un impact non négligeable sur le parcours de Frankenheimer, dont la filmographie, au cours des années 70 et 80, fut régulièrement ponctuée de films de commande assez inégaux.
Autant le dire tout de suite, L’Opération diabolique est un assez bon film (au propos pertinent) mais qui a, par certains aspects, un peu vieilli. Pour créer une atmosphère oppressante, Frankenheimer multiplie, dès la séquence qui suit le générique – signé Saul Bass (Phase IV), un maître du genre – des effets visuels aujourd’hui un peu datés (gros plans sur des visages en sueur, angles de caméra vertigineux, etc.). On retrouve un peu le style utilisé dans certaines scènes de Un Crime dans la tête, mais de manière moins sobre et plus répétitive. La réalisation aurait parfois gagné à être moins démonstrative. Quant à l’idée servant de base à l’histoire, elle a maintes fois été exploitée mais il faut évidemment remettre le film dans son contexte : à l’époque, nul doute que L’Opération diabolique s’imposait comme une œuvre plutôt originale, assez subversive dans son propos, et qui conserve aujourd’hui un charme et un intérêt indéniables.
Le film, pas franchement hollywoodien, livre un portrait critique de l’american way of life. Le héros, Arthur Hamilton, réalise, en changeant d’identité, que son existence a été formatée selon un idéal essentiellement matérialiste. Il a obtenu des choses – uniquement des choses – et n’est parvenu ni à s’intéresser aux autres, ni à une quelconque forme d’accomplissement personnel. Sa profession ne lui inspire rien, et ses relations avec sa femme et sa fille sont quasiment inexistantes. Il a simplement accompli ce qu’un certain ordre social lui dictait plus ou moins de faire, avec l’impression illusoire d’avoir lui-même choisi ce qu’il a obtenu.

Arthur Hamilton/Tony Wilson (Rock Hudson) découvre son nouveau visage.
La compagnie secrète qui lui permet de démarrer une « seconde » vie tire son bénéfice de l’exploitation de la frustration d’autres américains qui, comme Hamilton, ne se sont pas épanouis dans ce modèle social prônant le travail, la famille et la propriété comme les seules conditions du bonheur et de la liberté individuelle.
Le propos de L’Opération diabolique est donc plutôt sombre et politiquement incorrect, surtout pour l’époque, et John Frankenheimer ne cherche pas à l’embellir ou à le nuancer le moins du monde ; le film exprime radicalement, jusqu’à son dernier plan, l’enfermement et le conditionnement provoqués par les valeurs et le fonctionnement de la société capitaliste moderne. L’expérience tentée par Hamilton ne sert qu’à accentuer davantage ce constat implacable, que la réalisation achève de marteler sur la tête du spectateur à travers des gros plans et angles de caméra cauchemardesques.
On comprend en partie les raisons pour lesquelles L’Opération diabolique ne plut ni au public, ni à une majeure partie de la critique de l’époque. Comme pour beaucoup d’autres films intéressants mais méprisés lors de leur sortie, il peut être tentant de l’encenser à outrance – son discours, son style et surtout sa rareté lui donnant naturellement une certaine aura. Disons simplement qu’il s’agit d’un film de science-fiction audacieux pour son époque, bien mené et au propos intelligent, ce qui justifie déjà amplement de le découvrir. C’est également une œuvre très significative de la démarche d’un réalisateur qui ne s’est jamais contenté d’exploiter son potentiel commercial, mais a cherché à raconter des histoires qui le touchaient, en laissant libre cours à sa créativité visuelle – même si la réalisation de L’Opération diabolique, comme mentionné précédemment, tend parfois vers une sophistication excessive.
Selon Wikipedia (EN), L’Opération diabolique traumatisa Brian Wilson, le leader des Beach Boys, apparemment sous influences quand il le découvrit au cinéma. Il soupçonna même que Phil Spector, le célèbre producteur du groupe, avait fait en sorte qu’il voit ce film afin de le déstabiliser psychologiquement. L’homonymie entre son nom de famille et celui du personnage principal (Hamilton est rebaptisé Wilson dans le film) acheva de plonger Brian dans un doute profond – et durable. Apparemment, il ne retourna au cinéma que 16 ans plus tard, pour voir E.T.. On peut supposer que le message bienveillant du film de Spielberg rassura Wilson et le réconcilia, de fait, avec les salles obscures (source : Seconds (film) sur Wikipedia EN).
Ignoré à l'époque et sans doute un peu trop encensé aujourd'hui, L'Opération diabolique utilise intelligemment la science-fiction pour livrer un discours acerbe sur la société de consommation et les standards de vie qu'elle prône. Pas le meilleur film de John Frankenheimer mais néanmoins une oeuvre intelligente et originale, surtout si on la replace dans son contexte.
3 commentaires
Pour une surprise, c’en est une sacrée! Ce film m’a complètement retournée! Maintenant j’aimerais bien trouver le dvd.
Merci le câble!!!
Bonjour,
il n’existe apparemment qu’une édition zone 1 (USA) du DVD, disponible sur Amazon (occasion). J’ai ajouté le lien en bas de l’article. Compte tenu de sa rareté j’imagine, il est assez cher. L’édition zone 1 comporte une piste audio anglaise et française et des sous-titres anglais. Comme tout DVD zone 1 il n’est pas lisible sur tous les lecteurs DVD de salon, seulement sur les multizones. Il peut être lu sur un PC également.
Rock Hudson, admirable chez Sirk – l’un des acteurs les plus sous-estimés de sa génération.
L’anecdote sur Wilson fait sourire : l’auteur de l’immortel « Pet Sounds » connaissait-il la nouvelle de Poe, « William Wilson » (avec les traits de Delon pour Louis Malle dans « Histoires extraordinaires ») ?