Film de John McTiernan
Année de sortie : 1986
Pays : États-Unis
Titre original : Nomads
Scénario : John McTiernan
Photographie : Stephen Ramsey
Montage : Michael John Bateman
Musique : Bill Conti
Avec : Pierce Brosnan, Lesley-Anne Down, Anna-Maria Monticelli, Adam Ant, Mary Woronov, Jeannie Elias, Frances Bay
Jean-Charles Pommier: We are so very far from home you know… All of us. We have wandered so very far from home.
En dépit de ses imperfections, Nomads révèle peu à peu un regard ironique et assez subversif qui lui donne une saveur bien particulière. C’est aussi le premier film d’un réalisateur qui n’allait pas tarder à marquer l’histoire du cinéma, à savoir John McTiernan.
Synopsis de Nomads
Jean-Charles Pommier, un anthropologue français, meurt brutalement peu de temps après avoir été admis aux urgences d’un hôpital de Los Angeles. Le docteur Eileen Flax, auquel le mort a adressé des paroles énigmatiques avant de succomber, devient peu à peu hanté par les souvenirs de Pommier, et visualise malgré elle les événements étranges qui ont précédé sa mort.
Tout commence quelques jours plus tôt, lorsque Pommier et sa femme emménagent à Los Angeles, après avoir voyagé un peu partout dans le monde pendant une dizaine d’années. Très vite, l’anthropologue remarque la présence hostile d’une bande de zonards qui se déplace à bord d’un van, et qu’il soupçonne d’avoir tagué la porte de son garage. Tandis que sa femme part se coucher, Pommier décide de suivre les inconnus et d’analyser leurs comportements, afin de comprendre qui ils sont vraiment. Ce qu’il va découvrir ne sera malheureusement pas sans dangers pour lui…
Critique du film
Le nom de John McTiernan est associé à deux longs métrages cultes des années 80, qui sont encore aujourd’hui des références : Predator, un classique de la science-fiction avec Arnold Schwarzenegger, et Piège de cristal (Die Hard), avec Bruce Willis, qui compte parmi les meilleurs film d’action de l’histoire du cinéma. Dans la foulée, il signa deux autres films assez connus, quoique dans une moindre mesure, à savoir À la Poursuite d’Octobre rouge et Last Action Hero. La suite de sa carrière n’a malheureusement pas, pour l’essentiel, été à la hauteur de son talent – ses démêlés avec la justice américaine, conclues par une lourde peine purgée en 2013 (un an de prison ferme assorti de plusieurs mois d’assignation à résidence, pour avoir menti aux autorités fédérales) n’ont évidemment rien arrangé. Invité au Festival du Cinéma Américain de Deauville en septembre 2014, soit peu de temps après sa sortie de prison, le cinéaste a d’ailleurs improvisé un discours très critique à l’égard des États-Unis, ponctué d’une phrase radicale : J’espère qu’à travers mes films, vous avez senti combien je déteste l’élite qui gouverne ce pays par un pouvoir illégal
(lire Le discours brûlot de John McTiernan sur l’Amérique).
S’il fallait précisément, comme McTiernan semble lui-même nous inviter à le faire, chercher dans son œuvre des traces de cette position contestataire et critique vis-à-vis du pouvoir, on aurait tort d’exclure son tout premier long métrage, sorti en 1986 : Nomads, avec un certain Pierce Brosnan, totalement inconnu à l’époque. Ce film d’horreur étonnant n’est certes pas une charge explicite contre le pouvoir en place à l’époque (nous sommes alors en plein dans les années Reagan), mais son scénario (signé par McTiernan lui-même) comporte un sous-texte qui, mine de rien, présente une dimension subversive. C’est en tous cas, même s’il fut mal reçu par la critique et le public à l’époque – et que sa réputation demeure encore aujourd’hui assez confidentielle -, une première œuvre basée sur une idée singulière : un anthropologue français récemment installé à Los Angeles est confronté à une bande de zonards sans toit ni lois, des nomades
urbains qui hantent la Cité des anges de jour comme de nuit.
Jean-Charles Pommier, l’anthropologue en question, adopte à leur égard une attitude de chercheur. Il n’alerte pas la police (bien qu’ils semblent ouvertement dangereux) et n’essaie pas de les fuir ou de les combattre, au contraire : il les suit pas à pas, les observe, les étudie, afin de comprendre qui ils sont – une démarche atypique qui d’emblée donne au film un angle particulier. Après une première phase d’observation, Pommier fait part de ses conclusions à son épouse Véronique (Anna-Maria Monticelli) : J’ai passé 30 heures à suivre des gens qui ne vivent nulle part, qui ne travaillent nulle part. […] Ce sont des nomades. Comme tous les autres. Dans tous les endroits où nous avons vécu depuis les 10 dernières années. Au beau milieu d’une cité moderne.[…] j’ai peut-être trouvé des gens qui vivent en dehors. En dehors de toute structure.

Véronique Pommier (Anna Maria Monticelli) et Dr. Eileen Flax (Lesley Anne Down) dans Nomads : Who are these people?
D’autres répliques toutes aussi significatives, prononcées par différents personnages, dessinent peu à peu ce qui se cache derrière la trame en apparence simple du film : Les nomades vivent dans le désert, que ce soit un désert de glace ou de sable
; Les gens ne se rendent pas compte que cette cité (Los Angeles) a été érigée dans le désert
; Il y a des endroits qui ont un passé […], qui recèlent des secrets
(c’est l’actrice Frances Bay, vue notamment dans Twin Peaks, qui murmurent ces paroles) ; Les Inuats étaient des esprits hostiles […]. Ils habitaient les endroits où il y avait eu des calamités
. Par ailleurs, les propos de Pommier au cours de la scène où il observe la ville depuis un point de vue surélevé apportent des indices supplémentaires : Nous sommes si loin de chez nous, tu sais. Tous. Nous avons erré tellement loin de chez nous
; Nous devrions parler de notre nouvelle vie, notre vie bourgeoise dans cet endroit civilisé. Parler des choses que nous avons planifiées
. Dans une autre séquence, il exprime clairement sa distance vis-à-vis du mode de vie occidental et de la société de consommation : J’ai hâte de travailler cinq heures par jour. Je vais acheter ma nourriture enveloppée dans le plastique au supermarché, je vais manger des hamburgers comme les américains
.
Il est donc clair que les inquiétants personnages qui donnent leur titre au film ne sont pas que des bad guys pareils à ceux que l’on croise par exemple dans Un Justicier dans la ville, de Michael Winner. Ils représentent un mode de vie qui est l’exact opposé de la société moderne, et qui nie l’existence des lois et de l’ordre social. Leur présence irréelle et leur mythologie renvoient à un lointain passé commun (Nous sommes si loin chez nous
, dit Pommier, parlant non pas spécifiquement de lui et de son épouse, mais des hommes en général), à d’anciens territoires sauvages (Los Angeles a été érigée dans le désert
) et à des blessures historiques (ils habitaient les endroits où il y avait eu des calamités
; il y a des endroits qui ont un passé
). Leur look de punk évoque aussi les marginaux urbains, en marge du système, présents dans la plupart des grandes métropoles – à ceci près qu’ils sont tous ouvertement dangereux et agressifs.
Pommier, aventurier qui semble n’apprécier que moyennement la perspective d’une vie familiale rangée aux États-Unis, est effrayé (à juste titre) mais aussi fasciné par eux et en particulier, on le devine, par leur liberté. D’ailleurs, quand sa femme lui fait remarquer qu’il a une mine horrible, il répète le mot awful
avec un air amusé, enfantin, comme s’il était au fond content d’être qualifié d’une manière qui l’éloigne du rôle de bon mari et futur père de famille, et le rapproche davantage d’un voyageur sale et mal rasé…
Cet aspect du personnage (son ambiguïté en quelques sortes, qui fait tout le sel de l’histoire) prend toute son ampleur dans un final malin et plein d’ironie, lequel rachète en partie les faiblesses de Nomads (parmi lesquelles une musique trop omniprésente et datée ; quelques séquences bancales ; un développement un peu confus). Une conclusion ingénieuse, donc, qui souligne la dimension politiquement incorrecte du scénario d’une manière particulièrement humoristique et mordante, à grands renforts d’accessoires symboliques, à l’image du panneau Entering California
(rappelons que la Californie est particulièrement liée au rêve américain) et bien sûr de la moto qui surgit dans le cadre – cette moto dont le cinéma (entre autres) a fait depuis longtemps un symbole d’insoumission et de liberté (dans des films comme L’Equipée sauvage et Easy Rider).
Pour sa toute première réalisation et avec un budget modeste, John McTiernan signe avec Nomads un film singulier, parfois un peu bancal mais qui possède une dimension sociale, sociologique même, particulièrement intéressante. Il y a ici, également, un vrai sens de l'atmosphère, bien que celle-ci soit un peu gâchée par la musique agaçante de Bill Conti. Nomads lança la carrière de Pierce Brosman, tandis que la comédienne Lesley-Anne Down (qui a tourné avec John Carpenter, Peter Hyams, Blake Edwards, Don Siegel) y livre une prestation convaincante. Malgré son échec commercial et un accueil critique majoritairement défavorable, le film permit à McTiernan de réaliser Predator dès l'année suivante ; car en ce mois de mars 1986 aux États-Unis, il y avait parmi les spectateurs de Nomads un certain Arnold Schwarzenegger...
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