Film de Sidney Lumet
Titre original : Prince of the City
Année de sortie : 1981
Pays : États-Unis
Scénario : Sidney Lumet et Jay Presson Allen, d’après le roman de Robert Daley
Photographie : Andrzej Bartkowiak
Montage : Jack Fitzstephens
Avec : Treat Williams, Jerry Orbach, Richard Foronjy, Lindsay Crouse.
Daniel Ciello: The law doesn’t know the streets.
Avec Le Prince de New York, Sidney Lumet (The Offence, Network) traite de nouveau, 8 ans après Serpico, de la corruption au sein de la police, en s’inspirant de faits réels. Révélateur de la sobriété et du réalisme chers au réalisateur, Le Prince de New York a offert à Treat Williams probablement le plus grand rôle de sa carrière.
Synopsis de Le Prince de New York
Daniel Ciello (Treat Williams) dirige une équipe de policiers au sein de la brigade des stupéfiants. Sa carrière est brillante et il réussit de nombreuses opérations, parfois au prix de méthodes plutôt douteuses – quand lui et ses coéquipiers ne se servent pas dans l’argent de la drogue…
Un jour, rongé par le remords, il décide – dans le cadre d’une enquête sur la corruption au sein de la police – de collaborer avec le FBI, à condition de ne jamais avoir à dénoncer ses coéquipiers. C’est le début d’un long cauchemar pour l’inspecteur Ciello…
Critique
Le réalisme de Lumet au service d’une histoire véridique
Les caractéristiques les plus évidentes du cinéma de Sidney Lumet sont la sobriété (la caméra est volontairement « discrète », évitant tout effet de style visible) et le réalisme. Le spectaculaire n’est jamais ou rarement de mise chez ce réalisateur humble qui donne l’impression (en un sens trompeuse) de s’effacer derrière son sujet tout en parvenant à développer un regard qui lui est propre, et qui fait de lui un auteur à part entière.
Les rapports entre l’homme et l’organisation dans laquelle il évolue sont au cœur de plusieurs de ses films : dans Douze hommes en colère, l’un de ses classiques, un juré (joué par Henry Fonda) tente de faire évoluer le jugement des 11 autres ; Network, l’une de ses œuvres les plus visionnaires, est une fable d’une grande pertinence sur l’univers cynique de la télévision ; La Colline des hommes perdus pointe les disfonctionnements de l’armée ; et Le Prince de New York raconte l’histoire authentique de Robert Leuci, un inspecteur des narcotiques qui témoigna auprès du FBI pour dénoncer la corruption policière. Chacun à leur manière, ces films décrivent les relations (toujours conflictuelles) entre un individu et un système.
A l’instar de Serpico, Le Prince de New York témoigne d’une approche particulièrement réaliste, évoquant le documentaire – ce qui n’est pas étonnant de la part de Lumet, de surcroit quand il traite d’événements véridiques. Le film a même été utilisé par la DEA (Drug Enforcement Administration) comme support pédagogique.
Au cours des 167 minutes qui composent le film, Lumet filme minutieusement les étapes d’une affaire complexe, les rouages du système judiciaire et la lente descente aux enfers d’un individu qui se retrouve absolument seul, loin de ceux qui étaient ses véritables amis (ses coéquipiers) et qui ne partage rien ou peu de choses avec les hommes avec lesquels il est amené à collaborer. De nombreuses séquences illustrent clairement ce dernier point, notamment le plan ci-dessous, très significatif.
Une approche plus nuancée que celle de Serpico
Le Prince de New York est avant tout une reconstitution minutieuse de faits authentiques (relatés par Robert Daley dans le roman qui a servi de base au scénario du film), reconstitution qui s’attache à rendre compte de tous les aspects d’une réalité donnée pour au final dresser un constat tout en nuances, où le moindre point de vue est aussitôt contrebalancé par un autre : Daniel Ciello (Treat Williams) provoque la chute de ceux qu’il aime et n’est pas condamné alors qu’il a commis les mêmes crimes, mais en même temps, il sacrifie son confort et sa sécurité pour lutter contre la corruption ; les policiers ne respectent pas la loi, mais la loi est faite par des hommes qui ne connaissent rien à la réalité du terrain ; les mafieux et certains policiers sont des voyous, mais ils sont parfois plus fiables sur le plan humain que de hauts fonctionnaires ; etc.
Lumet avait déjà traité de la corruption dans la police à travers le célèbre Serpico (également basé sur une histoire vraie), qui livrait une peinture sans concessions et peu flatteuse des policiers, tous pourris à l’exception du héros incarné à l’écran par Al Pacino. Le point de vue du Prince de New York est différent. Lumet, loin de condamner fermement tous les policiers corrompus, décrit avant tout deux univers complexes, tortueux et pas toujours compatibles : celui des policiers sur le terrain et celui du FBI et des magistrats. On est donc face à un film ambigu où il est difficile pour le spectateur d’avoir un parti pris tranché, alors que Serpico présente un schéma plus simple sur le plan moral (la lutte du héros irréprochable dans un univers corrompu). Dans Serpico, Lumet critiquait un milieu et des hommes ; dans Le Prince de New York, il pointe en premier lieu les failles d’un système.
Ciello est un personnage combinant force et fragilité (celle-ci se révélant au fur et à mesure des épreuves qu’il traverse), assez loin de l’héroïque Serpico. Il ment sur sa propre implication dans des affaires de corruption, se montre très crédule quand il espère que ses amis seront épargnés par ce vaste nettoyage entrepris par les hautes autorités, et même sa propre démarche est ambiguë : souhaite t-il véritablement rendre le système meilleur, ou plutôt soulager sa conscience du poids de ses fautes ? Un peu des deux, sans doute, et le film a l’intelligence d’éveiller chez le spectateur de la compassion à son égard, mais sans l’idéaliser – de la même manière qu’il ne diabolise pas ses coéquipiers.
Le Prince de New York est un film policier extrêmement réaliste et maîtrisé (quelques séquences fonctionnent moins bien que d’autres mais l’ensemble témoigne d’une grande rigueur), jamais ennuyeux malgré sa durée. En optant pour une approche très factuelle – même si on devine chez Lumet une sympathie pour ces flics qu’il avait malmenés (et on ne l’en blâmera pas pour autant) dans l’excellent Serpico -, le film parvient à rendre compte d’une réalité complexe et nuancée. Il dresse un constat plutôt amer : l’individu qui lutte contre un système récoltera la souffrance, le mépris et l’isolement. Sur ce point, Le Prince de New York rejoint totalement Serpico.
Le film permet de voir un Treat Williams très investi dans son rôle, peu avant sa participation à Il était une fois en Amérique, le chef d’œuvre de Sergio Leone. Le casting inclut également l’acteur Jerry Orbach, une « gueule » du cinéma américain qui interprète dans Crimes et délits le rôle du frère mafieux de Judah Rosenthal (Martin Landau).
Anecdotes
Le livre de Robert Daley dont Le Prince de New York est tiré devait initialement être adapté par Brian De Palma, avec Robert De Niro dans le rôle titre. On imagine à quel point le résultat aurait été différent quand on connaît le style du réalisateur de Body Double, très éloigné de celui de Sidney Lumet.
Un autre roman de Daley a été porté à l’écran : il s’agit de L’Année du dragon, dont Michael Cimino a signé une magistrale adaptation, avec Mickey Rourke dans le rôle principal.
Avec Le Prince de New York, Sidney Lumet excelle une nouvelle fois dans l'art de décrire les rouages d'un système et de pointer ses multiples failles, comme celles, d'ailleurs, des individus qui évoluent en son sein. Le cinéaste illustre également la solitude de ceux qui décident de changer les règles du jeu, et qui se retrouvent dans une sorte de no man's land entre leur milieu d'origine et les institutions auprès desquelles ils dénoncent la corruption de ce dernier. Treat Williams livre ici une des compositions les plus marquantes de sa carrière.
Un commentaire
Encore heureux ! Je n’ai jamais aimé De Palma…