Film de Javier Attridge
Année de sortie : 2016
Pays : Chili
Scénario, photographie et montage : Javier Attridge
Musique : Miguel Torreblanca
Avec : Paula Figueroa, Matias Aldea
The best horror movies don’t show the monster much. Like Rosemary’s Baby.
Matias (Matias Aldea) dans Wekufe
Wekufe se distingue de la plupart des found footage récents par une thématique pertinente et une caractérisation réussie des personnages.
Synopsis du film
Paula (Paula Figueroa) veut réaliser un documentaire sur le Wekufe, une créature qui hanterait l’île de Chiloé. Selon elle, il s’agirait avant tout d’un mythe local plus ou moins lié à un phénomène bien réel : les violences domestiques que subissent les femmes dans la région.
Accompagnée par son compagnon Matias (Matias Aldea), un fan de films d’horreur qui veut profiter de l’occasion pour se faire la main en tant qu’aspirant cinéaste, Paula se rend à Chiloé et commence à mener des entretiens.
Critique de Wekufe
Le cinéma, c’est parfois, et même souvent à vrai dire, l’occasion de découvrir des lieux (villes, régions…), en particulier lorsque le scénario accorde une place importante au contexte géographique. C’est le cas de celui de Wekufe, premier long métrage du chilien Javier Attridge, qui se déroule à Chiloé, une île côtière du Chili. Même si le film est une fiction et non un documentaire, il nous donne un aperçu des beaux paysages de l’île précitée mais aussi de son histoire (marquée par la colonisation hispanique) et de sa culture. Si on peut supposer que le réalisateur a délibérément puisé dans celle-ci des motifs à même de nourrir son récit, d’où une vision sans doute partielle, cette dimension demeure intéressante et instructive.

En effet, le personnage de Paula (Paula Figueroa), en enquêtant sur une légende locale, met ce type de croyances en perspective avec les violences bien réelles commises à l’encontre des femmes chiliennes, survenues au cours de la colonisation mais encore très présentes dans les temps actuels ; à ce sujet, on peut lire l’article Violence Against Women in Chile, lequel attribue en partie cette violence à une culture profondément patriarcale (motif sans doute récurrent dans le cas des violences sexistes). Javier Attridge explore donc ici un sujet pertinent, multipliant les références historiques, religieuses et culturelles au cours des entretiens menés par le jeune couple. D’ailleurs, la citation qui ouvre le film, attribuée au prêtre jésuite et chroniqueur chilien Alonso de Ovalle (1603-1651), connecte directement le fameux « wekufe » au passé colonial du Chili :
Before Spaniards arrived in the Mapuche world, there was no notion of WEKUFE or evil. There was only a balance of positive and negative forces. There was no concept of the devil, a creature from Christian culture.
Alonso de Ovalle, en 1646
En d’autres termes, le mal qui plane sur le récit est en bonne partie une émanation de la colonisation, phénomène particulièrement critiqué (à raison) de nos jours. Ce background historique donne à Wekufe une richesse thématique largement absente de nombreux autres found footage.

Les deux protagonistes constituent les autres points forts du film. On s’attache immédiatement au tandem qu’ils forment, tandis que le jeu des comédiens, ainsi que l’écriture, parviennent à donner suffisamment de consistance aux personnages. Ils ont des objectifs distincts, ce qui créé une tension intéressante : la femme se situe dans une approche journalistique et documentaire ; l’homme s’inscrit dans une approche cinématographique (il veut faire du cinéma ; elle veut devenir journaliste). Cette opposition rejoint le principe même du found footage, qui est un sous-genre cinématographique se présentant comme une forme de documentaire. (Notons que la frontière entre réalité et fiction a du être particulièrement trouble pendant le tournage, dans la mesure où Paula Figueroa et Matias Aldea ont été en couple dans la vraie vie, et portent le même prénom que leurs personnages).

L’idée d’associer à chaque personnage une vision qui rejoint le fondement même du genre auquel appartient Wefuke est plutôt maline, et le réalisateur l’exploite habilement, en glissant dans les dialogues de nombreuses références qui raviront les amateurs de cinéma de genre et qui apportent des touches d’humour appréciables, dans la mesure où ces références pointent des clichés dont le film, avec une certaine ironie, fait parfois usage.
Malheureusement, même s’il ambitionne de bousculer le genre, Javier Attridge se heurte aussi à ses limites. Comme souvent, c’est dans les dernières minutes que le bât blesse, pour les mêmes raisons que dans la quasi totalité des found footage : la caméra à l’épaule finit par devenir plus fatigante qu’immersive, occasionnant une réalisation trop brouillonne, tandis qu’on croit de moins en moins à l’attitude consistant à garder une caméra en main lorsqu’un danger mortel se précise. Peut-être aurait-il été intéressant de mélanger, dans le film, des plans « amateur » tournés par les comédiens avec des plans « cinéma », pour proposer une forme plus variée et jouer sur différents points de vue.

Mais il serait injuste de rejeter le film dans son ensemble, simplement parce qu’il convainc moins dans sa dernière partie. Wefuke possède un vrai sujet, qui ne se contente pas de tirer les vieilles ficelles du found footage, et un duo de personnages qui fonctionne bien. Il mérite donc qu’on s’y attarde et qu’on surveille un peu la carrière d’Attridge, en espérant qu’il ne se cantonnera pas à un sous-genre particulièrement casse-gueule, et qu’il continuera, en revanche, de puiser ses idées dans l’histoire et la culture de son pays.
Le found footage est un genre piégeux dans lequel Wekufe finit par s'embourber quelque peu, mais non sans être parvenu, au préalable, à explorer un sujet intéressant, ancré dans la société et l'histoire du Chili, et à créer deux personnages attachants, incarnés avec talent par leurs interprètes respectifs.
Aucun commentaire