Film d’Anna Novion
Année de sortie : 2013
Pays : France, Suède
Scénario : Olivier Massart et Anna Novion, avec la participation de Pierre Novion
Photographie : Pierre Novion
Montage : Anne Souriau
Musique : Pascal Bideau
Avec : Jean-Pierre Darroussin, Anastasios Soulis, Claes Ljungmark, Judith Henry, Tord Peterson
Ernest Toussaint : C’est un sentiment douloureux, mais je suis content de l’avoir.
A partir d’un sujet difficile, Anna Novion signe un road movie sobre et émouvant qui permit à Jean-Pierre Darroussin de livrer une très belle composition d’acteur. Un nouveau témoignage du talent de la réalisatrice franco-suédoise après Les Grandes personnes, son précédent long métrage, avec lequel Rendez-vous à Kiruna partage la même délicatesse.
Synopsis de Rendez-vous à Kiruna
Ernest Toussaint (Jean-Pierre Darroussin) dirige un cabinet d’architectes à Paris. Peu ouvert aux autres, il est plutôt sévère au travail, et peu disponible pour Victoire (Judith Henry), sa compagne.
Un jour, il reçoit un coup de fil inattendu en provenance de la Laponie suédoise ; un commissaire de police lui demande s’il peut venir identifier un corps à la morgue – celui d’un fils qu’il n’a jamais connu. Ernest commence par refuser, puis se ravise et part en voiture pour la Suède, après avoir passé un concours pour un projet d’architecture.
Critique du film
Rendez-vous à Kiruna fait partie de ces films indépendants à côté desquels on peut facilement – et malheureusement – passer, leur écho médiatique n’étant évidemment pas équivalent à celui d’un Django Unchained ou encore Zero Dark Thirty. Il s’agit du second long métrage de la réalisatrice et scénariste franco-suédoise Anna Novion, qui a choisi ici de retrouver le comédien Jean-Pierre Darroussin, déjà présent dans son précédent film (Les Grandes personnes).
L’idée de base est de celle qui réserve bien des pièges : un quinquagénaire bougon est conduit par les circonstances à mener un périple au cours duquel son regard sur la vie va peu à peu évoluer. On ne compte pas les films qui se basent sur un schéma similaire, mais on pourrait en dire autant de bien d’autres – l’essentiel étant dans le traitement.
En l’occurrence, celui choisi par Anna Novion conjugue habilement humour, sensibilité et sobriété. A l’image du personnage principal traversant de beaux et calmes paysages suédois, Rendez-vous à Kiruna suit tranquillement sa route, sans bifurquer par les chemins parfois bourbeux des bons sentiments et du pathos. Et quand cette route croise l’émotion, celle-ci se glisse naturellement, furtivement, dans le cadre.

Anastasios Soulis et Jean-Pierre Darroussin
Cette réussite tient, comme souvent, à plusieurs choses. D’abord, Anna Novion a un vrai sens du cadre et du rythme, qui lui permet d’exprimer des sentiments sans jamais forcer la note. Par exemple, lorsqu’Ernest se retrouve seul dans la chambre de feu son fils unique, qu’il n’a donc jamais connu, la réalisatrice filme les arbres que l’on aperçoit à travers la fenêtre, puis Jean-Pierre Darroussin qui passe rapidement ses doigts sur les cordes d’une guitare. Le son résonne un court instant dans la pièce, ponctué par un moment de silence, et on enchaîne sur la séquence suivante. La scène est très simple, et dure exactement le temps qu’il faut pour que l’on ressente précisément l’instant, et la somme de détails qui le composent ; puis l’on passe aussitôt à autre chose – pas une lourdeur, pas une redondance ne surviennent. Cette maîtrise et ce sens de l’économie se retrouvent dans toutes les séquences les plus graves du film, mais aussi dans les instants légers, où l’humour ne verse jamais dans l’excès et la facilité.
Le scénario, écrit par Olivier Massart (qui a participé, entre autres, à l’écriture du très beau film Les Roseaux sauvages, d’André Techiné) et Anna Novion (avec la participation du chef opérateur Pierre Novion, auteur de la photo du film), témoigne des mêmes qualités. Son regard sur la paternité, le rapport aux autres et les choix de vie se dessine clairement, sans être trop démonstratif. La rencontre entre Ernest et Magnus (Anastasios Soulis), le jeune auto-stoppeur suédois, joue un rôle important dans la prise de conscience du protagoniste, mais sans que le scénario ne le souligne de façon trop grossière – leur relation restera, jusqu’au bout, à la fois significative et mesurée.

Jean-Pierre Darroussin, Anastasios Soulis et Tord Peterson
Au niveau de l’écriture des personnages, les scénaristes ont visé juste ; on croit immédiatement à cet homme (Ernest) qui se consacre presque exclusivement à sa vie professionnelle afin de ne plus s’exposer émotionnellement parlant (pour des raisons d’ailleurs tout à fait compréhensibles), mais qui est rattrapé par les circonstances et par ses propres sentiments. Il fallait, pour l’incarner, un comédien qui a le sens de la nuance, de la retenue, et Jean-Pierre Darroussin est admirable dans le film. Rendez-vous à Kiruna doit en effet beaucoup à sa composition sensible et subtile. Il a une vraie présence, une « gueule » qui lui permettent d’exprimer beaucoup de choses dans ses silences. Il dégage par ailleurs un mélange de générosité, d’humanité et de pudeur qui conviennent parfaitement au rôle. Les autres comédiens, dont le jeune Anastasious Soulis et Tord Peterson (très touchant dans le rôle du grand-père de Magnus), livrent également une partition sans fausse note.
A bien des égards, Rendez-vous à Kiruna ressemble à ses personnages et à ses décors – comme eux, il est calme, peu loquace, humble et émouvant.
Interview de Jean-Pierre Darroussin et d’Anna Novion
- Interview de Jean-Pierre Darroussin et d’Anna Novion sur RFI : Rendez-vous à Kiruna, un road movie en Laponie.
Bande annonce de Rendez-vous à Kiruna
Touchant, simple et beau, Rendez-vous à Kiruna est un joli voyage cinématographique, servi par l'un des acteurs les plus attachants du cinéma français.
2 commentaires
Tout est dit dans la critique ci dessus …quel beau film et quels interprètes même si JP Daroussin est omni présent. Les femmes, sauf Victoire et Stina, ne sont pas à leur honneur mais montrer les blessures et les sentiments des hommes avec cette finesse dans leurs attachements et leurs amours profonds m’a beaucoup plu, ému, fait rire … Un film vraiment à voir et revoir
J’ai adoré ce film tout en nuance avec le sentiment d’avoir déjà vu les acteurs donnant la réplique à Jean-pierre Darroussin,effectivement à la fin du film cela m’est revenu,ils jouaient dans « les grandes personnes » que j’ai également beaucoup aimé,également réalisé par Anna Novion.
Dommage qu’on parle si peu de ce genre de cinéma.