Film d’Alfred Hitchcock
Titre original : North by Northwest
Année de sortie : 1959
Pays : États-Unis
Scénario : Ernest Lehman
Montage : George Tomasini
Photographie : Robert Burks
Musique : Bernard Herrmann
Avec : Cary Grant, Eva Marie Saint, James Mason, Leo G. Carroll, Martin Landau
Plus de cinquante ans après sa sortie, La Mort aux trousses demeure l’un des thrillers les plus mythiques de l’histoire du cinéma.
Synopsis de La Mort aux trousses
Le publicitaire Roger Thornhill est enlevé par les hommes de main d’un certain Phillip Vandamm. Ses ravisseurs sont persuadés que Thornhill est un espion nommé Georges Kaplan.
Sorti indemne d’une première tentative de meurtre, Thornill se met en quête du véritable Georges Kaplan pour faire la lumière sur cette histoire. Mais bientôt, la police et des tueurs à la solde de Vandamm se lancent à ses trousses…
Critique du film
The Hitchcock picture to end all Hitchcock pictures…
A propos de son travail sur La Mort aux trousses, le scénariste Ernest Lehman disait avoir voulu écrire the Hitchcock picture to end all Hitchcock pictures
. Une intention qui explique sans doute en partie pourquoi ce film demeure l’un des plus aboutis et les plus cultes de son réalisateur.
Lehman, qui venait d’écrire Le Grand chantage (1957) avec Burt Lancaster (The Swimmer) et Tony Curtis (L’Étrangleur de Boston), et qui plus tard signera les scripts de West Side Story et Qui a peur de Virginia Woolf (c’est dire l’étendue de son talent), élabora avec La Mort aux trousses un scénario astucieux, dont la construction exemplaire a pour point central ce qu’Hitchcock appelait lui-même un McGuffin. Cette expression, popularisée par le metteur en scène britannique et qu’il utilisa pour la première fois au sujet de son film d’espionnage Les 39 marches, désigne un élément qui est le principal moteur d’une intrigue mais qui paradoxalement ne constitue pas réellement l’intérêt de celle-ci, et qui peut même finir par sembler dérisoire, obscur (comme dans La Lettre du Kremlin, de John Huston).
Dans La Mort aux trousses, on ignore ce que contiennent ces fameux microfilms convoités par Phillip Vandamm (James Mason) et le FBI, et pendant une bonne partie du métrage le héros Roger Thornhill (Cary Grant) traque un homme (Georges Kaplan) qui n’existe pas – un leurre qui symbolise, d’une certaine façon, la démarche de Lehman et d’Hitchcock.
L’intrigue est donc avant tout un prétexte (même si elle pose au passage un regard assez aiguisé sur l’espionnage pendant la guerre froide) pour mettre en scène une poursuite haletante ponctuée par des séquences d’anthologie, le tout dans des décors iconiques (dont le siège de l’ONU et les sculptures des présidents américains au Mont Rushmore) ; en ce sens, on peut considérer La Mort aux trousses comme une démonstration (sans que ce terme ait ici la moindre connotation péjorative) du style et de la maîtrise d’Alfred Hitchcock. Point de vue qui rejoint, d’ailleurs, la formule employée par Lehman quand il évoqua son désir de fournir au metteur en scène la matière pour un film en quelques sortes « ultime » – même si nous savons aujourd’hui qu’avec Psychose et Les Oiseaux, ses deux films suivants, Hitchcock allait atteindre un niveau au moins égal.
La raison pour laquelle La Mort aux trousses est un film très moderne pour l’époque et aujourd’hui un exemple du genre, c’est qu’il est extrêmement divertissant, spectaculaire et grand public tout en témoignant des qualités artistiques et esthétiques propres à une œuvre d’art. Des aspects que ne parviennent pas toujours à concilier les grosses productions hollywoodiennes actuelles et qui font de La Mort aux trousses un modèle indémodable du film d’aventures, que les spectateurs amateurs de bon cinéma et les cinéphiles les plus pointus peuvent apprécier à égale mesure.
Le générique de Saul Bass
Le film affirme un style et un cachet visuel dès son générique, signé par un très grand maître du genre, à savoir Saul Bass (Phase IV). Pour sa seconde collaboration avec Hitchcock (avec qui il travaillera à nouveau sur Psychose) après Sueurs froides (Vertigo), Saul Bass utilise intelligemment – et de manière alors novatrice – la technique dite de typographie cinétique, alignant les lettres du générique avec les perspectives de la façade d’un building (lire : Typographie cinétique sur Wikipédia).
Il en résulte une entrée en matière originale et très design. A noter que l’année d’avant, en 1958, Bass avait signé l’un de ses chefs d’œuvre avec l’affiche et le générique d’Autopsie d’un meurtre, brillant film de procès d’Otto Preminger.
L’utilisation des décors
La Mort aux trousses est une énième illustration de la culture et du sens esthétique assez inouïe d’Alfred Hitchcock. C’est perceptible notamment dans la manière dont il utilise les décors, l’architecture et les paysages pour concevoir des images extrêmement abouties sur le plan du cadre et de la composition.
Trois séquences sont particulièrement révélatrices de cet aspect.
La scène à l’ONU
Lors de la scène qui se déroule à l’ONU, deux plans (l’un dans le hall d’accueil du bâtiment, l’autre un vertigineux plan aérien montrant la façade et la place extérieure filmées en contreplongée) se distinguent par leur cachet esthétique. Celui montrant le hall d’entrée (à gauche) fait un peu songer au style d’Edward Hopper, qui était probablement une importante source d’inspiration pour Alfred Hitchcock – comme le démontre d’ailleurs très bien l’article Alfred Hitchcock and Art: Edward Hopper, qui met en parallèle des plans de Fenêtre sur cour et des toiles du peintre américain.
La maison sur la cascade
La scène qui se passe autour et à l’intérieur de la maison de Vandamm, près du Mont Rushmore, présente un intérêt particulier sur le plan architectural. Hitchcock, qui avait une idée assez précise de ce à quoi elle devait ressembler, demanda aux designers de s’inspirer du style de l’architecte Frank Lloyd Wright et plus particulièrement de sa « maison sur la cascade » (lire : Maison sur la cascade, sur Wikipédia), comme le montrent les deux images ci-dessous (à gauche, la maison de Vandamm construite pour le tournage de « La Mort aux trousses » ; à droite, la maison sur la cascade, dessinée par Frank Lloyd Wright).
Le Mont Rushmore
La célèbre scène sur le Mont Rushmore, où Thornhill (Cary Grant) et Eve Kendall (Eva Marie Saint) tentent de s’enfuir en descendant le long des sculptures des présidents américains George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln, compte aussi parmi les moments de bravoure du film sur le plan purement visuel. Le monument (reconstruit en studio pour le tournage) possède un potentiel cinématographique que Hitchcock libère à travers une série de plans mythiques, immortalisant ainsi la séquence au même titre que les sculptures ont immortalisé leurs modèles ; une correspondance qui donne à la scène une force toujours intacte.
La scène de l’avion : Thornill face à la mort
Souvent considérée comme l’une des plus grandes scènes de l’histoire du cinéma, la séquence où Cary Grant est attaqué par un biplan alors qu’il attend George Kaplan au bord d’une route pratiquement déserte au milieu des champs constitue évidemment l’un des sommets du film. En soi, ce moment est surréaliste – pourquoi diable vouloir tuer Thornhill avec un avion, quand il existe des centaines de manières plus simples, efficaces et discrètes ? – mais cela n’a aucune importance : c’est du cinéma à l’état pur. Ce qui compte, c’est uniquement l’impact des images.
Du fait qu’intelligemment on ne nous montre jamais l’homme qui le pilote, l’avion finit par personnifier la menace ultime à laquelle le titre français fait référence : l’ennemi de Thornill dans cette scène n’est pas un être humain ou une organisation mais la mort elle-même, incarnée par un avion de guerre fantomatique (puisque sans pilote visible).
Cette impression est renforcée par le fait que l’action se situe dans un paysage désert, épuré, lequel donne à la confrontation un caractère plus solennel encore. Cette dimension pour ainsi dire symbolique de la scène est en partie ce qui fait sa force.
En termes de montage, de rythme, de cadrage, de conception même, la séquence dans son intégralité est un modèle de cinéma. Peut-être même que les moments qui précèdent l’attaque sont encore plus fascinants que celle-ci : l’attente de Thornhill ; le silence ambiant ; les plans sur les grandes étendues désertes (reflétant le point de vue du héros) ; l’avion agricole qui, dans le lointain, en arrière plan, survole les champs ; les deux voitures qui passent mais ne s’arrêtent pas ; l’homme qui descend d’une troisième voiture pour attendre le bus, puis qui prononce cette phrase prémonitoire (That’s funny, that plane’s dustin’ crops where there ain’t no crops
).
On retrouve ici tout l’art de la construction du suspense cinématographique dont Hitchcock est la figure la plus emblématique qui soit. Quatre ans plus tard, la séquence de l’attaque de l’école dans Les Oiseaux atteindra un même niveau de perfection ; évidemment la différence – majeure – entre ces deux scènes est que dans La Mort aux trousses le public s’identifie au personnage, ignorant comme lui ce qui va se passer, sentant la menace mais incapable de concevoir la forme – totalement inattendue – qu’elle prendra ; inversement dans Les Oiseaux Hitchcock nous montre ce qui va se produire (on voit les oiseaux se regrouper à l’arrière plan) tandis que l’héroïne (Tippi Hedren) l’ignore.
Ces scènes (amusant, d’ailleurs, de songer que dans chacune d’elles le danger est aérien, et que les oiseaux tueurs sont en quelques sortes le pendant naturel, primitif du biplan de La Mort aux trousses) utilisent donc des ressorts émotionnels différents mais sont toutes deux représentatives du savoir-faire d’Hitchcock dans la mise en place – lente et méthodique – du suspense.
Un dernier plan symbolique
Du fait de l’efficacité du scénario, de la virtuosité de sa mise en scène, de l’élégance de son casting et de cette manière pas si fréquente avec laquelle il conjugue divertissement et grand art, La Mort aux trousses est un film majeur, une anthologie à lui seul du cinéma d’Hitchcock et de ses procédés révolutionnaires, lesquels allaient inspirer plusieurs générations de cinéastes.
Enfin, La Mort aux trousses est aussi le reflet de l’humour parfois un peu salace et irrévérencieux du metteur en scène (comme de son goût pour le symbolisme), puisque ce dernier conclut le film sur un symbole sexuel (probably one of the most impudent shots I ever made
, confia t-il à François Truffaut) – à savoir le plan montrant un train (phallique) entrer dans un tunnel, tandis que le couple Cary Grant/Eva Marie Saint s’enlace dans un compartiment…
Le casting
La Mort aux trousses réunit un casting prestigieux. Flegmatique, élégant, un peu canaille et séducteur, Cary Grant traverse le film avec une classe légendaire. Face à lui, on retrouve le plus sobre James Mason, à la filmographie également impressionnante : L’Affaire Cicéron de Joseph Mankiewicz (une des plus grandes réussites du cinéma d’espionnage), 20 000 lieux sous les mers de Richard Fleischer, Derrière le miroir de Nicholas Ray, Lolita de Stanley Kubrick. L’homme de main de Mason dans le film est joué par Martin Landau, qui plus tard participera à l’aventure télévisuelle de Mission Impossible, et sera nominé aux Oscars pour son rôle dans l’excellent Crimes et délits de Woody Allen.
Le rôle de Eve Kendall (d’abord une femme étonnement forte et décidée, puis qui tombe à la fin davantage dans le cliché hollywoodien de la blonde fragile) est tenu par Eva Marie Saint, qui quelques années plus tôt avait (brillamment) donné la réplique à Marlon Brando dans Sur les quais, d’Elia Kazan.
La Mort aux trousses se sert habilement d'un prétexte scénaristique pour embarquer le spectateur dans une succession de séquences haletantes exécutées à la perfection, où plaisir et divertissement sont les maîtres mots. Du grand art.
4 commentaires
J’ai rien compris !!!:O
Excellente critique. Merci
Merci beaucoup pour cette analyse.
Merci à vous !