Film d’Érick Zonca
Année de sortie : 2018
Pays : France
Scénario : Érick Zonca et Lou de Fanget Signolet d’après le roman Une disparition inquiétante de Dror Mishani
Photographie : Paolo Carnera
Musique : Rémi Boubal
Avec : Vincent Cassel, Romain Duris, Sandrine Kiberlain, Elodie Bouchez, Hafsia Herzi, Lauréna Thellier, Charles Berling
Entre les conventions typiques du polar noir et des petites touches d’humour et de dérision, Fleuve noir trouve un certain équilibre (bien que bancal), que maintiennent de concert la réalisation solide d’Érick Zonca et la composition des comédiens, Vincent Cassel en tête.
Synopsis du film
De nos jours, à Paris. Le commandant de police François Visconti (Vincent Cassel) enquête sur la disparition d’un lycéen sans histoires. Ses soupçons se concentrent rapidement sur l’intrigant Yann Bellaile (Romain Duris), voisin de la famille, qui donnait des cours particuliers de français au jeune homme.
Mais entre sa consommation excessive de whisky et un fils impliqué dans un trafic de drogue, Visconti a bien du mal à mettre de l’ordre dans ses idées…
Critique de Fleuve noir
Quand on décide de réaliser un film de genre, un polar en l’occurrence, plusieurs approches sont possibles. On peut, par exemple, détourner les codes associés au genre en question pour produire quelque chose d’atypique, voire d’inclassable (c’est ce qu’ont fait il y a peu David et Raphaël Vital-Durand pour Et mon cœur transparent) ; on peut aussi opter pour une approche en apparence plus classique, qui revient à suivre ces mêmes codes plus ou moins à la lettre. Le résultat ne sera pas forcément inintéressant, il peut même être remarquable, ou simplement efficace, selon le savoir-faire et degré d’inspiration de l’auteur. Jean-Pierre Melville, par exemple, adorait utiliser les codes et accessoires du film noir américain, mais il les transcendait par une approche quasi fétichiste, au sein d’un récit volontiers empreint de tragédie et de solennité (le tout avec une science du cadre, de la lumière et du rythme qui a inspiré des générations de cinéastes français et étrangers). Dans un tout autre registre, quand Guillaume Nicloux tourne Une Affaire privée, il reprend la figure classique du détective blasé et alcoolique mais parvient à lui donner une ampleur dramatique nouvelle – parce qu’il possède un vrai regard, un style, et parce que Thierry Lhermitte est bouleversant dans le rôle.
Tout cela pour dire qu’on peut utiliser, au cinéma comme ailleurs, une « recette » relativement convenue, mais le faire avec ce qu’il faut d’intelligence, de sensibilité et de savoir-faire pour convaincre ; inversement, choisir systématiquement d’inverser des codes existants peut déboucher sur une originalité totalement surfaite, superficielle, trompeuse. Au-delà de la direction initialement choisie, c’est donc surtout la manière avec laquelle on négociera avec les pièges et contraintes qu’elle implique qui déterminera la qualité de l’œuvre finale et non le seul fait d’avoir voulu emprunter des sentiers vierges ou, au contraire, étroitement balisés.
Ces sentiers balisés, on les visualise d’emblée dans Fleuve noir, le cinquième long métrage d’Erick Zonca. Le titre du film, son affiche et ses premières minutes nous confirment instantanément que le réalisateur de La Vie rêvée des anges (1998) a cherché à réaliser un film qui s’inscrit dans une certaine tradition de polars – ceux qui mettent en scène des flics hantés, borderline, des personnages troubles, et dont l’intrigue est d’ailleurs souvent simpliste. Ce qui compte, c’est les gueules, les silhouettes, les décors (grisâtres, évidemment), les accessoires, l’atmosphère. Le commandant de police incarné par Vincent Cassel dans le film est un cliché sur pattes : sa compagne l’a quitté pour un autre ; il fume et boit du whisky à longueur de journée ; ne parvient pas à communiquer avec son fils et marmonne des blagues vaseuses. Mais qu’importe : le comédien est si convaincant dans sa diction, ses expressions et sa gestuelle qu’il réussit à donner vie à ce qui n’aurait pu être qu’une énième marionnette en imperméable. Grâce à lui, si Visconti n’est pas un personnage particulièrement profond ni émouvant, on le suit néanmoins sans déplaisir (et parfois avec amusement) dans ses déambulations vaines et ses tirades souvent outrancières.
Au niveau du ton, Zonca a l’intelligence de ne pas en faire des tonnes dans la noirceur, même si l’histoire de Fleuve noir est fondamentalement sordide : plusieurs répliques et séquences font sourire (sans compter une certaine ironie sur laquelle nous reviendrons), tandis que le tandem Cassel/Duris (qui ont de leur propre aveu fréquemment improvisé sur le tournage) possède une certaine saveur, parfois teintée de grotesque.
Le scénario, adapté d’un roman à succès de l’écrivain israélien Dror Mishani (dont l’action se situe à Tel Aviv ; celle de Fleuve noir a été transposée à Paris), ne surprend pas vraiment mais il est plutôt bien mené (si on excepte une invraisemblance sur la fin), tandis que la réalisation d’une part et le jeu des comédiens de l’autre impriment à l’ensemble un rythme efficace, sans temps mort. Au niveau des personnages secondaires, il n’y a pas de faute de goût non plus : Charles Berling mais aussi la talentueuse (et belle) Hafsia Herzi sont à l’aise dans leurs rôles respectifs, tandis que Sandrine Kiberlain compose une mère égarée et ambiguë (dont la fille est admirablement bien interprétée par Lauréna Thellier) d’une curieuse manière, probablement imprégnée par le malaise qu’elle a, de son propre aveu, ressenti sur le tournage. Zonca retrouve ici également Élodie Bouchez (qu’il avait dirigée dans La vie rêvée des anges), mais cette comédienne de talent hérite malheureusement ici d’un personnage en demi-teintes, dont elle ne parvient pas à faire grand chose (et on ne l’en blâmera guère).
En allant voir Fleuve noir, il ne faut pas chercher à être dérouté ou à assister à quelque chose de particulièrement fort et singulier (les « exercices » de Guillaume Nicloux en la matière – voir sa fameuse trilogie policière – ont quelque chose de bien plus saisissant et profond). Mais cela reste un polar de bonne facture, plus malin qu’il n’y paraît car il s’amuse avec les figures imposées du genre (en particulier à travers le personnage interprété par Romain Duris, un professeur de français qui se rêve écrivain). Vincent Cassel a d’ailleurs lui-même confié en interview que bien que le propos
était dur
, il y avait quelque chose de ludique dans la manière dont c’est fabriqué
.
C’est grâce à cette distance légère mais perceptible que le film échappe en partie à la lourdeur dont souffrent bien des films policiers français récents ; si dramatique que soit le sujet, Zonca propose en effet quelque chose qui est de l’ordre du jeu, et si l’on en accepte les règles, la durée d’1h53 ne se fera guère ressentir ici.
Fleuve noir nous emmène en territoire connu - ceux du polar d’atmosphère enfumé et alcoolisé -, mais il le fait avec un savoir-faire et une touche d'ironie qui font que l'ensemble tient (un peu) mieux sur ses deux pattes que l'inspecteur imbibé campé par Vincent Cassel.
4 commentaires
Quand un film est chroniqué sur nanarland dès sa sortie, c’est mal barré….
nanarland c’est un site de critiques comme un autre, avec des avis forcément subjectifs… D’ailleurs dans leur article ils citent le dernier Kechiche qu’ils semblent apprécier, je suis parti au bout de vingt minutes face à « Mektoub.. », qui est tellement lourdingue. « Fleuve noir » n’est pas un polar qui fera date, mais personnellement je l’ai suivi avec un certain plaisir, tout en étant conscient de ses limites (des maladresses dans le jeu de certains comédiens par moment, une intrigue assez quelconque et pas mal de clichés). C’est correctement réalisé, certes Cassel est dans l’outrance mais ça convient selon moi très bien à son personnage, et Lauréna Thellier est très juste dans le rôle de la fille de Solange (Sandrine Kiberlain). Le reste est affaire de goût !
Wouah, critique conventionnelle.. a mon avis le film est aussi soporifique que cette critique. Rien que de parler d Élodie bouchez.. la vache elle a fait deux films.. rien d exceptionnel dans son jeu. Rien dans le jeu de Duris, berling.. ça dégage ça normalement. C est l ancien ciné.. Cassel est le seul comédien qui arrive a jouer des rôles de contre emploi. Le reste est d un banal.. mauvais film.
C’est votre opinion, mais je pense que l’aspect conventionnel que vous évoquez est volontaire ; c’est une surface. C’est-à-dire que le réalisateur exacerbe à dessein des conventions et des clichés mais qu’il y a dans le fond une sorte d’ironie, de jeu un plus tordu qu’il n’y paraît. Mais je me trompe peut-être. Après, cela reste un film moyen et un peu bancal et d’ailleurs, je le souligne dans l’article.