Film d’Alain Cavalier
Année de sortie : 1976
Pays : France
Scénario : Patrick Bouchitey, Alain Cavalier, Étienne Chicot, Bernard Crombey, Xavier Saint-Macary
Photographie : Jean-François Robin
Montage : Pierre Gillette
Musique : Étienne Chicot
Avec : Patrick Bouchitey, Étienne Chicot, Bernard Crombey, Xavier Saint-Macary, Béatrice Agenin, Nathalie Baye
Le Plein de super est un road movie singulier, dont la vitalité et le charme résistent au passage des années.
Synopsis du film
France, années 70. Klouk (Bernard Crombey) est vendeur de voitures à Lille. Il est contraint d’annuler un voyage à Dunkerque avec sa femme, car son patron lui demande de livrer la Chevrolet (modèle station-wagon) d’un client important dans le sud.
Il embarque son ami Philippe (Xavier Saint-Macary) dans l’aventure. En chemin, ils croisent la route de Charles (Étienne Chicot) et de son colocataire Daniel (Patrick Bouchitey).
Au sein de cette fine équipe, les rapports sont d’abord tendus, mais ils se dérident peu à peu au fil des kilomètres…
Critique de Le Plein de super
Nous sommes au beau milieu des années 70, et Alain Cavalier (qui a une quarantaine d’années à l’époque) n’a pas tourné depuis La Chamade, sorti en 1968. Il fait alors la rencontre de jeunes comédiens qui sont aussi des amis dans la vie, à savoir Patrick Bouchitey, Étienne Chicot, Bernard Crombey et Xavier Saint-Macary. L’idée du film Le Plein de super émerge dans la foulée. C’est un projet collaboratif : Cavalier et les cinq acteurs écrivent le scénario et les dialogues ensemble. C’est un projet libre aussi, qui permet à Cavalier de tourner uniquement en décors naturels (et dans une Chevrolet station-wagon, pratique pour installer une caméra), avec une équipe réduite, et de se rapprocher du même coup du type de cinéma qu’il souhaitait faire – et qu’il allait d’ailleurs développer par la suite.
Sans vouloir définir précisément ce cinéma (ce qui nécessiterait une analyse plus exhaustive de l’œuvre de Cavalier), on peut dire que l’une de ses particularités réside dans une certaine proximité avec le documentaire. La vision de Le Plein du super donne ainsi l’impression (trompeuse, car cela reste avant tout du cinéma) que la caméra suit un authentique groupe d’amis (en devenir) sans autre objectif que de capturer les moments qu’ils partagent (à l’occasion d’une virée en voiture somme toute banale), et de saisir par a-coups des détails révélateurs de l’histoire et de la personnalité propres à chacun d’eux. Parmi les signes de cette proximité relative avec la réalité, on citera les références, incluses dans certains dialogues, à la vie des comédiens ; par exemple, le personnage interprété par Étienne Chicot suggère vers la fin du film une virée à Fécamp (Normandie), or c’est précisément la ville de naissance de l’acteur.
On pense un peu à Jacques Rozier et à son Du côté d’Orouët qui évoque un film de vacances, avec ces images saisies sur le vif. Ce ne sont pas là des films qui présentent des enjeux dramatiques spectaculaires ou mettent en avant une technique particulière, mais des films qui, en quelques sortes, donnent l’illusion de la vie de tous les jours, sans chercher à la parer d’artifices quelconques et sans aucune stylisation visible. Mais ne nous y trompons pas : pour que cela fonctionne, il ne faut certainement pas se contenter de prendre une caméra et de partir sur la route avec une bande d’amis.
Le talent et le savoir-faire sont en effet bel et bien là – ainsi que cette indispensable vision propre au cinéma d’auteur ; sans ces qualités, Le Plein de super inspirerait une indifférence profonde au bout de cinq minutes. Simplement, l’impression de spontanéité et de naturel sont tels qu’on peut difficilement analyser, commenter ce savoir-faire, mais simplement le constater par le seul fait que le film, malgré sa trame minimaliste, nous embarque bel et bien – et nous touche, même, par moments.

De gauche à droite : Xavier Saint-Macary, Bernard Crombey (de dos), Patrick Bouchitey et Étienne Chicot
C’est que l’écriture, qui paraît si simple, est d’une justesse indéniable. On croit d’emblée à ces quatre personnages masculins tantôt sympathiques, tantôt un peu lourds et parfois vaguement tordus. Ils sont « ordinaires », un peu fêlés, très humains finalement. Mais surtout le trait n’est jamais forcé, que ce soit sur une émotion ou sur un aspect de la personnalité des protagonistes. C’est sans doute de là que le film tire une grande partie de sa grâce : dans cette façon d’esquisser, de dessiner un personnage, un instant, sans chercher à surligner quoi que ce soit (une erreur d’écriture terriblement courante, dans le cinéma de l’époque comme dans l’actuel). Ce sens de la retenue, de la nuance, donne à chaque séquence un cachet authentique à la fois discret et précieux.
Le procédé fonctionne d’autant plus que la caméra d’Alain Cavalier adopte la même réserve, la même discrétion – on oublie d’ailleurs son existence. Et cela même quand un plan sort un peu du lot de par un caractère plus grave, comme lorsque Philippe, l’infirmier joué par Xavier Saint-Macary, recoiffe les cheveux d’un jeune homme mort sur son lit d’hôpital. L’image est fugace, furtive, et il n’y sera jamais fait référence plus tard ; mais elle est essentielle, car elle rappelle l’idée de la mort, or Le Plein de super est, comme son titre le suggère, un film plein de vie.
En ce sens, tout le film est une réponse, une réaction à cette séquence faussement anodine – une bien belle réponse, d’ailleurs.
Le Plein de super parvient à capter une énergie, une vérité
qui porte littéralement le film de la première à la dernière séquence - que ponctue, d'ailleurs, un joli thème à la guitare composé par Étienne Chicot. C'est aussi un film qui permet de revoir toute une génération de comédiens à leurs débuts : Chicot donc, mais aussi Patrick Bouchitey (qui à la même époque tourna aux côtés de Dewaere dans La Meilleure façon de marcher, de Claude Miller) et même Nathalie Baye, dans un petit rôle plein de charme.
2 commentaires
Pourquoi dans « le plein de super » , Charles fait croire qu’il est fauché, pendant les trois quarts du film ?
Pardon pour le différé dans ma réponse ! Sincèrement je ne me souviens pas. Il peut y avoir plusieurs explications… si les autres gars ne sont pas riches, ça peut être une façon de ne pas créer de fossé entre eux, ou d’être jugé. Ou simplement pour ne pas payer l’addition 🙂