Film de Michael Wadleigh
Année de sortie : 1981
Pays : États-Unis
Scénario : David Eyre et Michael Wadleigh, d’après le roman The Wolfen de Whitley Strieber
Photographie : Gerry Fisher
Montage : Marshall M. Borden, Martin Bram
Musique : James Horner
Avec : Albert Finney, Diane Venora, Gregory Hines, Edward James Olmos, Dick O’Neill, Tom Noonan…
Eddie Holt : It’s not wolves, it’s Wolfen. For 20,000 years Wilson- ten times your fucking Christian era- the ‘skins and wolves, the great hunting nations, lived together, nature in balance. Then the slaughter came.
Petit classique culte ou œuvre fondatrice oubliée ? Redécouvrons Wolfen et sa prenante exploration du « Territoire des Rêves », cette zone suburbaine en périphérie des mégalopoles américaines où mythes et réalité se confondent.
Synopsis de Wolfen
Un important promoteur immobilier, son épouse et son chauffeur ont été égorgés et dépecés à Battery Park, au sud de Manhattan. Devant l’horreur de la scène et l’importance politique de l’affaire, l’enquête est confiée au vieux briscard Dewey Wilson (Albert Finney), secondé par Rebecca Neff (Diane Venora), jeune et brillante experte en contre-terrorisme. Au même moment, on retrouve des cadavres également écorchés dans une zone défavorisée du Bronx, à l’autre bout de la ville. D’après le légiste Whittington (Gregory Hines), le modus operandi semble être le même entre les différents crimes…
Critique du film
Osons paraphraser quelque peu… Le film s’ouvre sur le logo étoilé de la firme Orion, puis enchaîne sur un vertigineux panoramique débutant depuis le toit d’un gratte-ciel new-yorkais, dévoilant au petit matin les tours jumelles du World Trade Center, avant de s’achever au sommet d’une pile du Brooklyn Bridge, où des ouvriers native americans se livrent à une singulière cérémonie en libérant un oiseau qui prend aussitôt son envol.
Le recul nous livre une révélation frappante : le studio Orion n’existe plus, les Twin Towers ont été jetées au sol, et les nations indiennes depuis longtemps reléguées au rang d’auxiliaires de la société américaine. Rien ne dure en ce monde, et c’est peut-être de cela dont nous parle Wolfen : existe-t-il une place pour la survivance, pour l’écho du passé dans une société qui dévore tout ?
Le prétexte du film d’épouvante, réservant au public quelques séquences chocs fort réussies (notamment une superbe montée d’angoisse lors des dix premières minutes du métrage), ne représente pas toute la richesse de Wolfen. Pas plus que l’aspect thriller de l’enquête menée par les duettistes improbables Wilson/Neff : la différence d’âge entre les deux personnages et les difficultés dans l’avancée de leur enquête, parfois en retard par rapport au spectateur, pourront d’ailleurs agacer.

« Wolfen » établit un rapport complexe avec la mythologie native-american
La sophistication du film et sa résistance au temps qui passe puisent davantage leur force dans l’étude du regard porté aux choses. Eddie Holt (Edward James Olmos), l’ouvrier indien soupçonné par Wilson, ne dit pas autre chose quand, devant le visage décomposé du flic obtus ayant vu l’impensable, il affirme : You’ve seen them, haven’t you? You don’t have the eyes of the Hunter. You have the eyes of the dead
. Regarder la Gorgone en face a toujours un prix.
Dans un New York livré aux promoteurs, au sein des ruines d’un quartier noir annihilé, dissimulées dans le clocher de quelque église perdue vouée aux bulldozers qui se rapprochent inexorablement, des ombres attendent et observent : They can see two looks away
murmure un ami de Eddie Holt, native american lui aussi. Le regard, une nouvelle fois évoqué, se veut le leitmotiv du film, magnifié par la steadycam de Garrett Brown, lors de prises de vue agiles furetant au ras des rues et employant des couleurs inversées pour décrypter la nuit comme en plein midi. Elles voient bien plus loin que nous, ces créatures, rien ne leur échappe. Et si besoin est, elles frappent.
Le « Territoire des Rêves », cet espace en bordure de la grande ville, nourri par les peurs de viol et d’agression, où les légendes du passé se heurtent au credo trivial du mode de vie américain dominant (gagner de l’argent, dormir, consommer), constitue l’endroit où Wilson devra aller quêter la vérité. Interroger les membres de groupuscules d’extrême-gauche, harceler les ouvriers indiens, convoquer tous les experts de la ville, faire appel à des technologies d’avant-garde, placer des caméras partout : autant de fausses pistes, autant d’impasses. La vision cartésienne des choses tombe, en défaut. Même la partie de chasse nocturne initiée par le policier, avec lunette infrarouge dernier cri, ne mènera qu’au désastre.

L’église dévastée de « Wolfen »
C’est ailleurs qu’il faut chercher, en soi peut-être. Dans son laboratoire, un zoologiste sanglote devant les images filmées de loups massacrés dans une toundra lointaine. Derrière lui, par la fenêtre, des yeux perçants assistent également au spectacle. Les ombres sont entrées dans la cité interdite. Ce scientifique, dans une belle scène, lance alors une fausse alerte au feu, déclenchant les sirènes des camions de pompiers : au milieu du vacarme occasionné, il reconnaît les hurlements des êtres qui hantent la ville. Mythe et réalité se rencontrent soudain… Oui, Wolfen est un film aussi profond que cela !
Bientôt, ces hurlements se tairont au pied des hautes tours : laissant les hommes à leurs misérables ambitions destructrices, les ombres auront quitté la ville. Une part du mystère de l’existence s’évanouit alors avec elles. Aux États-Unis, les années Reagan ont commencé. Le metteur en scène Michael Wadleigh avait réalisé le documentaire Woodstock… Avec Wolfen, qui sera sa seule fiction, il boucle la boucle : les sixties sont bien mortes, leurs rêves devenus d’autant plus lointains que les fantômes se font nombreux dans le cœur américain.
La distribution des rôles
Prêtant ses traits à Rebecca Neff, experte en groupuscules terroristes (la piste un temps privilégiée pour expliquer l’assassinat du promoteur au début du film), la délicate Diane Venora apporte une touche féminine bienvenue dans l’histoire macabre de Wolfen. Malheureusement, son personnage sans réel arc, sans esprit d’initiative, semble avoir été sacrifié au montage. La romance malvenue avec Wilson en devient alors d’autant plus absurde.
Reste alors un film d’hommes… Le grand Albert Finney prête son détachement européen au sceptique Dewey Wilson, policier aguerri qui devra apprendre à voir la lumière pour comprendre les évènements. Dans le roman, Wilson était une sorte de goujat, archétype du flic new-yorkais revenu de tout. Finney lui amène un recul bienvenu, même si son personnage n’est guère travaillé, comme les autres d’ailleurs. Wilson est assisté dans sa quête par le médecin légiste Whittington, interprété par un Gregory Hines trépidant, dont la crédibilité fera peut-être débat. Tom Noonan, le tueur géant de Last Action Hero (1993), apparaît en chercheur pour le zoo de Central Park, l’un de ses premiers rôles.
Enfin, last but not least, l’excellent Edward James Olmos (Blade Runner, 1982, bien sûr !) campe l’énigmatique et troublant Eddie Holt, ouvrier indien se confrontant à Dewey Wilson (hallucinant dialogue au sommet du Manhattan Bridge). Wadleigh offrira à Olmos une magnifique scène au clair de lune, hommage à la mythologie lycanthrope. Cela dit, la puissance de son interprétation ne saurait dissimuler une cruelle ironie : pour jouer un personnage native american, la production a choisi d’engager un acteur d’origine… mexicaine, preuve qu’en 1981, Hollywood avait encore du chemin à parcourir pour reconsidérer les Indiens.

Eddie Holt (Edward James Olmos), personnage-clé de « Wolfen »
Enfin , n’oublions pas la toile du fond qui donne à Wolfen son identité : New York City ! La ville, dépotoir des superstitions et des divinités d’hier, en constitue une des plus passionnantes interrogations. Du premier crime dans Battery Park bordé par l’Hudson River au final à Wall Street, c’est toute une découverte du New York ambivalent de l’époque qui s’offre à nous, bien avant la gentrification des années 90. La ville était alors sombre, sale, dangereuse, au bord de la faillite. Pour preuve, les ruines du South Bronx, où se cachent les créatures, nous évoquent une zone de guerre. L’église abandonnée (gigantesque décor bâti pour l’occasion) se trouvait au croisement de Charlotte Street et East 170th (source : Streetfilms). Plusieurs scènes se situent au sommet des piles du Brooklyn Bridge et du Manhattan Bridge. Les efforts de l’équipe pour y acheminer tout le matériel (et ceux d’Albert Finney pour gravir l’un des câbles de suspension de l’édifice, l’acteur n’ayant semble-t-il pas été doublé) apportent encore de la force au métrage, le rendant inoubliable. D’autres lieux du Lower Manhattan, de Central Park, de Riverside Drive et de Coney Island (lors de la scène de lycanthropie), renforcent l’imagerie new-yorkaise seventies de l’œuvre, autant d’échos lointains d’une cité métamorphosée pour toujours.
5 commentaires
Bonjour Grégory,
Lu le roman de gare de Strieber en « édition illustrée » chez J’ai lu, qui présente de notables différences avec le film : Becky, mariée, se retrouve au centre d’un triangle amoureux entre son époux et son co-équipier, qu’elle humanise par sa présence, jusqu’à le faire se déclarer, ce qui ne suffira pas à sauver les deux hommes… Ce « Jules et Jim » dans le New York du début des années 80, brossé comme un purgatoire à l’abandon où rodent des démons ancestraux et intelligents – le livre s’ouvre sur la métonymie d’une décharge et d’une casse automobile – ne comporte par ailleurs aucun « native » et se déleste donc de tout commentaire social, sinon pour déplorer, par la bouche de Wilson (George et non Dewey), les jours heureux d’autrefois, dans une nostalgie républicaine trouvant son acmé chez Winner (« Le Justicier de New York », grand cauchemar absurde sur la « tolérance zéro » dans une ville devenue zone de guerre). Schrader pratiqua aussi le point de vue animalier (comme Poiré dans « Le père Noël est une ordure » !) dans sa propre fable zoophile, « La Féline », avec pour victime un pauvre lapin… Quant au « territoire des rêves », il apparaît avec une bien plus grande intensité chez Roeg (« Une nuit de réflexion » et son final atomique) ou le duo Rose/Barker de « Candyman ». Diane Venora brillera aussi chez Eastwood ; rappelons encore que ce visage pâle de Jeff Chandler tenait la vedette (avec Stewart) de « La Flèche brisée » en 1950. « E.T. l’extra-terrestre », un contemporain de « Wolfen », montrait déjà, sous ses allures de conte de fées sur l’altérité, l’échec du melting-pot US – Spielberg et Cimino, même combat ? Tout cela pour répondre à votre question initiale : plutôt petit classique qu’œuvre fondatrice.
Cordialement.
Bonjour Jean-Pascal et merci de votre commentaire ouvrant comme toujours des pistes nouvelles, d’autres angles… Je ne me souvenais plus du livre que j’ai lu il y a bien longtemps, les détails m’échappaient, vous avez su me faire revenir quelques flashs…. notamment le début je crois, deux policiers dans une casse de voitures. Le bouquin était me semble-t-il plutôt moyen, « Wolfen » le film n’est pas exempt de défauts, la faute sans doute à un montage imposé par la production – d’après ce que j’ai lu ici ou là sans pouvoir me le faire confirmer d’ailleurs. J’avoue avoir un petit peu de mal à raccrocher les wagons avec vos arguments sur « E.T. », que j’ai revu il y a quelques années et qui m’a semblé avoir plutôt vieilli, à la différence de « Wolfen » , encore percutant en ces temps d’angoisse environnementaliste exacerbée. Même s’il ne faut pas s’y tromper, j’aime bien « E.T. » … alors qu’il a contribué à envoyer « The Thing » ad patres ! Le public attendait en 1982 des messages d’espoir… Aujourd’hui il se demande « qui suis-je, moi, spectateur ? ». Nous ne pouvons rien y faire.
Cordialement et bien à vous.
PS : acheté et visionné « The Last Winter » sur vos conseils, je vous ferai un petit commentaire.
vu pour la énième fois hier soir. je suis tombé sur ton article en cherchant le lieu où Eddy se métamorphose. Es tu sur pour coney Island? un de films préférés, superbe vue de N Y et genial musique de Horner,je l’ai vu gamin en 83 je crois à la télé ça m’a flingué…ma scène préféré est celle ou Eddy et les natives parlent à Wilson dans le bar avec la photographie du chef indien en noir et blanc au mur et avec les petits chants et les cris d’animaux. cette putain de scène me fout des frissons à chaque fois. je suis allé à new York il y a 3 ans . je me suis rendu à battery park 😉 wall street ;). au fait les 2 ponts où wittington se fait attaquer sont sur la 62 street à central park , je sais plus les noms springbanks et span quelque chose un film méconnu, pas reconnu à sa juste valeur
un putain de film merci gregory
hurlements à springbanks arch et attaque à glen span arch 😉
Bonjour Franck, merci pour votre commentaire et vos informations. 🙂
Pour Coney Island, je crois avoir lu cela sur streetfilms.org ou sur le beau site nostalgique « New York you’ve changed ». Si vous avez d’autres éléments, je modifierai l’article ! J’adore NY également, je l’ai découverte en 1985 à 16 ans et ne me suis jamais remis du choc : depuis, je l’ai dans la peau… mais nous sommes nombreux, je crois, dans ce cas.
« Wolfen », une belle expérience de cinéma. Je vais tenter de relire le roman, je ne sais plus trop ce qu’il vaut. Excellent week-end à vous !